Mon éditorial
Dans ma recherche, je me concentre provisoirement sur un sujet qui émerge un peu par lui-seul : le Fintech. C’est une sacrée bête, ce Fintech, un peu comme Marsupilami : il est même difficile de dire exactement qu’est-ce que c’est, tout ce bazar de Fintech. Lorsque mes étudiants me posent la question « Qu’est-ce que le Fintech ? » et ils attendent une réponse simple, eh bien, ils peuvent bien attendre. Si j’en avais une, de réponse simple, je la donnerais volontiers, seulement je n’en ai pas. Enfin, si, j’en ai une, mais elle est à peine intelligible : « le Fintech consiste à utiliser une plateforme de technologie numérique pour organiser des transactions financières, souvent avec l’utilisation de la technologie Blockchain ». Charmante dans sa brièveté, cette réponse, et lorsque je la donne à mes étudiants, leur réaction est celle de quelqu’un qui vient d’entendre quelque chose de complètement incompréhensible et néanmoins veut faire semblant de comprendre parfaitement. « Une plateforme de technologie numérique pour organiser des transactions financières ? Bien sûr ! Alors là, c’est clair. Donc une carte bancaire, c’est du Fintech ? ». Ouais, comment répondre à ça ? Oui et non, en principe. Oui, un système de cartes bancaires c’est une technologie numérique qui sert à organiser des transactions financières, seulement, comment le dire ? Un système des cartes bancaires est au Fintech ce qu’une hache est à un robot industriel dans une scierie et en plus, ce robot est doté d’intelligence artificielle.
C’est précisément cet aspect d’intelligence qui est le trait distinctif de Fintech par rapport aux technologies telles que les cartes bancaires. Je parle d’intelligence artificielle en tant que technologie mais ce qui est au moins aussi important dans le Fintech est le phénomène beaucoup plus diffus et néanmoins plus fondamental d’intelligence collective des réseaux d’utilisateurs. Ce le point essentiel de de cet article par Satoshi Nakamoto, le fondateur mystérieux de Bitcoin : le comportement des participants dans un réseau pair à pair de paiements électroniques forme une barrière tout aussi efficace contre des actions frauduleuses que celle offerte par les technologies d’encryptage. Je peux donc enrichir ma définition de Fintech : c’est une méthode d’organiser l’activité économique, avec l’aide d’une plateforme de technologie numérique, souvent basée sur le principe de Blockchain, où un certain type des comportements dans un réseau de participants est garant de la stabilité d’un réseau des transactions financières, qui, à leur tour, rendent possible le transfert de capital dans le réseau des participants. Je vous avais dit : si vous attendez une réponse simple à propos de ce qu’est le Fintech, je n’en ai pas. J’en ai une qui est bien compliquée et abstraite, mais voilà toute l’importance de la pensée abstraite : lorsque j’ai affaire à des phénomènes à peine intelligibles pour mon propre cerveau – et ce cerveau à moi, je le partage avec mon singe curieux, mon bouledogue joyeux et mon moine discipliné, et ça fait du monde dans un seul cerveau – j’ai besoin de raccourcis intellectuels, de quelque étiquette générale que je peux provisoirement coller sur un fragment de réalité. Le premier fragment de réalité en question, le voilà : il y a des gens qui créent des technologies numériques, qui, à leur tour, rendent possible un réseau des paiements pair à pair, c’est-à-dire sans l’intermédiation d’une institution financière, ainsi que sans garantie de liquidité offerte par une telle institution. Ça, ce sont les velociraptors de Fintech : les crypto-monnaies. A première vue, il faudrait être fou pour s’engager dans un tel système et néanmoins il y en a pas mal de fous comme ça. Le 17 août 2010, lorsque la première crypto-monnaie, le fameux Bitcoin, a été cotée contre le dollar américain pour la première fois, il y avait déjà quelques 400 participants systématiques dans le jeu. En d’autres mots : il y a toujours une poignée de clients qui s’engagent volontiers dans un système des paiements nouveau même si le système en question repose sur un paradoxe : sa solidité dépend du nombre des gens qui le joignent et qui veulent bien jouer réglo. Une fois que ces pionniers s’y soient engagés, ils forment la base même du réseau et facilitent ainsi l’entrée des participants moins téméraires, certes, mais plus fidèles à long terme.
Le code génétique des crypto-monnaies peut se combiner avec celui de la finance traditionnelle. C’est ainsi qu’émergent des systèmes des paiements rapides en ligne, comme PayPal ou PayZen. Les technologies d’encryptage caractéristiques aux crypto-monnaies y sont combinées avec la présence des banques comme garants des paiements. Moi, je m’intéresse plus particulièrement à une autre espèce hybride : des crypto-monnaies attachées aux actifs financiers. Récemment, j’avais remarqué le démarrage d’un projet intéressant dans ce domaine, en Estonie, sous le nom de WePower . L’idée centrale est d’émettre une crypto-monnaie dont chaque unité (le soi-disant token) est attachée à un contrat à terme pour le futur achat d’une kilowatt heure d’électricité des sources renouvelables. Un token = 1 kWh dans l’avenir. L’intention de cette structure est de créer un flot de capital vers les créateurs des centrales électriques basées sur les énergies renouvelables. En vendant aujourd’hui leur puissance fournie dans l’avenir, WePower crée un mécanisme d’escompte sur les ventes futures pour fournir du capital dans le moment présent.
Il y a une composante casse-tête dans ce concept financier. En gros, quelle doit être la proportion entre la quantité totale d’énergie future que j’escompte aujourd’hui sous la forme des tokens WePower, d’une part, et la quantité d’énergie future vendue « normalement » dans l’avenir. J’ouvre mollo. J’assume que toute centrale électrique en voie de construction, à être mise en service dans l’avenir, une fois qu’elle se trouve dans ce schéma WePower, déploie sa production totale d’énergie QE dans le temps de façon à avoir de l’énergie future à vendre aujourd’hui, que je note comme QE(t-1). A part QE(t-1), ce serait une bonne idée d’avoir de l’énergie future à vendre dans l’avenir comme énergie présente dans cet avenir qui sera alors le présent. Je note cette fraction de production comme QE(t0). Un peu en cas où, j’ajoute une portion QE(t1), qui sera de l’énergie encore plus future par rapport au moment t0, qui est l’avenir de mon présent courant et qui se sentira mieux, à coup sûr, s’il aura un avenir t1 bien à lui. Je ne pas d’idée bien claire ce que je peux faire, en termes de modèle économique, avec ce QE(t1). Je pense simplement qu’il vaut toujours mieux d’avoir une vision articulée de l’avenir. Somme toute, j’obtiens cette première équation :
QE = QE(t-1) + QE(t0) + QE(t1) (1)
C’est alors que je fais un salut dans la direction d’ingénieurs et j’assume que la production d’énergie, en général, est une fonction de trois facteurs : la puissance installée PW, son degré d’utilisation U, ainsi que le nombre d’heures H dans l’année durant lesquelles j’exploiterai cette puissance PW au niveau d’intensité U. Mon H total sur une année est égal à H = 8760 heures sur une année normale et HB = 8784 sur une année bissextile. De toute façon, lorsque j’assume QE = PW*U*H, l’équation (2), ci-dessous, pratiquement saute aux yeux :
QE = PW(t-1)*U(t-1)*H(t-1) + PW(t0)*U(t0)*H(t0) + PW(t1)*U(t1)*H(t1) (2)
A ce moment-là, je transforme une simple constatation des faits plus ou moins évidents en une stratégie (une combine ?) : j’inclus la composante prix dans le modèle. En général, je vends mon QE à un prix P, seulement là, je joue avec le temps et sur les variations des prix dans le temps. Aujourd’hui, donc dans le passé t-1 par rapport à l’avenir t0, je vends mon énergie future à P(t-1) une kilowatt heure. Dans l’avenir t0, qui sera son propre présent, je vendrai ma kilowatt heure à P(t0) la pièce et j’envisagerai de vendre mes kilowatt heures encore plus futures, soit PW(t1)*U(t1)*H(t1), à un prix de P(t1). En tout cas, j’ai (3) :
QE*P = PW(t-1)*U(t-1)*H(t-1)*P(t-1)
+ PW(t0)*U(t0)*H(t0)*P(t0)
+ PW(t1)*U(t1)*H(t1)*P(t1) (3)
Maintenant, j’assume que l’énergie vendue en avance dans le présent (qui est le passé du futur immédiat) apporte une injection de capital KWP (ça vient du « capital dans le système WePower). Le financement total K d’investissement en la puissance future consiste en KWP plus un montant résiduel Krés collecté d’autres sources. J’ai donc K = KWP + Kres . Pour que toute la combine (le mot « stratégie me semble un peu grandiloquent pour l’instant) aie des bras et des jambes – comme nous disons en Pologne – le flux de revenu PW(t0)*U(t0)*H(t0)*P(t0) + PW(t1)*U(t1)*H(t1)*P(t1) moins le coût total de production TC(t0) et TC(t1) – doit être supérieur à cette portion résiduelle Krés de capital (il faut que toute l’opération donne un positif flux de trésorerie). Je peux donc prudemment formuler deux conditions d’équilibre financier dans un projet comme WePower :
KWP < PW(t-1)*U(t-1)*H(t-1)*P(t-1)
Kres < PW(t0)*U(t0)*H(t0)*P(t0) + PW(t1)*U(t1)*H(t1)*P(t1) – TC(t0) – TC(t1)