Significatif et logique et néanmoins différent des rêves

 

Mon éditorial sur You Tube

Mon esprit navigue entre les rochers de la théorie de production et de productivité. Je veux comprendre, je veux dire : vraiment COMPRENDRE, le phénomène de productivité décroissante dans l’économie mondiale. Comme je regarde les choses maintenant, j’ai deux pistes intéressantes à suivre. Les deux premières réfèrent à la distinction fondamentale faite à la source-même de la théorie que nous appelons aujourd’hui « la fonction de production de Cobb – Douglas ». Cette fonction est quelque chose que tous les manuels d’économie servent comme hors d’œuvre, avant de passer plus loin. Dans ma mise à jour d’hier, en anglais, j’ai déjà commencé à étudier le contenu de cette théorie à sa source-même, dans l’article original publié en 1928 par les professeurs : Charles W. Cobb et Paul H. Douglas[1]. Vous pouvez suivre mes réflexions initiales sur cet article ici https://discoversocialsciences.com/2017/08/06/dont-die-or-dont-invent-anything-interesting/ ou bien à travers http://researchsocialsci.blogspot.com/2017/08/dont-die-or-dont-invent-anything.html . Une des distinctions fondamentales que Charles W. Cobb et Paul H. Douglas introduisent au tout début de leur article est celle entre la croissance de production due à la croissance de productivité – donc au progrès technologique – d’une part, et celle due à un apport accru des facteurs de production. Ça, c’est ma première piste. La deuxième réfère à ma propre recherche sur l’intensité d’amortissement d’actifs fixes considérée comme mesure de vitesse de changement technologique.

Commençons par le début, donc par les distinctions initiales faites par Charles W. Cobb et Paul H. Douglas. Tout d’abord, pour pouvoir passer rapidement entre la théorie et les tests empiriques, je transforme l’équation de base de la fonction de production. Dans sa version théorique, la fonction de production de Cobb – Douglas est exprimée par l’équation suivante :

Q = Ka*Lß*A

où « Q » est, bien sûr, le produit final, « K » est l’apport de capital physique, « a » est son coefficient de rendement, « L » veut dire l’apport de travail, « ß » est le rendement du travail, et le « A » est tout ce que vous voulez d’autre et c’est appelé élégamment « facteur de coordination ».

Pour faciliter des vérifications empiriques rapides, je transforme cette fonction en un problème linéaire, en utilisant les logarithmes naturels :

ln(Q) = c1*ln(K) + c2*ln(L) + Composante résiduelle

Dans cette équation transformée, je sépare l’apport des facteurs de production du tout le reste. Je leur attribue des coefficients linéaires « c1 » et « c2 » et tous les facteurs de productivité à proprement dite sont groupés dans la « composante résiduelle » de l’équation. Comme vous pouvez le constater, dans les sciences économiques, c’est comme dans une famille respectable : lorsque quelqu’un se comporte d’une façon pas vraiment compréhensible, on l’isole. C’est le cas de la productivité dans mon problème : je ne comprends pas vraiment sa mécanique, donc je la mets dans une camisole de force, bien isolée du reste de l’équation par le signe confortable d’addition.

J’utilise la base de données Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[2]) comme source principale d’informations. Elle contient deux mesures alternatives du Produit Intérieur Brut (PIB) : côté production, appelée ‘rgdpo’, et côté consommation finale, servi sous l’acronyme ‘rgdpe’. Intuitivement, je sens que pour parler production et productivité il vaut mieux utiliser le PIB estimé côté production. Quant au côté droit de l’équation, j’ai deux mesures toute faite de capital physique. L’une, appelée « rkna », mesure le stock de capital physique en dollars US, aux prix constants 2011. La deuxième, désignée comme « ck », corrige la première avec la parité courante du pouvoir d’achat. J’avais déjà testé les deux mesures dans ma recherche et la deuxième, celle corrigée avec le pouvoir d’achat courant, semble être moins exposée aux fluctuations des prix. Je peux risquer une assomption que la mesure « ck » est plus proche de ce que je pourrais appeler l’utilité objective d’actifs fixes. Je décide donc, pour le moment, de me concentrer sur « ck » comme ma mesure de capital. Par la suite, je pourrais revenir à cette distinction particulière et tester mes équations avec « rkna ».

Quant à la contribution du facteur travail, Penn Tables 9.0 fournissent deux mesures : le nombre des personnes employées, ou « emp », ainsi que le nombre moyen d’heures travaillées par une personne, ou « avh ». Logiquement, L = emp*avh. Finalement, je teste donc empiriquement le modèle suivant :

ln(rgdpo) = c1*ln(ck) + c2*ln(emp) + c3*ln(avh) + Composante résiduelle

Bon, je teste. J’ai n = 3 319 observations « pays – année », et un coefficient de détermination égal à R2 = 0,979. C’est bien respectable, comme exactitude te prédiction. Allons voir le côté droit de l’équation. Le voilà :

