L’aventure innocemment analytique

 

J’ai remarqué que j’utilise mon blog pour couvrir un éventail de plus en plus large des sujets. Il y a un an, je sur ce blog, je rédigeais surtout une forme de journal de ma recherche « officielle », plus quelques randonnées intellectuelles un peu échevelées lorsque je voulais me décontracter la cervelle. Maintenant, je suis en train de transformer mon écriture en une sorte de journal intellectuel généralisé : je couvre tous mes sujets de réflexion, plus ou moins en parallèle. C’est l’une des raisons qui m’ont incité à inclure des mises à jour en polonais, ma langue natale. Je suis en train d’explorer un phénomène dont j’eus pris conscience déjà l’année dernière : écrire et publier ça m’aide à penser, ou plutôt à structurer mes pensées de façon intelligible.

Chez moi, à la fac, le mois de Septembre c’est la saison des syllabus. Je me concentre donc sur ce sujet précis. Je réassume, une fois de plus, tout ce que j’ai écrit durant les trois derniers mois à ce sujet. Je commence par les compétences de base que je voudrais enseigner. Comme vous avez pu le lire dans quelques-unes de mes mises à jour précédentes, j’ai une idée qui m’obsède, celle d’enseigner les sciences sociales comme si j’enseignais la navigation, donc comme une méthode de trouver sa propre localisation dans l’espace social ainsi que de tracer une route à travers ledit espace. Deux compétences viennent à mon esprit plus ou moins spontanément : la modélisation des comportements, d’une part, et l’analyse quantitative – surtout financière – d’autre part.

Tout ce qui se passe dans une société est fait de comportement humain. Tout comportement humain survient comme une séquence plus ou moins récurrente d’actions, préalablement apprise. Les séquences de comportement sont pour une société ce que les éléments de construction – briques, panneaux, poteaux etc. – sont pour une structure architectonique. L’apprentissage qui conduit à la formation de ces séquences de comportement est comme la production de ces éléments.

J’encourage mes étudiants à observer les structures sociales, avec la méthode scientifique à l’appui, et à tirer des conclusions tout aussi scientifiques de cette observation. Il serait donc avisé d’expliquer ce qu’est une structure sociale. Si je parle d’être de quoi que ce soit, je parle de quelque chose qui soit n’existe pas du tout soit nous n’en avons qu’un aperçu très succinct. C’est le problème avec l’approche ontologique : aussitôt que je demande ce qu’est une chose, un raisonnement vraiment rigoureux impose une autre question, celle qu’est-ce que ça peut bien signifier « être ». C’est une intuition profonde que nous pouvons trouver, par exemple, chez Martin Heidegger. Pour expliquer la nature des structures sociales, je vais donc prendre un tournant similaire à ce que fait la physique en ce qui concerne la nature de la matière : je vais me concentrer sur ce comment nous vivons la présence des structures sociales, ou bien leur absence. Je vais donc aller vers leur phénoménologie.

Nous expérimentons plusieurs situations sociales. Certaines d’entre eux nous percevons comme passagères, pendant que d’autres semblent avoir une sorte de permanence et de solidité en elles. Un premier ministre, ça ne dure pas (nécessairement) très long. En revanche, la procédure constitutionnelle de nommer un premier ministre, ainsi que de lui donner un vote de confiance, c’est beaucoup plus stable et répétitif. Les pâtés vendus par le traiteur du coin peuvent avoir un goût variable, de jour en jour, mais la présence dudit traiteur dans le quartier, ainsi que la profession des traiteurs en général, c’est du beaucoup plus solide et prévisible.

Nous pouvons donc mettre un ordre hiérarchique parmi toutes les situations sociales que nous vivons, en commençant par celles qui sont les plus récurrentes et les plus prévisibles, en passant par celles qui sont un peu fofolles dans leur occurrence et néanmoins on peut leur faire confiance de survenir, pour finir avec les situations sociales que nous percevons –souvent à cause de nos propres limitations cognitives – comme vraiment uniques et rares. La structure sociale autour de nous est faite de ces pièces de comportement humain qui – selon notre perception – surviennent le plus souvent et de façon la plus prévisible.

