Thomas Bayes, Satoshi Nakamoto et bigos

Mon éditorial

J’hésite entre continuer à explorer la logique mathématique de Thomas Bayes (Bayes, Price 1763[1]), et celle de Satoshi Nakamoto, le fondateur mystérieux de Bitcoin.. Je me dis qu’il serait intéressant d’être bien polonais, cette fois. Chez nous, en Pologne, nous avons un plat appelé « bigos » : un peu comme la choucroute française, mais avec plus de prédilection pour mélanger des ingrédients divers, dans une base faite de choux cuit. Du choux cuit, ça a une odeur si forte que quoi que vous y ajoutiez servira à mitiger et affiner. Mes choux c’est l’idée de systèmes énergétiques locaux basés sur les énergies renouvelables (choux) et la théorie de probabilité c’est l’eau pour le cuire. Je pense qu’il est intéressant de mélanger, dans cette base, Thomas Bayes et Satoshi Nakamoto façon « bigos ».

Avec Thomas Bayes j’entre donc un univers essentiellement spatial et géométrique, où tout ce qui peut possiblement se passer et défini comme un rectangle ABCD et où deux balles jetées l’une après l’autre simulent les évènements dont l’occurrence m’intéresse le plus. Alors que la première balle, que Thomas Bayes appelle « W », soit jetée sur le rectangle, elle s’arrête en un point défini. On trace une ligne droite, parallèle à AD, à travers ce point. Elle coupe les côtés CD et AB en des points dénommés respectivement « s » et « o ». Voilà que mon univers se rétrécit à un rectangle plut petit, compris entre le côté AD du grand rectangle et la droite s_o. Comme je jette ma deuxième balle, dénommée « O » dans la notation originelle de Bayes, je la jette plusieurs fois, ou « n ». Si la balle O tombe dedans ce petit rectangle, entre le côté AD et la droite s_o, c’est un succès que Thomas Bayes dénomme M. Le nombre de fois que j’achève ce succès M est symbolisé avec « p », et le nombre d’échecs (pas de M, désolé) porte le symbole de q.

Avec Satoshi Nakamoto, je plonge dans un univers de transactions financières effectuées façon Blockchain, donc comme endossage consécutif garanti par une chaîne des registres dans un réseau. Selon la définition initiale de la part de Satoshi Nakamoto : « Nous considérons le scenario d’un agresseur qui essaie de générer une chaîne alternative (de transactions) plus vite que se constitue la chaîne honnête. Même si ceci est accompli, ça n’ouvre pas le système aux changements arbitraires, comme la création de valeur à partir du néant ou prendre l’argent qui n’a jamais appartenu à l’agresseur. Les nœuds du réseau ne vont pas accepter une transaction non-valide comme paiement, et les nœuds honnêtes n’accepteront jamais un registre qui les contient. Un agresseur peut seulement essayer de changer une de ses propres transactions pour reprendre l’argent qu’il a récemment dépensé ».   

L’intentionnalité est la première différence notable entre ces deux univers de probabilité : celui de Thomas Bayes et celui de Satoshi Nakamoto. La logique Bayésienne considère les évènements étudiés comme le résultat du pur hasard ou d’un processus si complexe et inconnu que de notre point de vue c’est du hasard. La logique de Bitcoin c’est un univers d’actions intentionnelles où on parle de succès ou échec dans l’accomplissement d’un objectif. Voilà du « bigos » intéressant. La deuxième différence, plus abstraite et peut-être plus subtile, est la façon de définir le succès de l’action. Chez Thomas Bayes, le succès consiste à se trouver, lorsque tout a été fait et dit, dans une gamme d’états possibles, genre entre la frontière de mon univers et une droite qui le coupe en deux. Chez Nakamoto, l’agresseur peut parler du succès si et seulement s’il accomplit un objectif très concret, c’est-à-dire s’il réussit à annuler ses propres paiements et faire revenir le pognon dans sa poche.

Si j’utilise ces deux cadres de référence pour aborder, de façon scientifique, mon idée de systèmes énergétiques locaux, avec mes quatre conditions Q(E) = D(E) = S(RE) ; P(E) ≤ PP(E) ; ROA ≥ ROA*, W/M(T1) > W/M(T0), la logique Bayésienne me dit que les valeurs de référence dans mon business plan seront plus ou moins exogènes à mes efforts : elles seront comme la position de cette première balle W. La demande d’énergie D(E), le pouvoir d’achat individuel PP(E) par rapport à cette énergie, la valeur de référence ROA* pour mon taux de retour sur actifs, ainsi que la proportion initiale W/M(T0) entre les transactions W, payées avec le Wasun, la monnaie virtuelle locale, et celles effectuées en monnaie officielle M : tout ça sera donné objectivement, plus ou moins. Alors que j’ai ces repères, je peux soit continuer dans la logique Bayésienne – et étudier la probabilité de tout un éventail des situations qui remplissent mes conditions générales – soit suivre la logique de Satoshi Nakamoto et essayer de décrire des succès et des échecs possibles en des termes très, très précis.

