Cœur de réflexion

Je me concentre sur un aspect particulier de la révision finale de mon article pour « International Journal of Energy Sector Management » – sous le titre « Climbing the right hill – an evolutionary approach to the European market of electricity » – notamment sur le rapport entre ma méthodologie et celle de MuSIASEM, soit « Multi-scale Integrated Analysis of Societal and Ecosystem Metabolism ».

Je me réfère plus particulièrement à trois articles que je juge représentatifs pour ce créneau de recherche :

>> Al-Tamimi and Al-Ghamdi (2020), ‘Multiscale integrated analysis of societal and ecosystem metabolism of Qatar’ Energy Reports, 6, 521-527, https://doi.org/10.1016/j.egyr.2019.09.019 

>> Andreoni, V. (2020). The energy metabolism of countries: Energy efficiency and use in the period that followed the global financial crisis. Energy Policy, 139, 111304. https://doi.org/10.1016/j.enpol.2020.111304

>> Velasco-Fernández, R., Pérez-Sánchez, L., Chen, L., & Giampietro, M. (2020), A becoming China and the assisted maturity of the EU: Assessing the factors determining their energy metabolic patterns. Energy Strategy Reviews, 32, 100562.  https://doi.org/10.1016/j.esr.2020.100562

De parmi ces trois, je choisis subjectivement le travail de prof. Andreoni (2020[1]) comme le plus solide en termes de théorie. L’idée de base de MuSIASEM est d’étudier l’efficience énergétique des sociétés humaines comme un métabolisme, donc comme un système complexe qui se soutient et se développe à travers la transformation d’énergie et de ressources matérielles.  

J’essaie de comprendre et présenter la logique de base de MuSIASEM en explorant les avantages que professeur Andreoni attribue à cette méthode. Je me permets de traduire fidèlement un passage de l’article (2020[2]) : « […] l’approche MuSIASEM présente des avantages par rapport aux autres méthodologies utilisées pour étudier le métabolisme des sociétés, telles que ‘emergy’, empreinte écologique et l’analyse entrée-sortie […]. En fournissant des descriptions intégrées à travers des niveaux d’analyse différents, l’approche MuSIASEM ne réduit pas l’information en un index quantitatif unique et analyse l’énergie utilisée par rapport aux structures socio-économiques concrètes. Qui plus est, l’inclusion de dimensions multiples (telles que le PIB, temps humain et consommation d’énergie) en combinaison avec des échelles différentes d’analyse (telles que le niveau sectoriel et le niveau national) rend possible de fournir l’information pertinente aux processus à l’intérieur du système ainsi que d’analyser la façon dont les variables externes (telles que la crise économique et la pénurie des ressources) peuvent affecter l’allocation et l’utilisation des ressources ».      

Je me dis que si quelqu’un se vante d’avoir des avantages par rapport à quoi que ce soit d’autre, ces avantages reflètent les aspects les plus importants des phénomènes en question, selon le même quelqu’un. Ainsi donc, prof. Andreoni assume que MuSIASEM permet d’étudier quelque chose d’important – l’efficience énergétique des sociétés comme un métabolisme – toute en ayant l’avantage de déconstruction des variables agrégées en des variables composantes ainsi que celui de multi-dimensionnalité d’analyse. 

Les variables étudiées semblent donc être la base de la méthode. Parlons donc des variables. Professeur Andreoni présente dans son article trois variables essentielles :

>> L’activité humaine totale, calculée comme le produit de : [la population] x [24 heures] x [365 jours]

>> Transformation totale d’énergie, calculée comme la somme de : [consommation finale d’énergie] + [Consommation interne d’énergie dans le secteur d’énergie] + [Pertes d’énergie dans sa transformation]

>> Produit Intérieur Brut  

Ces trois variables fondamentales sont étudiées à trois niveaux différents d’agrégation. Le niveau de base est celui d’économie(s) nationale(s), à partir d’où on décompose, tout d’abord, entre les secteurs macroéconomiques de : ménages par opposition à celui d’activité payée (entreprises plus secteur public). Ensuite, ces secteurs macroéconomiques sont tous les deux désagrégés en l’agriculture, l’industrie et les services.