ln(rgdpo) = 0,687*ln(ck), erreur standard (0,007), p-valeur < 0,001

+

           0,306*ln(emp), erreur standard (0,006), p-valeur < 0,001

+

-0,241*ln(avh), erreur standard (0,049), p-valeur < 0,001

+

Composante résiduelle = 4,395, erreur standard (0,426), p-valeur < 0,001

Maintenant, pour être cent pour cent sage et prévoyant comme scientifique, j’explore les alentours de cette équation. Les alentours en question, ils consistent, d’une part, en une hypothèse nulle par rapport à la productivité. Je teste donc une équation sans composante résiduelle, ou toute différence temporelle ou spatiale entre les cas individuels de PIB est expliquée uniquement par des différences correspondantes d’apport des moyens de production, sans se casser la tête avec la composante résiduelle, ainsi qu’avec la productivité cachée dedans. D’autre part, mes alentours sont faits de la stabilité (ou instabilité) structurelle de mes variables. J’ai une façon un peu rudimentaire d’appréhender la stabilité structurelle. Je suis un gars simple, quoi. C’est peut-être ça qui me fait faire de la science. Si j’ai deux dimensions dans ma base de données – temps et espace – j’étends mes données sur l’axe du temps et j’étudie la variabilité de leur distribution entre pays, chaque année séparément, en divisant la racine carrée de variance entre pays par la valeur moyenne pour tous les pays. La structure dont la stabilité je teste de cette façon c’est la structure géographie. Structure géographique n’est pas tout, vous direz. Tout à fait, encore que l’histoire nous apprend que quand la géographie change, tout un tas d’autres choses peut changer.

Bon, l’hypothèse nulle d’abord. Je me débarrasse de la composante résiduelle dans l’équation. Avec le même nombre d’observations, donc n = 3 319, j’obtiens un coefficient de détermination égal à R2 = 1,000. C’est un peu louche, ça, parce que ça indique que mon équation est en fait une identité comptable et ça ne devrait pas arriver si les variables ont de l’autonomie. Enfin, regardons ça de plus près :

 ln(rgdpo) = 0,731*ln(ck), erreur standard (0,004), p-valeur < 0,001

+

                      0,267*ln(emp), erreur standard (0,004), p-valeur < 0,001

+

              0,271*ln(avh), erreur standard (0,007), p-valeur < 0,001

Au premier coup d’œil, la composante résiduelle dans mon équation de base, ça couvrait surtout des déviations vraiment résiduelles, apparemment causées par des anomalies dans l’influence de rendement individuel par travailleur, donc du nombre d’heures travaillées, en moyenne et par personne. En fait, on pourrait se passer du tout ce bazar de productivité : les différences dans l’apport des moyens de production peuvent expliquer 100% de la variance observée dans le PIB. La mesure de productivité apparaît donc comme une explication de rendement anormalement bas de la part du capital et du travail. Je fais un pivot de la base de données, où je calcule les moyennes et les variances annuelles pour chaque variable, ainsi que pour les composantes résiduelles du PIB, possibles à calculer sur la base de ma première équation linéaire. Je passe tout ça dans un fichier Excel et je place le fichier sur mon disque Google. Voilà ! Vous pouvez le trouver à cette adresse-ci : https://drive.google.com/file/d/0B1QaBZlwGxxAZHVUbVI4aXNlMUE/view?usp=sharing .

Je peux faire quelques observations à faire à propos de cette stabilité structurelle. En fait, c’est une observation de base, que je pourrais ensuite décomposer à souhait : la chose fondamentale à propos de cette stabilité structurelle, c’est qu’il n’y en a pas. Peut-être, à la rigueur, on pourrait parler de stabilité dans la géographie du PIB, mais dès qu’on passe sur le côté droit de l’équation, tout change. Comme on pouvait l’attendre, c’est la composante résiduelle du PIB qui a le plus de swing. J’ai l’impression qu’il y a des périodes, comme le début des années 1960, ou des 1980, quand la géographie inexpliquée du PIB devenait vraiment importante. Ensuite, la variable d’heures travaillées par personne varie dans un intervalle au moins un ordre de grandeur plus étroit que les autres variables, mais c’est aussi la seule qui démontre une tendance claire à croître dans le temps. De décade en décade, les disparités géographiques quant au temps passé au boulot s’agrandissent.

Bon, temps de résumer. La fonction de production de Cobb – Douglas, comme je l’ai testée dans une forme linéaire assez rudimentaire, est loin d’accomplir les rêves de par Charles W. Cobb et Paul H. Douglas. Si vous prenez la peine de lire leur article, ils voulaient une séparation claire entre la croissance de production à espérer par la suite d’investissement, et celle due aux changements technologiques. Pas vraiment évident, ça, d’après ces calculs que je viens de faire. Ces deux chercheurs, dans la conclusion de leur article, parlent aussi de la nécessité de créer un modèle sans facteur « temps » dedans. Eh bien, ça serait dur, vu l’instabilité structurelle des variables et de la composante résiduelle.

Je fais un dernier test, celui de corrélation entre la composante résiduelle que j’ai obtenue avec mon équation linéaire de base, et la productivité totale des moyens de production, comme données dans Penn Tables 9.0. Le coefficient de corrélation de Pearson entre ces deux-là est de r = 0,644. Significatif et logique et néanmoins différent de 1,00, ce qui est intéressant à suivre.

Je rappelle que je suis en train de jumeler deux blogs dans deux environnements différents : Blogger et Word Press. Vous pouvez donc trouver les mêmes mises à jour sur http://researchsocialsci.blogspot.com ainsi que sur https://discoversocialsciences.wordpress.com .

[1] Charles W. Cobb, Paul H. Douglas, 1928, A Theory of Production, The American Economic Review, Volume 18, Issue 1, Supplement, Papers and Proceedings of the Fortieth Annual Meeting of the American Economic Association (March 1928), pp. 139 – 165

[2] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt

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