Si vous voyez donc, dans un manuel de sociologie, par exemple, la représentation d’une structure sociale en forme d’organigramme, avec des polygones ou des bulles, connectées par des traits fléchés, alors souvenez-vous : ça n’existe pas, c’est juste la carte d’un territoire qui en lui-même est observable comme un ensemble des comportements humains hautement répétitifs. Voilà donc tout le sens d’enseigner – et d’apprendre – les techniques d’identification des schémas de comportement. Ces techniques nous aident à comprendre comment fonctionne la structure sociale autour de nous.

L’analyse quantitative, quant à elle, comme je l’enseigne, a surtout et avant tout la mission de réveiller l’instinct mathématique de mes étudiants. Il y a beaucoup de parallèle avec les techniques d’identification des schémas de comportement. Les nombres ont une signification – c’est une vérité profonde que les anciens Grecs et les anciens Chinois eussent découvert il y a des millénaires. Je suis beaucoup plus proche de la philosophie Grecque en la matière que de l’approche Chinoise. Cette dernière à tendance – au moins pour autant que je la connaisse – à verser dans le mystique et la numérologie. C’est plutôt une sorte de magie mathématique, où les ensembles des nombres correspondent à des destinées et des entités métaphysiques.

En revanche, les Grecs, ils étaient beaucoup plus terre-à-terre dans leur appréhension des maths. Ces derniers étaient un outil. Les théorèmes les plus puissants que nous avons hérité des Grecs – comme celui de Pythagore, ceux de Thalès ou d’Euclide – avaient une application pratique dans le bâtiment, la navigation ou le militaire et ils étaient basées sur l’observation empirique des proportions. C’est par ailleurs de là que vient la notion de nombre rationnel, donc d’un nombre qui est égal à un quotient de deux nombres entiers relatifs. Alors, lorsque j’enseigne les concepts fondamentaux de l’analyse quantitative, je commence par cette recommandation pratique de base : observez les proportions rationnelles et récurrentes dans les phénomènes que vous étudiez.

L’analyse quantitative trouve son application dans l’étude directe des comportements humains aussi bien que dans l’analyse financière. C’est donc ainsi que je viens à une question vraiment importante : comment expliquer la logique de base des finances d’entreprise, aux gens qui n’y avaient jamais ou presque jamais affaire ?

Je commence cette explication par attirer l’attention de mes étudiants sur un fait quotidien : nous attachons de l’importance à tout ce qui est habituellement mesuré en argent. Le montant de notre revenu mensuel ou annuel, le loyer à payer, le prix des transports publics, la valeur de notre immobilier ainsi que celle de l’hypothèque qui y pèse – tout ça c’est important. Bien sûr, l’argent n’est pas la seule chose importante dans la vie, néanmoins elle est importante.

Voici un fait empirique que beaucoup d’étudiants peuvent remarquer par eux-mêmes, par ailleurs : la plupart de pognon qui nous intéresse c’est de l’argent immatériel, en principe ce sont juste des nombres (ou bien des « soldes » comme on les appelle dans la finance) que nous associons, plus ou moins intuitivement, à des trucs importants dans la vie.

Je passe aux finances d’une entreprise et à les expliquer de façon la plus simple possible. Lorsqu’on veut faire du business, il nous faut des ressources, matérielles aussi bien qu’immatérielles. Le compte synthétique qui montre l’état des ressources d’une entreprise est appelé « bilan ». Le bilan possède un trait unique, par rapport aux autres comptes synthétiques : il a deux faces, comme un dieu antique. Il y a la face active et la face passive. Avant d’expliquer leurs technicités, le truc de base à comprendre est la philosophie de division en deux faces distinctes. La voilà : toute ressource qui a de la valeur socialement reconnue possède cette valeur parce que et aussi longtemps qu’elle est à la fois limitée et accessible. Toute ressource que nous possédons dans notre entreprise, nous l’avons acquise – donc transférée de quelque part ailleurs dans la structure sociale – et cette ressource a donc deux aspects : son application courante et sa provenance.

Quant à la provenance des ressources, l’expérience accumulée des générations d’hommes d’affaires, petits et grands, avait conduit à distinguer deux situations différentes : l’emprunt et l’investissement. La logique de cette distinction est basée sur l’observation de comportement humain. Nous nous engageons dans des projets d’entreprise avec deux niveaux de prudence : soit on y plonge tête la première, en échange de la capacité de gérer le projet comme il se développe – c’est la logique générale de l’investissement – soit on se fait des pare-chocs divers qui nous assurent la possibilité de nous retirer, mais cette assurance a une contrepartie en la forme d’influence beaucoup moins marquée sur la gestion du projet – c’est l’approche de celui qui prête plutôt qu’investit.

Suivant cette dichotomie de l’action, le côté passif du capital accumulé dans une entreprise distingue les capitaux propres d’une part et les emprunts (capitaux extérieurs) d’autre part. Pourquoi cette distinction-ci et non pas une division selon les personnes qui fournissent le capital ou bien selon la chronologie de flux de trésorerie correspondants ? Avant de répondre à cette objection directement, laissez-moi attirer votre attention sur un fait très simple et courant : nos façons de communiquer les quantités d’argent dont nous disposons sont hautement standardisées et nous les aimons voir comme telles. Lorsque vous utilisez un logiciel mobile pour des paiements courants, PayPal ou autre, n’êtes-vous pas légèrement irrités lorsque la composition visuelle change radicalement et vous ne pouvez plus retrouver les chiffres-clés là où vous aviez l’habitude de les voir ?

C’est la même chose avec les comptes financiers des entreprises. Quelqu’un commence à rapporter sa situation financière selon un schéma donné. Si une autre personne – un banquier, par exemple – veut être capable de comparer ces comptes avec ceux d’un autre entrepreneur, il veut voir ces derniers présentés selon le même schéma. C’est plus confortable. Vous souvenez-vous de la définition de la structure sociale que je viens de donner quelques paragraphes en arrière ? Voilà un exemple rêvé : la structure logique des comptes, ça se reproduit de façon récurrente et crée ce que nous appelons un système socialement reconnu de comptabilité.

Je viens donc d’introduire en douce une assomption : à un moment donné de l’histoire quelqu’un quelque part avait commencé à présenter le capital de son business divisé en capitaux propres et capitaux extérieurs et les gens auxquels cette personne avait présenté ses comptes selon cette logique avaient trouvé l’idée bien judicieuse et l’avaient reproduite, jusqu’à ce qu’elle soit devenue coutume. Qu’est-qui est donc de si judicieux dans cette distinction ? Eh bien, on peut voir les capitaux propres d’une entité – personne physique ou légale – comme la différence résiduelle entre la valeur brute de tout le capital accumulé et les dettes qui pèsent sur ladite valeur brute. En d’autres mots, la division en capitaux propres et capitaux extérieurs permet de se faire une idée rapide de la liquidité financière de celui qui présente ses comptes.

Alors, un entrepreneur accumule ses ressources à travers deux types de transactions. Certaines personnes, lui-même inclus, investissent leur capital dans ce business et créent ainsi le capital propre. D’autres, plus prudents et moins enthousiastes, signent avec l’entrepreneur des contrats de prêt. Une fois accumulé, le capital est utilisé et c’est alors sur le côté actif du bilan que nous pouvons observer les modalités de cette utilisation.

Le côté actif du bilan est composé d’actifs, c’est à dire des choses et des droits que l’entité donnée possède au moment donné. Pour expliquer le concept essentiel d’un actif, je me réfère à Airbus et à leur rapport financier annuel pour l’année fiscale 2017. Si vous ouvrez ce document (publié en anglais), allez donc à leur bilan, qu’ils désignent comme « Consolidated Statements of Financial Position » en anglais et regardez la catégorie « Assets », donc actifs.

Encore une fois, faisons donc usage de la capacité la plus élémentaire d’observation, avec un minimum d’assomptions. Ce que nous voyons sur le côté actif du bilan d’Airbus est un ensemble de catégories, comme « Propriété, usine et équipement » (ANG : Property, plant and equipment), « Actifs intangibles » (ANG : Intangible assets) et ainsi de suite. En face de chaque nom de catégorie, nous voyons un solde financier, en millions d’euros. Maintenant, question (apparemment) bête : est-ce qu’un euro donné, sur un compte bancaire appartenant à Airbus, est comme signé ? Est-ce que vous pouvez trouver des euros signés « j’appartiens à la catégorie d’actifs intangibles » ? Pour autant que je sache, non. Les soldes en euros que vous voyez en face de ces catégories sont comme des niveaux de liquide dans un ensemble des vases distincts, dont on aurait pris une photo au même moment dans le temps, le 31 Décembre dans le cas des bilans.