La logique de Thomas Bayes semble reposer, dans une large mesure, sur la lemme 1, qu’il formule juste après avoir tracé cet univers rectangulaire ABCD avec deux balles jetées dedans : « La probabilité que le point o tombera entre une paire quelconque des points sur le côté AB (du rectangle ABCD) est la proportion de la distance entre ces deux points à la longueur totale de AB ». Pour ceux qui sont juste modérément fanas des maths : une lemme est une sorte de théorème adjacent, comme instrumental au théorème principal. Une lemme est donc une hypothèse prouvée, genre en passant, dans le cadre d’une preuve plus large. Thomas Bayes offre une preuve géométrique très élaborée de cette lemme, encore que moi, personnellement, je pense qu’il est plus intéressant de démontrer le sens de cette proposition dans la vie réelle, plutôt que suivre un chemin géométrique rigoureux. Alors voilà : vous tournez le dos à un arbre et vous jetez des pierres par-dessus votre épaule, sans regarder. Vous avez une sorte d’univers derrière vous, qui est fait de toutes les endroits possibles où vos pierres peuvent atterrir. Dans cet univers, il y a comme un sous-univers fait de l’arbre. Chaque fois qu’une pierre touche l’arbre, l’évènement compte comme succès. Sinon, c’est un échec. Le bon sens dit que plus gros est cet arbre derrière vous, par rapport à votre champ de tir complet, plus grandes sont les chances que vos pierres frappent l’arbre. La logique opérationnelle derrière cette lemme est tout aussi terre-à-terre : plus larges sont les limites de ce que je définis comme succès, par rapport à la taille entière de mon univers de probabilité, plus grandes sont mes chances d’achever ce succès. Si une fille cherche un gars de haute taille comme candidat pour fiançailles, la probabilité d’en trouver un entre 175 centimètres et 2 mètres dix est plus grande que de trouver un futur père de ses enfants qui aie exactement 189 centimètres.

La logique Bayésienne implique donc que je définisse mon succès comme un éventail de situations possibles. En revanche, Satoshi Nakamoto suit une logique de séquence temporelle. Une situation a deux résultats possibles : soit l’agresseur réussit à rempocher son argent de façon frauduleuse, soit il échoue. La probabilité de Nakamoto est basée sur le nombre de pas nécessaires pour achever le résultat. Plus de nœuds dans le réseau l’agresseur devra dominer, par rapport au nombre total des nœuds, plus il lui sera difficile d’atteindre son but. Plus de nœuds honnêtes nous avons dans le réseau, en proportions à la taille totale du réseau, plus il est facile d’en garder l’intégrité financière. Nakamoto parle de séquence puisque le fait d’atteindre chaque nœud et essayer de le dominer est un pas séparé dans la séquence d’actions entreprises par l’agresseur. Remarquez : c’est la même logique de base que chez Bayes, la logique des proportions, mais représentée comme une chaîne d’évènements plutôt que comme un univers plat et statique.

En revenant à mes oignons, je peux appréhender mon concept général de ces deux façons distinctes. Je peux définir mon objectif de la façon que j’ai déjà montré – Q(E) = D(E) = S(RE) ; P(E) ≤ PP(E) ; ROA ≥ ROA*, W/M(T1) > W/M(T0) – ou bien je peux représenter ces conditions comme des séquences d’actions et les décrire en termes du nombre de pas nécessaires. Combien de clients dois-je acquérir pour pouvoir achever Q(E) = D(E) = S(RE) ? Combien de nœuds ai-je besoin de créer dans mon réseau de Wasun pour achever W/M(T1) > W/M(T0) ? Je peux aussi muter cette logique (Nakamotienne ?) un tout petit peu et remplacer la dimension temps par une dimension ressources : combien de capital je dois investir pour atteindre mes objectifs etc. ?

[1] Mr. Bayes, and Mr Price. “An essay towards solving a problem in the doctrine of chances. by the late rev. mr. bayes, frs communicated by mr. price, in a letter to john canton, amfrs.” Philosophical Transactions (1683-1775) (1763): 370-418

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