A chaque niveau d’agrégation, les trois variables fondamentales sont mises en relation entre elles pour calculer deux coefficients : intensité énergétique et métabolisme d’énergie. Celui d’intensité énergétique est calculé comme quantité d’énergie utilisée pour produire un euro de Produit Intérieur Brut et c’est donc l’inverse de l’efficience énergétique (cette dernière est calculée comme quantité de PIB produite à partir d’une unité d’énergie). Le coefficient métabolique, en revanche, est calculé comme la quantité d’énergie par heure d’activité humaine.

J’ai quelques remarques critiques par rapport à ces variables, mais avant de développer là-dessus je contraste rapidement avec ma méthode. Les variables de professeur Andreoni sont des transformations des variables utilisées dans des bases de données publiquement accessibles. Professeur Andreoni prend donc une méthode générale d’observation empirique – donc par exemple la méthode de calculer la consommation finale d’énergie – et transforme cette méthode générale de façon à obtenir une vue différente de la même réalité empirique. Cette transformation tend à agréger des variables « communes ». Moi, de mon côté, j’utilise un éventail large des variables communément formalisées et présentées dans des bases de données publiquement accessibles plus un petit zest des coefficients que je calcule moi-même. En fait, dans la recherche sur l’énergie, j’utilise juste deux coefficients originaux, soit le nombre moyen de demandes de brevet nationales par 1 million d’habitants, d’une part, et la quantité moyenne de capital fixe d’entreprise par une demande nationale de brevet. Quant au reste, j’utilise des variables communes. Dans cet article que je suis en train de finir pour « International Journal of Energy Sector Management » j’utilise les quarante et quelques variables de Penn Tables 9.1. (Feenstra et al. 2015[3]) plus des variables de la Banque Mondiale au sujet d’énergie (consommation finale, participation des sources renouvelables, participation d’électricité) plus des données Eurostat sur les prix d’électricité, plus ces deux coefficients relatifs aux demandes nationales de brevets.

La différence entre ma méthode et celle de MuSIASEM est donc visible déjà au niveau phénoménologique. Moi, je prends la phénoménologie généralement acceptée – donc par exemple la phénoménologie de consommation d’énergie ou celle d’activité économique – et ensuite j’étudie le rapport entre les variables correspondantes pour en extraire un tableau plus complexe. Je sais déjà que dans ma méthode, la quantité et la diversité des variables est un facteur clé. Mes résultats deviennent vraiment robustes – donc cohérents à travers des échantillons empiriques différents – lorsque j’utilise une panoplie riche de variables. Chez MuSIASEM, en revanche, ils commencent par construire leur propre phénoménologie au tout début en ensuite ils raisonnent avec.

Il semble y avoir un terrain commun entre ma méthode et celle de MuSIASEM : on semble être d’accord que les variables macroéconomiques telles qu’elles sont accessibles publiquement donnent l’image imparfaite d’une réalité autrement plus complexe. A partir de là, toutefois, il y différence. Moi, j’assume que si je prends beaucoup d’observations imparfaites distinctes – donc beaucoup de variables différentes, chacune un peu à côté de la réalité – je peux reconstruire quelque chose à propos de ladite réalité en transformant ces observations imparfaites avec un réseau neuronal. J’assume donc que je ne sais pas d’avance de quelle manière exacte ces variables sont imparfaites et je m’en fiche par ailleurs. C’est comme si reconstruisais un crime (j’adore les romans policiers) à partir d’un grand nombre des dépositions faites par des témoins qui, au moment et en présence du crime en question étaient soit ivres, soit drogués soit ils regardaient un match de foot sur leur portable. J’assume qu’aussi peu fiables soient tous ces témoins, je peux interposer et recombiner leurs dépositions de façon à cerner le mécréant qui a tué la vieille dame. J’expérimente avec des combinaisons différentes et j’essaie de voir laquelle est la plus cohérente. Chez MuSIASEM, en revanche, ils établissent d’avance une méthode de mettre en concours des dépositions imparfaites des témoins en état d’ébriété et ensuite ils l’appliquent de façon cohérente à travers tous les cas de tels témoignages.

Jusqu’à ce point-là, ma méthode est garnie d’assomptions moins fortes que celle de MuSIASEM. De manière générale je préfère des méthodes avec des assomptions faibles. Lorsque je mets en question des idées reçues, tout simplement en les suspendant et en vérifiant si elles tiennent le coup (de suspension), j’ai la chance de trouver plus de trucs nouveaux et intéressants.  Maintenant, je m’offre le plaisir pervers de passer au peigne fin les assomptions fortes de MuSIASEM, juste pour voir où bien puis-je leur enfoncer une épingle. Je commence par l’activité humaine totale, calculée comme le produit de : [la population] x [24 heures] x [365 jours]. Première remarque : le produit 24 heures fois 365 jours = 8760 heures est une constante. Si je compare deux pays aux populations différentes, leur activités humaines totales respectives seront différentes uniquement à travers leurs démographies différentes. Le produit [24 heures] x [365 jours] est donc une décoration redondante du point de vue mathématique. Toutefois, c’est une redondance astucieuse. Le produit 24 heures fois 365 jours = 8760 c’est le facteur de multiplication communément utilisé pour transformer la capacité énergétique en énergie effectivement accessible. On prend la puissance d’une bombe atomique, en joules, on la recalcule en kilowatts, on la multiplie par 24 heures fois 365 jours et boum : on obtient la quantité d’énergie accessible à la population générale si cette bombe explosait continuellement tout le long de l’année. On ajoute toutefois 24 heures supplémentaires d’explosion pour les années bissextiles.

Bombe atomique ou pas, le produit 24 heures fois 365 jours = 8760 est donc utile lorsqu’on veut faire une connexion élégante entre la démographie et la transformation d’énergie, ce qui semble judicieux dans une méthode de recherche qui se concentre précisément sur l’énergie. La multiplication « population x 8760 heures dans l’année » est-elle donc pertinente comme mesure d’activité humaine ? Hmmouiais… peut-être, à la rigueur… Je veux dire, si nous avons des populations très similaires en termes de style de vie et de technologie, elles peuvent démontrer des niveaux d’activité similaires par heure et donc des niveaux d’activité humaine totales distincts uniquement sur la base de leurs démographies différentes. Néanmoins, il nous faut des populations vraiment très similaires. Si nous prenons une portion essentielle de l’activité humaine – la production agricole par tête d’habitant – et nous la comparons entre la Belgique, l’Argentine et Botswana, nous obtenons des coefficients d’activité tout à fait différents.

Je pense donc que les assomptions qui maintiennent l’identité phénoménologique l’activité humaine totale = [la population] x [24 heures] x [365 jours] sont des assomptions tellement fortes qu’elles en deviennent dysfonctionnelles. J’assume donc que la méthode MuSIASEM utilise en fait la taille de la population comme une variable fondamentale, point à la ligne. Moi je fais de même, par ailleurs. Je trouve la démographie jouer un rôle injustement secondaire dans la recherche économique. Je vois que beaucoup de chercheurs utilisent des variables démographiques comme « calibrage » ou « facteurs d’ajustement ».  Tout ce que je sais sur la théorie générale des systèmes complexes, par exemple le créneau de recherche sur la théorie d’automates cellulaires (Bandini, Mauri & Serra 2001[4] ; Yu et al. 2021[5]) ou bien la théorie d’essaims (Gupta & Srivastava (2020[6]), suggère que la taille des populations ainsi que leur intensité d’interactions sociales sont des attributs fondamentaux de chaque civilisation.                    

Je trouve donc que l’identité phénoménologique l’activité humaine totale = [la population] x [24 heures] x [365 jours] dans la méthode MuSIASEM est donc une sorte de ruse, un peu superflue, pour introduire la démographie au cœur de la réflexion sur l’efficience énergétique. Par conséquent, le coefficient métabolique de MuSIASEM, calculé comme la quantité d’énergie par heure d’activité humaine, est équivalent à la consommation d’énergie par tête d’habitant. Le métabolisme énergétique d’une société humaine est donc défini par la consommation d’énergie par tête d’habitant (https://data.worldbank.org/indicator/EG.USE.PCAP.KG.OE ) ainsi que le coût énergétique de PIB (https://data.worldbank.org/indicator/EG.USE.COMM.GD.PP.KD ). Les liens hypertexte entre parenthèses renvoient à des bases de données correspondantes de la Banque Mondiale. Lorsque je regarde ces deux coefficients à travers le monde et je fais un truc absolument simpliste – je discrimine les pays et les régions en une liste hiérarchique – deux histoires différentes émergent. Le coefficient de consommation d’énergie par tête d’habitant raconte une histoire de hiérarchie pure et simple de bien-être économique et social. Plus ce coefficient est élevé, plus le pays donné est développé en termes non seulement de revenu par tête d’habitant mais aussi en termes de complexité institutionnelle, droits de l’homme, complexité technologique etc.

Lorsque j’écoute l’histoire dite par le coût énergétique de PIB (https://data.worldbank.org/indicator/EG.USE.COMM.GD.PP.KD ), c’est compliqué comme une enquête policière. Devinez donc les points communs entre Panama, Sri Lanka, la Suisse, l’Irlande, Malte et la République Dominicaine. Fascinant, non ? Eh bien, ces 6 pays sont en tête de la course planétaire à l’efficience énergétique, puisqu’ils sont tous les six capables de produire 1000 dollars de PIB avec moins de 50 kilogrammes d’équivalent pétrole en énergie consommée. Pour placer leur exploit dans un contexte géographique plus large, les États-Unis et la Serbie sont plus de deux fois plus bas dans cette hiérarchie, tout près l’un de l’autre, à 122 kilogrammes d’équivalent pétrole par 1000 dollars de PIB. Par ailleurs, ça les place tous les deux près de la moyenne planétaire ainsi que celle des pays dans la catégorie « revenu moyen inférieur ».

Si je récapitule mes observations sur la géographie de ces deux coefficients, les sociétés humaines différentes semblent avoir une capacité très idiosyncratique d’optimiser le coût énergétique de PIB à des niveaux différents de la consommation d’énergie par tête d’habitant. C’est comme s’il y avait une façon différente d’optimiser l’efficience énergétique en étant pauvre, par rapport à celle d’optimiser la même efficience lorsqu’on est riche et développé.

Nous, les homo sapiens, on peut faire des trucs vraiment bêtes dans le quotidien mais dans le long terme nous sommes plutôt pratiques, ce qui pourrait notre capacité actuelle de transformer quelque 30% de l’énergie totale à la surface de la planète. Si hiérarchie il y a, cette hiérarchie a probablement un rôle à jouer. Difficile à dire quel rôle exactement mais ça semble important d’avoir cette structure hiérarchique d’efficience énergétique. C’est un autre point où je diverge de la méthode MuSIASEM. Les chercheurs actifs dans le créneau MuSIASEM assument que l’efficience énergétique maximale est un impératif évolutif de notre civilisation et que tous les pays devraient aspirer à l’optimiser. Hiérarchies d’efficiences énergétique sont donc perçues comme un accident historique dysfonctionnel, probablement effet d’oppression des pauvres par les riches. Bien sûr, on peut demander si les habitants de la République Dominicaine sont tellement plus riches que ceux des États-Unis, pour avoir une efficience énergétique presque trois fois supérieure.


[1] Andreoni, V. (2020). The energy metabolism of countries: Energy efficiency and use in the period that followed the global financial crisis. Energy Policy, 139, 111304. https://doi.org/10.1016/j.enpol.2020.111304

[2] Andreoni, V. (2020). The energy metabolism of countries: Energy efficiency and use in the period that followed the global financial crisis. Energy Policy, 139, 111304. https://doi.org/10.1016/j.enpol.2020.111304

[3] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt 

[4] Bandini, S., Mauri, G., & Serra, R. (2001). Cellular automata: From a theoretical parallel computational model to its application to complex systems. Parallel Computing, 27(5), 539-553. https://doi.org/10.1016/S0167-8191(00)00076-4

[5] Yu, J., Hagen-Zanker, A., Santitissadeekorn, N., & Hughes, S. (2021). Calibration of cellular automata urban growth models from urban genesis onwards-a novel application of Markov chain Monte Carlo approximate Bayesian computation. Computers, environment and urban systems, 90, 101689. https://doi.org/10.1016/j.compenvurbsys.2021.101689

[6] Gupta, A., & Srivastava, S. (2020). Comparative analysis of ant colony and particle swarm optimization algorithms for distance optimization. Procedia Computer Science, 173, 245-253. https://doi.org/10.1016/j.procs.2020.06.029

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