Les euros, ça flotte et ça coule dans le business et néanmoins, comme vous pouvez le constater, ça a tendance à se coaguler selon une certaine structure. Vous vous souvenez de la définition de structure sociale que j’avais donnée auparavant ? Si nous appelons quelque chose « structure », ça veut dire que les phénomènes se passent selon un schéma suffisamment répétitif pour qu’il nous donne une impression de permanence. Les euros du bilan d’Airbus, ils flottent et ils coulent selon un schéma qui, photographié le 31 Décembre chaque année, donne une structure répétitive.

Les euros, ils flottent et ils coulent là où les gens engagés dans ce business font quelque chose de valeur économique. Les proportions entre les soldes écrits dans le bilan d’actifs d’Airbus reflètent la concentration relative d’activité économique dans certains types (catégories) d’action plutôt que dans d’autres. Si la catégorie « Inventaires courants » (31,5 milliards d’euros), parmi les actifs d’Airbus, est presque deux fois plus grande financièrement que la catégorie « Propriété, usine et équipement non-courants » (16,6 milliards d’euros), cela veut dire que les activités relatives à l’accumulation d’inventaires courants reflètent à peu près deux fois plus de valeur économique que celles relatives à l’accumulation des gros trucs fixés à la terre. C’est la logique de la mathématique Grecque : observer les proportions.

J’explique brièvement ce qui est vraiment intéressant dans cette proportion particulière. Dans le capital d’une entreprise, tout ce qui est désigné comme « courant » épuise sa capacité de générer de la valeur économique en une année maximum. Tout actif classé comme « courant » est quelque chose qui travaille à courte haleine et n’a pas de cycle de vie prolongé. En revanche, les actifs « non-courants » ont par définition, une vie économique de plus d’un an. Dans une boutique de vêtements d’occasion, des inventaires deux fois plus gros que la propriété immobilière et son équipement, ça ne serait pas étonnant. Néanmoins, chez Airbus, donc dans une entreprise qui semble être ancrée dans une technologie imposante installée dans des usines tout aussi imposantes, ça étonne. Nous avons une entreprise qui est durable par excellence, ne serait-ce que pour assurer le support technique pour leurs avions, et en même temps le capital ce cette entreprise semble être investi dans quelque chose de plutôt éphémère, qui s’épuise en moins d’un an.

J’utilise l’occasion offerte par le rapport financier d’Airbus et je montre la façon d’utiliser ce qu’on appelle « notes explicatives ». Dans beaucoup – en fait dans la plupart – des rapports financiers nous pouvons trouver des notes explicatives qui affèrent spécifiquement à une catégorie donnée. Dans le rapport financier d’Airbus pour l’année 2017, la catégorie « Inventaires courants » est expliquée dans la note no. 20, pendant que le sous-ensemble d’actifs baptisé « Propriété, usine et équipement non-courants » trouve une explication approfondie dans la note no. 18.

J’y fonce et je trouve l’explication de cette proportion financière étrange. La note no. 20 explique qu’à l’intérieur de la catégorie « Inventaires courants », la plus grande sous-catégorie, dans les 75%, consiste de ce qui est appelé « Travaux en cours ». C’est comme dans la « Guerre des étoiles » : le plus gros actif dans les parages était cette diabolique Etoile de la Mort. Une bonne partie de ce multi-film est faite des vues panoramiques des travaux en cours. Même chose chez Airbus. Je veux dire : je ne pense pas qu’ils soient en train de construire une station spatiale à fins militaires, seulement que le gros de leur capital est investi dans ces avions et hélicoptères en voie de construction. Ces machines semi-finies valent plus que les usines qui les produisent.

Voilà que l’aventure innocemment analytique avec le bilan d’Airbus nous conduit à découvrir l’une des composantes-clés du modèle d’entreprise aéronautique : la technologie est plus dans le produit lui-même que dans l’usine qui le manufacture. C’est un cas rare. La plupart des industries de haute technologie montre des proportions inverses : les usines présentent plus de valeur économique que le stock des produits semi-finis. Seulement dans l’aéronautique, le produit semi-fini, je veux dire un avion, il représente souvent la valeur économique d’une petite ville.

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Gymnastique légale niveau contrats

 

Comme c’est souvent le cas, le quotidien se bouscule entre mes plans. Le plan est d’achever aussi vite que possible la rédaction de mon business plan pour le projet EneFin. Le quotidien c’est surtout la fac. Le début de l’été c’est la fin d’une année académique et en même temps le début des préparations pour l’année prochaine et pour moi, ceci veut dire la préparation des nouveaux syllabus. J’ai pris l’habitude d’utiliser ce blog – Discover Social Sciences – comme un medium général pour discuter et décrire tout ce qui se passe dans ma vie de chercheur et d’enseignant. Je documente ici tout ce que je fais dans ce domaine. J’entreprends donc de documenter aussi bien le travail courant sur ce business plan que le travail sur mes syllabus.

En ce qui concerne le business plan pour le projet EneFin, je viens de faire un grand pas conceptuel en avant. Mes deux dernières mises à jour – « Protège-cul, pardon, stratégie de réduction de risque » ainsi que « The art of using all those small financial margins » –  m’ont fait prendre conscience qu’en tant qu’une entreprise FinTech, le projet EneFin c’est surtout du financier. Le Tech, il n’y en a pas vraiment des tonnes dans le FinTech. En termes d’organisation et de concept d’entreprise, le FinTech c’est surtout de la finance. Mon raisonnement ici est très simple. Ce qui détermine la nature d’un business c’est la structure de ses actifs, donc la façon dont le capital fourni sur le côté passif du bilan est alloué en des ressources capables de créer de la valeur ajoutée. Bien que les entreprises FinTech dépensent des quantités significatives de capital sur l’ingénierie informatique, ladite ingénierie ne va pas vraiment loin au-delà de ce que font les banques. C’est de la dépense sur la sécurité des systèmes et des transactions, sur la présentation niveau interface utilisateur, sur l’ergonomie et la fluidité d’interactions etc.

Oui, je sais, il y a Blockchain. Le miracle des registres en chaîne. Seulement voilà, j’ai un fils et le fiston, il est en train de finir sa licence en ingénierie informatique. Lorsque je lui ai parlé du Blockchain, il m’a dit un truc très intéressant : « Ecoute, papa. Du point de vue strictement informatique, toute cette histoire de Blockchain c’est simplement un ensemble des principes pour le développement des langages de programmation. Ces principes, ça bourgeonne, tout comme les langages. Depuis que j’eus commencé mes études en informatique, au moins 15 nouveaux langages de programmation ont fait leur percée dans la profession et l’innovation dans le domaine c’est largement l’invention des nouveaux principes de développement. Je veux dire des principes qui marchent en pratique. De toute façon, LA GRANDE INNOVATION c’est l’intelligence artificielle et ses cousines, comme les systèmes cellulaires. Au fond, le Blockchain est une façon de créer un avantage informatique purement quantitatif : si la société A possède des serveurs plus puissants que la société B, A aura un avantage certain sur B en termes de gestion des registres type Blockchain, puisque ça se réduit à la vitesse et la stabilité de génération des hash codes en série. Point, à la ligne ».

Voilà comment ça se termine, l’éducation qu’on assure aux enfants. Encore que moi, j’avais développé une intuition similaire durant l’année dernière. En des termes légaux et financiers, le concept de Blockchain, qui attribue ses origines à Satoshi Nakamoto , est plus ou moins identique à l’institution légale d’endossement des titres de paiement, connue depuis des siècles. En fait, avant l’établissement définitif, vers la fin du XIXème siècle, de ce que nous appelons aujourd’hui « argent » et qui est un système d’endossement centralisé dans une banque nationale, l’endossement en chaîne, tel que nous le connaissons dans le cadre de la technologie Blockchain, était la façon largement dominante d’assurer la liquidité des systèmes monétaires.

La conclusion pratique que je tire de toute cette réflexion générale est que le business plan pour mon projet EneFin devrait se concentrer sur l’aspect légal et financier. La structure des contrats utilisés dans ce projet a une importance cruciale, puisqu’elle reflète la structure d’interactions avec les partenaires externes d’EneFin : les consommateurs d’énergie, les fournisseurs d’énergie ainsi que ceux des technologies de génération d’énergie, les institutions financières etc.

Je laisse ce business plan à lui seul, pour quelques instants, et je me tourne vers mes syllabus. Chaque fois que je les prépare, donc chaque année, durant les vacances d’été, je me demande qu’est-ce que je peux transmettre à mes étudiants en termes d’enseignement. Bien que je sois prof d’université, j’approche l’enseignement comme un métier au sens strict du terme : j’assume que ce que je peux vraiment enseigner à quelqu’un d’autre est un ensemble de compétences que moi j’ai et ce quelqu’un d’autre n’a pas ou bien n’est pas conscient de les avoir. De mon point de vue, enseigner l’économie ou le management c’est tout comme enseigner la menuiserie ou le bâtiment : ça se réduit à montrer des trucs utiles, s’assurer que les étudiants répètent ces trucs utiles suffisamment des temps pour s’en faire une idée pratique et enfin que les plus ambitieux parmi eux développent de nouvelles compétences sur la base de ces trucs utiles.

Oui, je sais, il y a ce flambeau de la science à transmettre de génération en génération, l’enseignement devrait élargir les horizons et pas seulement transmettre un savoir-faire etc. C’est bien beau et grandiose et en plus, ça sonne terriblement bien dans ces discours que tout recteur d’université prononce durant l’inauguration d’une nouvelle année académique. Seulement voilà, la science peut grandement profiter de se comporter d’une manière scientifique et la science de comportement humain est très claire sur un point : ce que nous appelons « savoir » existe uniquement au niveau collectif. Le savoir en tant que tel existe comme une base de données, codée dans la culture qui nous enveloppe et ce que l’individu peut faire consiste à se connecter à cette base de données. Ce qui nous enveloppe à présent c’est une surabondance d’information. Se connecter à ce bazar veut dire chercher, mais aussi trier et sélectionner. Encore une fois, ça renvoie aux compétences : il y a une différence énorme entre savoir comment faire quelque chose et savoir le faire tout court, sans le « comment », puisque le « comment », faut l’avoir dans le bout des doigts.

Bon, je parle donc des compétences que je peux transmettre et le flambeau, dans ce cas, c’est la charge émotionnelle positive que je peux transmettre avec. Les compétences que je peux transmettre sont celles que j’ai moi-même. Écrire un bon syllabus pour l’année prochaine exige que je passe en revue mes propres compétences. Qu’est-ce que je sais faire, qui soit plus ou moins relié aux sciences sociales que j’enseigne ? Ce qui vient en tête de la liste c’est l’identification rapide des schémas et des structures, ainsi que des irrégularités à la frontière de ces schémas et structures. Vous me montrez un rapport annuel et j’identifie rapidement des régularités dans les nombres, dans les faits ainsi que dans la connerie servie dans le langage officiel du rapport. Vous me laissez observer un groupe des gens et j’identifie leur rituels, leurs stratégies de masquage ainsi que leurs comportements involontaires.

Cet ensemble spécifique des compétences est à la fois ma force et ma faiblesse dans l’enseignement. Dans l’étude des cas, je me sens comme un poisson dans l’eau : je plonge dedans la tête en avant et je nage, et j’éclabousse, et je me détends, et lorsque j’en finis, il me faut quelques instants pour retrouver à nouveau mes repères dans la réalité courante. En revanche, lorsqu’il faut que j’explique la théorie pure, c’est dur, puisque je fais avec la théorie exactement la même chose que je fais avec l’étude des cas : je plonge dedans, j’éclabousse etc. Seulement avec l’enseignement de la théorie, ça marche d’une façon différente : au début, faut l’exposer de façon systématique et là, c’est mon point faible.

Ensuite, ce que je sais faire c’est le travail systématique et persévérant sur une longue période. En fait, c’est la pratique de sport – ainsi que la rédaction de ce blog – qui m’a vraiment appris que je peux décomposer tout accomplissement complexe et difficile en une séquence finie d’actions partielles qui se composent en des étapes, qui, à leur tour, conduisent au but désiré. En fait, tout ce que nous faisons est apprentissage, et l’apprentissage s’accomplit à travers une séquence d’actions répétées dont la plupart se soldent par des petits succès partiels qui disent à notre système nerveux que ce créneau particulier d’action, c’est pas si con que ça, à la longue.

Logiquement donc, il faut que je concentre mon enseignement sur ce que je sais faire bien, et que je travaille sur la compensation de ce que je fais mal. Je suis bon dans l’identification de schémas structurels et dans la structuration de l’effort personnel en des stratégies viables, quoi que pas nécessairement optimales. Je suis faiblard dans l’exposition rigoureuse et systématique due la théorie. Conclusion ? Il faut que je prépare des matériaux théoriques en forme des livres de cours ou des présentations en ligne, pendant que je concentre le syllabus de l’interaction en classe proprement dite sur l’étude des cas empiriques. En plus, si je veux transmettre à mes étudiants l’art de l’effort persévérant, il vaut mieux orienter le système des grades sur l’accomplissement des projets de longue haleine, comme préparation des business plans ou des rapports de recherche.

C’est ainsi que je retourne à ce truc de business plan pour le projet EneFin. Certains parmi vous, mes lecteurs, peuvent se demander pourquoi je mets autant d’énergie dans la préparation des business plans ainsi que dans la documentation, sur ce blog de recherche, de tout le travail mis dedans. Il y a deux raisons. Premièrement, je pense que c’est une sorte de test simple de mes compétences scientifiques. Ce qu’un logiciel performant et utile est pour un ingénieur en informatique, un business plan est pour un économiste : c’est une vérification des connaissances et compétences. Si je suis supposé enseigner, dans un cours de microéconomie, par exemple, ce qu’est l’équilibre temporaire de Marshall, je veux être sûr que je sais utiliser ce modèle dans la vie réelle, comme outil analytique. La même chose pour la théorie de management : si j’enseigne à mes étudiants les principes d’organiser le travail dans un projet, je veux savoir vraiment à fond de quoi ça a l’air, le travail sur un projet.

Deuxièmement, j’aime penser à la science comme quelque chose d’utile, qui peut changer la vie humaine pour le mieux. La façon dont me droit et l’économie, mes deux disciplines-mères, peuvent changer la vie humaine, c’est soit à travers la politique – et la législation qui va avec – soit à travers l’entreprise (à profit ou sociale, peu importe). En attendant donc que je sois Le Conseiller Secret du Premier Ministre, je me concentre sur le niveau de l’entreprise. Peut-être l’un de mes business plans sera mis à l’exécution, un jour, qui sait ?

Je reviens donc au business plan pour le projet EneFin et à ces questions à la limite du droit et de la finance que j’avais déjà signalées dans « The art of using all those small financial margins ». Je commence par le contrat entre le fournisseur d’énergie et EneFin. Le fournisseur d’énergie émet deux contrats hautement standardisés : un contrat à terme pour la fourniture future d’énergie et un titre participatif dans son capital social. Quant à ce dernier, j’assume pour le moment que c’est une ou plusieurs action(s). La structure détaillée de ces deux contrats, je la laisse de côté pour le moment. Je me concentre sur la structure du contrat complexe, qui va lier le fournisseur d’énergie, EneFin et l’acheteur de ce panier composé de l’énergie future et d’actions.

Une remarque méthodologique en passant. Vous avez pu remarquer que je parle de « la structure du contrat ». Pourquoi « structure » et non pas « formulation » ou « contenu » du contrat ? Il y a deux raisons. Premièrement, le contrat que je suis en train de construire doit prendre la forme d’un token digital échangé sur une plateforme transactionnelle tout aussi digitale. Je me fie, dans cet aspect, à la philosophie générale du contrat intelligent Ethereum ainsi qu’à celle de son langage de programmation « Pragma Solidity ». Un contrat digital est une structure, une équation, si vous voulez. Il y a les variables et il y a les relations entre les variables. On retrouve la même approche dans la théorie de la loi civile. Je me souviens de la seconde année d’études en droit, lorsqu’on travaillait sur la distinction entre les composantes essentielles et générales d’un contrat (essentialia negotii en Latin) d’une part, et ses composantes particulières d’autre part (ça, c’était accidentalia negotii). J’avais un problème énorme avec cette distinction. Faut vraiment travailler avec des contrats dans la vie réelle pour comprendre la différence entre la structure générale (essentialia negotii) et le contenu local (accidentalia negotii).

Remarque méthodologique faite, je retourne donc au contrat EneFin. Je déconstruis le processus de transaction depuis sa fin et je vais avancer vers le début. La fin, c’est quand le consommateur individuel d’énergie achète les droits contenus dans le contrat complexe et l’achat se fait, dans l’immédiat, par acquisition du token digital EneFin. Je vois deux options contractuelles, là. D’une part, l’acquisition do token digital peut être exactement équivalente à l’acquisition des droits particuliers, donc : a) le droit d’avoir la fourniture d’énergie au temps, endroit, et prix donnés dans le contrat b) les actions ou les droits de retrait des actions. D’autre part, l’achat du token digital peut donner juste une cause d’action légale qui, à son tour, consistera en le transfert de ces droits particuliers.

Logiquement, ce dont peut disposer EneFin en tant qu’opérateur de ce token digital peuvent être soit ces droits particuliers en tant que tels, soit un droit subsidiaire de réclamer ces droits particuliers proprement dits. Ça, c’est la partie « quoi ? » de cette transaction finale. Maintenant je passe à la partie « comment ? ». Pour transmettre sur l’acheteur les droits particuliers ou bien un droit subsidiaire, il faut en disposer en bonne foi. Je vois trois solutions de base, ici. Un, EneFin peut agir comme agent du fournisseur d’énergie. Toute action légale prise par EneFin sera faite au nom et compte dudit fournisseur. Deux, EneFin peut avoir la position du commis, donc peut revendre ces contrats complexes à son propre nom et au compte du fournisseur d’énergie. Trois, le fournisseur peut transmettre sur EneFin, à travers ce qu’on appelle la cession des droits, tous les droits particuliers contenus dans ces contrats complexes.

Ici, petit rappel : j’étudie ces options contractuelles pour deux raisons. Je veux comprendre, d’une part, le processus essentiel de ce business EneFin, et d’autre part, la façon dont le bilan de cette entreprise va se construire. Si EneFin agit comme agent du fournisseur d’énergie ou bien comme son commis, ça semble ne pas avoir de conséquences pour le bilan. Dans le troisième cas, il y aura une obligation d’EneFin vis à vis le fournisseur d’énergie (une dette). Maintenant, il y a une question de stratégie. EneFin peut tout de suite payer cette dette, donc racheter, dans le sens strict du terme, tous les droits attachés au contrat complexe. Dans ce cas, la vie comptable de cette dette sera plutôt courte et elle a peu de chances de déterminer la taille et la structure du bilan. Il y a une seconde option, un peu tirée par les cheveux, il est vrai, et néanmoins possible : le fournisseur d’énergie peut céder tous les droits particuliers sur EneFin, mais le paiement pour cette cession sera différé, un peu comme dans un contrat de commis. EneFin paierait cette dette à mesure que les consommateurs achètent les contrats complexes. La valeur totale de ces droits particuliers entre donc dans le bilan d’EneFin en bloc, côté passifs, et ensuite elle est réduite progressivement.

Je pense que je peux venir à une conclusion partielle. Le truc emmerdant c’est que c’est la même conclusion que celle formulée dans « The art of using all those small financial margins » : quelle que soit la gymnastique légale niveau contrats avec les fournisseurs, le bilan d’EneFin sera déterminé surtout par la valeur des soldes monétaires maintenues sur les comptes-clients des acheteurs, donc des consommateurs d’énergie. Le contrat entre EneFin et le consommateur est vraiment la clé de tout le business.

Je continue à vous fournir de la bonne science, presque neuve, juste un peu cabossée dans le processus de conception. Je vous rappelle que vous pouvez télécharger le business plan du projet BeFund (aussi accessible en version anglaise). Vous pouvez aussi télécharger mon livre intitulé “Capitalism and Political Power”. Je veux utiliser le financement participatif pour me donner une assise financière dans cet effort. Vous pouvez soutenir financièrement ma recherche, selon votre meilleur jugement, à travers mon compte PayPal. Vous pouvez aussi vous enregistrer comme mon patron sur mon compte Patreon . Si vous en faites ainsi, je vous serai reconnaissant pour m’indiquer deux trucs importants : quel genre de récompense attendez-vous en échange du patronage et quelles étapes souhaitiez-vous voir dans mon travail ?

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