Mon éditorial
Je suis en train de résumer les résultats de la recherche – aussi bien ma propre recherche empirique que la revue de littérature – que j’avais faite durant les deux derniers jours. A titre de rappel : je suis en train d’explorer le rôle des systèmes monétaires dans la transition vers les énergies renouvelables. Je vois que cette exploration prend deux dimensions contingentes : le changement structurel comme tel, et les effets d’échelle d’autre part. J’explique. J’ai deux variables de base qui forment l’état désirable des choses : la part relative d’énergie renouvelable dans la consommation totale d’énergie et la part d’énergie renouvelable dans la production primaire d’électricité . Bien sûr, l’idéal serait 100% dans chacun de ces deux cas, mais – comme vous pouviez le constater dans le court survol du contexte local en Inde et en Espagne (voir ‘Deux théories, deux environnements’) ce n’est pas évident du tout. Mon objectif en termes de recherche est d’étudier les phénomènes qui ont une influence significative sur cette transition.
Je peux faire deux hypothèses de base. Premièrement, je peux dire que la structure du marché de l’énergie est influencée par la structure de quelque chose d’autre. J’ai une structure « A », donc celle du marché de l’énergie, et une structure « B », qui correspond à ce quelque chose d’autre. Dans cette approche, prise purement et strictement, je bâtis un modèle mathématique avec des variables structurelles, donc avec des proportions. Par ailleurs, j’ai déjà identifié au moins une corrélation de ce type, c’est-à-dire celle entre la part d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie et la part des salaires (rémunération de travail) dans le PIB. Deuxièmement, je peux formuler l’hypothèse que la structure du marché de l’énergie dépend de la quantité de quelque chose d’autre, par exemple de la quantité absolue de l’énergie consommée. Dans cette approche-là, une structure marche de façon congruente avec une quantité. L’idée de base est très proche de ce que j’ai présenté hier, dans « Countries never behave as they should » : le passage vers les énergies renouvelables au niveau de la production primaire d’électricité dépend significativement de la taille absolue du marché final d’énergies renouvelables.
Je peux mettre ces deux hypothèses dans un même modèle. Il est possible de combiner les variables structurelles avec des variables de quantité dans une seule équation. Comme je m’apprête à écrire un article sur le rôle des systèmes monétaires dans la transition énergétique, je viens de remarquer qu’il me manque encore une pièce du puzzle : une équation purement quantitative, genre gros équilibre monétaire. En d’autres mots, il serait bon que je concocte – et que je teste – une équation basée sur ce principe monétariste fondamental qui nous dit :
P * T = M * V
(Index des prix) (Volume des transactions) (masse monétaire) (vélocité de l’argent)
Bien que l’équation monétariste soit très largement une astuce purement arithmétique, qui se réduit à la tautologie Q = Q, elle donne une idée intéressante : T = M*V/P où le volume de transactions dans un marché dépend de la masse monétaire en circulation, de sa vélocité ainsi que du niveau des prix. C’est donc l’idée générale que si je mets le volume du marché d’énergies renouvelables sur le côté gauche d’une équation, je veux retrouver sur le côté droit les variables monétaires ainsi que le niveau des prix. Il se fait que la base de données que j’ai à ma disposition j’ai une décomposition très détaillée du niveau des prix : les prix de consommation (pl_c), ceux d’investissement (pl_i), de dépenses publiques (pl_g), de l’exportation (pl_x) ainsi que d’importation (pl_m). J’ai donc à ma disposition des indexes de prix pour chaque composante de demande finale agrégée. C’est la contribution originale des créateurs de Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[1]).
Je développe donc une hypothèse monétariste à propos du marché d’énergies renouvelables et je la teste, surtout pour vérifier quel est le pouvoir explicatif de cette approche, comparée à celles que j’avais déjà étudié précédemment. Pour chaque observation « pays – année » dans ma base de données, je calcule le produit de deux indicateurs « énergétiques » fournis par la Banque Mondiale – la part des renouvelables dans na consommation finale d’énergie multipliée par le coefficient de consommation finale d’énergie par tête d’habitant (en kilogrammes d’équivalent pétrole, donc en des blocks d’à peu près 11,63 kilowattheures) – et ensuite je multiplie le résultat par le nombre desdites têtes d’habitants. J’obtiens le volume absolu du marché d’énergies renouvelables, que je baptise « RenQ ». Si vous faites ça par vous-mêmes, faites gaffe aux ordres de magnitude : la Banque Mondiale fournit les pourcentages comme des nombres des points de pourcentage. Dans ces tables Excel que vous pouvez télécharger, 22% sera donc le chiffre « 22 » et ainsi de suite. Faut diviser ça par 100 pour pouvoir l’insérer dans vos calculs.
En ce qui concerne les variables monétaires, c’est du bien connu. J’ai cette variable structurelle de la Banque Mondiale, la masse monétaire comme pourcentage du PIB qui n’est donc rien d’autre que l’inverse de la vélocité V de l’argent. Je peux l’utiliser dans une équation monétariste à la simple condition de lire les résultats de régression à l’envers. Lorsque je multiplie ce coefficient par le PIB côté demande finale, fourni par les Penn Tables 9.0, j’obtiens la masse monétaire M présente dans le système. Bon, donc maintenant il n’y a plus qu’à poser ln(RenQ) = a1*ln(M) + a2*ln(V) + a3*ln(pl_c) + a4*ln(pl_i) + a5*ln(pl_g) + a6*ln(x) + a7*ln(pl_m) + constante résiduelle et tester tout ce bazar, dans un ensemble de données fait de n = 2 037 observations valides. Voilà alors que j’ai un coefficient de détermination R2 = 0,389 et les coefficients de régression à trouver dans la table 1, ci-dessous.
Table 1
Variable | coefficient | Erreur standard | Statistique t | p-valeur |
ln(M) | 0,808 | 0,03 | 26,526 | 0,000 |
ln(pl_c) | -1,099 | 0,198 | -5,558 | 0,000 |
ln(pl_i) | 1,084 | 0,185 | 5,859 | 0,000 |
ln(pl_g) | -0,096 | 0,113 | -0,845 | 0,398 |
ln(pl_x) | 3,554 | 0,503 | 7,061 | 0,000 |
ln(1/V) | -1,501 | 0,128 | -11,749 | 0,000 |
ln(pl_m) | -2,963 | 0,638 | -4,647 | 0,000 |
Valeur résiduelle | 18,867 | 0,464 | 40,628 | 0,000 |
Ce n’est pas vraiment de l’impressionnant, vu ce R2, mais c’est plutôt du solide. Sauf la corrélation un peu fofolle de l’index des prix des dépenses publiques « pl_g », qui indique un doute sérieux à propos du facteur fiscal dans ce modèle, le reste à l’air bien robuste. Conclusion générale : le modèle monétariste explique pratiquement 39% de la variance observée dans la taille absolue du marché d’énergies renouvelables. Comme je dois lire le coefficient de 1/V à l’envers, je peux conclure que l’offre de la masse monétaire aussi bien que sa vélocité ont un impact positif sur la taille dudit marché. Ceci, à son tour, veut dire que l’efficacité du système bancaire n’est pas à négliger.
Ensuite, le coefficient positif qui accompagne les prix de l’investissement suggère que dans l’échantillon étudié la croissance du marché des renouvelables est associée avec une demande croissante sur le marché des biens de production en général, donc avec ce qu’on appelle parfois la croissance Schumpétérienne. Les coefficients des prix de commerce extérieur – positif à l’exportation et négatif en ce qui concerne les importations – est congruente avec les résultats de recherche publiés par Peter D. Lund (Lund 2009[2]) : plus la position commerciale du pays (en termes de valeur ajoutée) est avantageuse, plus grand est le marché d’énergies renouvelables. Vu la magnitude des coefficients associés avec ces prix de commerce extérieur, ce facteur de position commerciale a l’air beaucoup plus important que je ne le pensais initialement.
[1] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt
[2] Lund, P.D., 2009, Effects of energy policies on industry expansion in renewable energy, Renewable Energy 34 (2009) 53–64