Laisse tomber les modèles d’entreprise

Une fois de plus, j’ai eu du décalage entre mes mises à jour. Remarquez, ça a été un décalage productif. J’ai développé un peu sur le sujet des voitures électriques. J’ai discuté le sujet avec quelques-uns de mes collègues, que j’avais invité à participer au projet et j’ai changé un peu d’optique. Le premier truc est abjectement opportuniste : la formulation de sujet. L’un de mes collègues a dit : « Écoute, le modèle d’entreprise, c’est occupé. Á l’École Supérieure de Commerce, à Varsovie, il y a une équipe qui a déjà défini plus de 100 modèles distincts d’entreprise et leur truc, ça a l’air solide côté méthode. Vaut mieux pas s’engager dans de territoire. Lorsqu’il sera question d’évaluation de notre demande de financement au ministère, ces gars-là, ils vont mettre nos têtes coupées sur leurs piques. Laisse tomber. Donnons à notre projet un sujet que presque personne ne veut toucher : l’innovation et la théorie de changement technologique dans le secteur des voitures électriques ». 

J’y a réfléchi et je suis bien d’accord. De ma part, toute cette histoire de modèles d’entreprise c’était un peu forcé. J’essayais d’emballer mes idées – qui par ailleurs sont 100% dans l’étude de changement technologique – dans le paquet étiqueté « modèle d’entreprise » parce que je pensais que ça se vendrait mieux. Je viens donc de (ré)apprendre une leçon importante : reste fidèle à tes idées et ton intuition. Prendre en considération les idées des autres est une chose, mais te déguiser en ces idées en est une autre et c’est une erreur stratégique.

Puisque je rejette le déguisement et je décide de rester fidèle à mes idées, je reviens à une idée dont il est même difficile de dire que je l’ai. C’est plutôt cette idée qui m’a et son essence est la suivante : les automobiles de toute sorte, à combustion interne ou électriques, peu importe, à part de mouvoir par eux-mêmes, ont un autre trait intéressant, celui d’être des réservoirs d’énergie par eux-mêmes. Une population d’automobiles est un réseau mobile de réservoirs d’énergie. Ceci dit, voilà quelques observations intéressantes.   

Premièrement, il y a de plus en plus d’automobiles nouvelles par chaque personne nouvelle née. Les nombres de base, je les montre dans le tableau ci-dessous. Le nombre d’automobiles produites annuellement vient de https://www.worldometers.info/cars/ , pendant que la démographie est basée sur les données de la Banque Mondiale (https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.TOTL ). Plus loin, en-dessous du tableau numérique, je présente le même sujet graphiquement, en forme d’index 2010 = 1,00.

AnnéeAutomobiles produites globalementPopulation mondiale
1999               39 759 847       6 034 491 778 
2000               41 215 653       6 114 332 537 
2001               39 825 888       6 193 671 774 
2002               41 358 394       6 272 752 973 
2003               41 968 666       6 351 882 363 
2004               44 554 268       6 431 551 642 
2005               46 862 978       6 511 748 367 
2006               49 918 578       6 592 734 537 
2007               53 201 346       6 674 203 645 
2008               52 726 117       6 756 917 893 
2009               47 772 598       6 839 574 286 
2010               58 264 852       6 921 871 603 
2011               59 897 273       7 002 860 245 
2012               63 081 024       7 085 762 277 
2013               65 745 403       7 169 638 368 
2014               67 782 035       7 254 226 881 
2015               68 539 516       7 338 964 954 
2016               72 105 435       7 424 286 143 

Deuxièmement, il y a de plus en plus de puissance électrique installée par personne dans le monde (https://unstats.un.org/unsd/energystats/ ). C’est un fait qui apparemment a peu en commun avec les automobiles mais j’explique un peu plus loin. En tout cas, voilà les données numériques, ci-dessous. La troisième colonne, avec « Delta puissance / delta population » en tête est une valeur marginale. C’est la croissance annuelle de la puissance électrique installée divisée par la croissance annuelle analogue dans la population. Ça montre combien de kilowatts nouveaux de puissance électrique correspondent à chaque être humain nouveau sur la planète. Nous pouvons voir que ça bouge, ce quotient des deltas. Au fil des années, chaque homo sapiens reçoit plus de puissance électrique en cadeau. