Lettres de la zone rouge

Mon éditorial sur You Tube

Ça fait du temps depuis ma dernière mise à jour en français. Après une période de silence complet, suivie par une période de mises à jour exclusivement en anglais, je retourne à écrire en français aussi. C’était le rythme que je suivais dans le passé et j’aimais bien. Écrire en anglais et en français, sur les mêmes sujets, me donne comme une perspective sous deux angles différents. Oui, je sais, vu que nous avons des traducteurs automatiques, à présent, nous devenons habitués à l’idée que des langues différentes sont des façons alternatives de dire la même chose. À travers mon expérience personnelle, je peux dire que ce n’est pas vrai. Bien sûr, il y a dans chaque langue cette couche parfaitement traduisible, comme les jours de la semaine. Néanmoins, il y a plus : une langue est une structure cognitive que j’utilise pour appréhender la réalité. Mon polonais natal, l’anglais et le français, bien que pas très distants géographiquement, sont pour moi des structures cognitives distinctes.

Le fait de réalité que je suis en train d’appréhender à travers ces paires de lunettes différentes est le fait de perdre de l’argent en Bourse. Douloureux mais éducatif. Je veux faire cette expérience encore plus éducative en la discutant en des langues différentes. C’est le truc ninja que j’ai découvert en bloguant : lorsque je décris et discute par écrit ce que je fais je développe mes compétences dans ce champ d’activité spécifique.  Ça fait quelques semaines que j’avais décidé de retourner dans le jeu boursier, j’utilise mon blog pour développer ma stratégie d’investissement à long terme et j’ai déjà donné un compte rendu progressif de ce retour dans mes mises à jour en anglais : « Back in the game »  , « Fathom the outcomes », « Sharpen myself », « Bloody hard to make a strategy » et enfin « Rowing in a tiny boat across a big ocean ».        

J’avais décidé de retourner dans le jeu boursier juste avant la panique coronavirus. C’est comme dans ces films, où le personnage principal s’arrête dans un hôtel paisible et le jour suivant l’endroit est attaqué par des loup-garous ou bien un volcan explose dans la proximité. La panique explose dans les marchés financiers et moi, je me dis deux choses. Premièrement, bien sûr, je me dis : « Merde ! Fallait vraiment que ça arrive juste au moment où j’ai décidé de redevenir investisseur… ». Ensuite, lorsque je passe au-delà de ce gémissement de base, je me dis : « Des stratégies efficaces à long terme, ça se forge plus que ça s’invente. Il faut de l’adversité pour se faire une idée juste de ce que mes idées valent vraiment. Une bonne stratégie d’investissement sur plusieurs années – donc précisément ce que je veux développer – je ferais mieux de la tester dans un environnement difficile ».

Le contexte, c’est surtout du rouge. Dans mon portefeuille de valeurs, le sang coule abondamment. Cette métaphore veut dire que je note des pertes – habituellement affichées en rouge – sur presque toutes mes positions d’investissement. Presque toutes : je vois une petite tâche verte, donc un retour positif sur l’investissement. C’est Incyte Corporation où je note un gain de +1,01% sur le prix initial d’ouverture. La question intuitive est « pourquoi ? », donc pourquoi est-ce que je gagne sur cette position spécifique pendant que le reste sombre dans le bain de jus de betterave (je ne veux pas répéter le mot « sang » tout le temps ; la betterave, ça peut être tout aussi dramatique, sous certaines conditions). Les questions qui viennent à l’esprit en premier lieu ne sont pas nécessairement les plus pertinentes. La recherche scientifique, ça m’a appris qu’au lieu de demander pourquoi, il vaut mieux demander « comment ? ». Lorsque je développe une compréhension approfondie de la façon dont les évènements surviennent, je peux généraliser en forme des raisons et causalités.

Lorsque je veux comprendre le comment des choses, j’aime bien utiliser la comparaison, bien dans l’esprit des empiristes. Je compare donc ce qui s’est passé avec Incyte Corporation avec ce qui est arrivé à Virgin Galactic Holdings , qui est la perte la plus vertigineuse dans mon portefeuille : – 34,13% en moins de deux semaines. Je teste donc la qualité du service www.bloomberg.com/quote et je fraye mon chemin à travers la première couche du « comment ? » : l’analyse technique. J’étudie les prix transactionnels et les volumes des transactions, pour ces deux valeurs (actions d’Incyte Corporation et celles de Virgin Galactic), afin de trouver des régularités. Puisque je veux expliquer la différence en termes de mon retour sur l’investissement en ces deux positions, je couvre la période de celui-ci, depuis le 18 février 2020 jusqu’à la dernière cotation, vendredi le 6 mars. Les chiffres correspondants à mon analyse se trouvent dans les deux tableaux ci-dessous. Plus loin, donc en-dessous des deux tableaux, je développe mon analyse.       

Incyte Corporation
Date  Volume des transactions  Prix  Valeur totale des transactions
2020, Février 18                 1 209 877   $                     79,30  $       95 943 246,10
2020, Février 19                 1 895 420   $                     82,42  $     156 220 516,40
2020, Février 20                 2 653 348   $                     82,77  $     219 617 613,96
2020, Février 21                 1 413 961   $                     80,89  $     114 375 305,29
2020, Février 24                 1 366 786   $                     78,87  $     107 798 411,82
2020, Février 25                 2 174 593   $                     77,32  $     168 139 530,76
2020, Février 26                 1 442 275   $                     77,97  $     112 454 181,75
2020, Février 27                 1 641 737   $                     75,84  $     124 509 334,08
2020, Février 28                 2 525 548   $                     75,41  $     190 451 574,68
2020, Mars 2                 2 261 393   $                     79,06  $     178 785 730,58
2020, Mars 3                 1 939 411   $                     77,80  $     150 886 175,80
2020, Mars 4                 2 043 844   $                     80,16  $     163 834 535,04
2020, Mars 5                 1 430 221   $                     78,61  $     112 429 672,81
2020, Mars 6                 1 800 123   $                     76,04  $     136 881 352,92
Virgin Galactic
Date  Volume des transactions  Prix  Valeur totale des transactions
2020, Février 18             104 077 763   $                     30,30  $   3 153 556 218,90
2020, Février 19               84 891 132   $                     37,35  $   3 170 683 780,20
2020, Février 20               45 297 426   $                     37,26  $   1 687 782 092,76
2020, Février 21               45 297 426   $                     33,87  $   1 534 223 818,62
2020, Février 24               46 110 165   $                     34,29  $   1 581 117 557,85
2020, Février 25               44 092 654   $                     34,04  $   1 500 913 942,16
2020, Février 26               40 127 391   $                     28,75  $   1 153 662 491,25
2020, Février 27               47 987 693   $                     21,97  $   1 054 289 615,21
2020, Février 28               35 531 152   $                     24,60  $      874 066 339,20
2020, Mars 2               20 098 112   $                     25,98  $      522 148 949,76
2020, Mars 3               20 098 112   $                     24,71  $      496 624 347,52
2020, Mars 4               15 466 394   $                     23,76  $      367 481 521,44
2020, Mars 5               14 124 114   $                     24,09  $      340 249 906,26
2020, Mars 6               12 867 806   $                     21,67  $      278 845 356,02

Le truc de base à se mettre en tête est que ces chiffres représentent, en partie, mais seulement en partie, des comportements humains – des décisions complexes prises en des situations d’incertitude – et la partie non-comportementale (ou plutôt pas immédiatement comportementale) correspond aux transactions automatisées sur la base des logiciels d’intelligence artificielle. Je décris les décisions des logiciels IA comme pas immédiatement comportementales puisque à l’origine, leurs algorithmes sont basés sur une logique imposée par leurs créateurs humains. D’habitude, des logiciels d’investissement contiennent une partie génétique, où l’algorithme s’optimise lui-même en écrivant des lignes de code supplémentaires, donc une fois lâchés de leur laisse, ces trucs peuvent former leur propre logique. Encore, il faut se souvenir que la plupart de ces logiciels achèvent une optimisation linéaire tout à fait simple, du type « donne mois plus de retour que celui offert par l’indice boursier ».

Chaque décision individuelle – donc strictement, humainement comportementale – prise dans le jeu boursier ressemble à surfing. Il y a une force motrice prédominante, soit la tendance temporaire du marché. L’investisseur comprend quelque peu de cette tendance, mais cette compréhension est toujours partielle. Ce que moi je veux comprendre maintenant est la tendance du marché dans ces deux cas – Incyte Corporation et Virgin Galactic Holdings – ainsi que des fines déclinaisons de cette tendance, des déclinaison qui font la différence dans mon retour sur ces deux investissement.

Par vertu de la théorie économique de base j’assume que le comportement de base dans le  marché boursier est la triade sacrée : acheter, garder ou vendre. Moi, pour le moment, vu la panique « coronavirus » je garde mes positions d’investissement comme elles sont, sans acheter plus et sans vendre. Les décisions d’acheter et de vendre sont largement symétriques : elles influencent le prix d’une valeur boursière lorsqu’elles rencontrent l’une l’autre et lorsqu’une transaction est conclue. En termes de comportement, la variable la plus intéressante est le volume des transactions, soit le nombre des valeurs échangées, dans la première colonne numérique de chaque tableau.

Là, dans les cas respectifs d’Incyte Corporation et de Virgin Galactic Holdings, deux modèles se dessinent. Le volume des transactions sur Incyte Corporation oscille, en le dernier volume enregistré, vendredi 6 mars, est en fait supérieur au premier volume observé le 18 février. L’intensité d’échange sur cette valeur démontre quelque chose comme réflexion intense de la part des investisseurs. Ce volume n’est pas du tout corrélé avec les variations des prix : le coefficient de corrélation de Poisson tombe à r = 0,06. Vu la structure mathématique de ce coefficient, il y a probablement trop d’à-coups soudains dans les deux variables. Ça remue, quoi. Si je gagne ou je perds sur cette position dans le marché, c’est précisément parce que ça remue. Dans le cas de Virgin Galactic Holdings, le volume des transactions suit une trajectoire descendante sans équivoque – tout comme le prix – et les deux sont significativement, positivement corrélés, avec r = 0,59. En même temps, bien le volume des transactions strictement dit que la valeur agrégée de ces transactions étaient beaucoup plus élevées dans le cas de Virgin Galactic Holdings que dans celui d’Incyte Corporation.

Je vois donc que les investisseurs se comportent de façon différente vis-à-vis de ces deux valeurs. Le marché boursier est complexe, il marche largement sur anticipation faite sur la base d’information vraiment disparate, et ces différences peuvent être largement le résultat des facteurs autres que les traits individuels de ces sociétés. Ceci dit, les caractéristiques individuelles de ces deux business respectifs peuvent jouer un rôle important pour leur performance boursière. Je passe dont de l’analyse technique à l’analyse fondamentale et jette commence à feuilleter (figurativement, bien sûr, ce sont des documents PDF) leur rapports annuels.   

Incyte Corporation c’est du business bien ancré financièrement. Plus de deux milliards de dollars de revenu en 2019, avec presque 447 millions de bénéfice net, c’est du solide et du hautement profitable. En plus, lorsque j’observe leur compte d’exploitation sur la période 2015 – 2019, je vois in progrès constant et solide. En revanche, Virgin Galactic Holdings c’est plutôt du futur que du présent. Le modèle de business consiste surtout en des dépenses substantielles sur la recherche et le développement des nouvelles technologies (presque 133 millions de dollars) – il s’agit des technologies de voyage spatial commercial – orné ci et là avec des revenus symboliques de 3,8 millions de dollars. Bien sûr, les opérations courantes de ce business sont profondément déficitaires.

Je connecte ces deux observations à la théorie d’investissement formulée par James Tobin et William Brainard, linguistiquement intéressante pour les francophones puisqu’que dans le jargon économique elle est désignée comme la théorie du « q » (regardez, par exemple : Yoshikawa 1980[1]). Dans cette perspective théorique, les titres financiers sujets à l’échange boursier sont surtout et avant tout des titres de contrôle d’actifs productifs exploités par les sociétés émettrices de ces titres. Dans la longue perspective, le marché boursier est donc fortement connecté au marché d’actifs productifs – donc le marché des technologies et de l’immobilier industriel – et cette connexion est plus importante que la mécanique purement interne de la Bourse.

Je me pose la question suivante : comment cette connexion entre les actifs et l’échange boursier d’actions marche dans les deux cas étudiés ici ? Dans le cas d’Incyte Corporation , le 18 février les investisseurs avaient fait des transactions égales à 2,8% d’actifs totaux de la société et le 6 mars les transactions journalières avaient fait 3,99% de la valeurs comptable d’actifs. Avec Virgin Galactic Holdings , c’est une histoire différente : le 18 février le mouvement boursier sue leurs actions avait fait 520,78% de la valeur comptable de leurs actifs, pour descendre à 46,05% desdits actifs dans la journée du 6 mars. Je vois donc deux modèles comportementaux complètement différents dans les décisions d’investissement boursier dans ces deux sociétés. La différence entre ces deux modèles comportementaux peut être liée de la différence sectorielle : Incyte Corporation c’est de la biotechnologie bien tassée et Virgin Galactic Holdings c’est un rêve follement charmant d’organiser des vols orbitaux à l’échelle commerciale et ce rêve semble avoir un fort potentiel de générer des retombées technologiques substantielles.

Maintenant, j’applique la même méthode de comparaison – volume des transactions, valeur totale des transactions – aux deux autres valeurs dans mon portefeuille, toutes les deux dans le même secteur cette fois. Je parle du secteur des technologies photovoltaïques et là-dedans, j’ai investi dans les actions de First Solar (- 21,07% de perte dans mon portefeuille) et dans celles de Vivint Solar (perte – 7,96%). Bien que dans le rouge après vendredi dernier, ces deux valeurs c’étaient défendues longtemps contre la panique « coronavirus ». Encore mardi dernier, j’avais un retour positif sur ces deux positions. Toutes les deux démontrent une proportion similaire entre la valeur totale des transactions boursières et la valeur comptable des actifs. Dans le cas de First Solar , cette proportion était de 1,04% le 18 février et 0,84% vendredi 6 mars. En ce qui concerne Vivint Solar , on parle de 0,54% le 18 février et 0,80% le 6 mars.

Ci-dessous, dans deux autres tableaux, je présente les données détaillées à propos de ces deux sociétés. Je continue mon développement plus loin.  

First Solar
Date  Volume  Prix  Valeur totale des transactions
2020, Fevrier 18   1 407 357   $                     55,65  $       78 319 417,05
2020, Fevrier 19     1 945 614   $                     57,37  $     111 619 875,18
2020, Fevrier 20   4 156 485   $                     59,32  $     246 562 690,20
2020, Fevrier 21   9 774 901   $                     50,59  $     494 512 241,59
2020, Fevrier 24    3 700 847   $                     51,21  $     189 520 374,87
2020, Fevrier 25 2 807 226   $                 48,57  $     136 346 966,82
2020, Fevrier 26 2 670 436   $                     46,11  $     123 133 803,96
2020, Fevrier 27 2 699 288   $                  44,25  $     119 443 494,00
2020, Fevrier 28 2 950 667   $                     45,77  $     135 052 028,59
2020, Mars 2 2 730 409   $                     44,95  $     122 731 884,55
2020, Mars 3 1 569 455   $                     44,21  $       69 385 605,55
2020, Mars 4 1 340 145   $                     45,48  $       60 949 794,60
2020, Mars 5 1 259 142   $                     45,47  $       57 253 186,74
2020, Mars 6 1 448 658   $                     43,37  $       62 828 297,46
Vivint Solar
Date  Volume  Prix  Valeur totale des transactions
2020, Fevrier 18 1 319 176   $                    11,04  $        14 563 703,04
2020, Fevrier 19 2 290 068   $                    11,80  $        27 022 802,40
2020, Fevrier 20 4 279 615   $                    12,85  $        54 993 052,75
2020, Fevrier 21 3 125 854   $                    11,44  $        35 759 769,76
2020, Fevrier 24 2 476 290   $                    11,76  $        29 121 170,40
2020, Fevrier 25 2 004 507   $                    11,59  $        23 232 236,13
2020, Fevrier 26 3 798 572   $                    11,91  $        45 240 992,52
2020, Fevrier 27 3 563 184   $                    11,08  $        39 480 078,72
2020, Fevrier 28 2 526 386   $                    11,24  $        28 396 578,64
2020, Mars 2 3 188 036   $                    11,19  $        35 674 122,84
2020, Mars 3 2 886 017   $                    11,69  $        33 737 538,73
2020, Mars 4 1 539 854   $                    11,91  $        18 339 661,14
2020, Mars 5 1 478 135   $                    11,73  $        17 338 523,55
2020, Mars 6 1 990 593   $                   10,78  $        21 458 592,54

Voilà donc qu’une régularité se dessine. Dans la panique ambiante des marchés financiers, parmi les quatre valeurs que je viens d’analyser point de vue prix et volume, les deux gagnants – Incyte Corporation toujours dans le vert et Vivint Solar juste un peu dans le rouge – démontrent un trait commun intéressant. Dans les deux cas, entre le 18 février et le 6 mars, le coefficient « valeur totale des transactions boursières par jour divisée par la valeur comptable des actifs » démontre une tendance croissante, tout en restant relativement modeste.

Par ailleurs, dans le cas des sociétés du photovoltaïque, on peut remarquer les retombées des derniers développement aux États-Unis. Selon bloomberg.com, en janvier 2020, l’administration du président Donald Trump avait donné le feu vert pour la construction de la première méga-ferme solaire dans le désert californien et cette ferme va être construite précisément par First Solar. On peut voir qu’entre le 18 et le 21 février le volume des transactions en actions de First Solar avait bondi tout à coup, tout en faisant des vagues côté et Vivint Solar.    

Bon, c’est tout dans cette mise à jour. Vous pouvez me contacter à travers la boîte électronique de ce blog : goodscience@discoversocialsciences.com .


[1] Yoshikawa, H. (1980). On the” q” Theory of Investment. The American Economic Review, 70(4), 739-743.

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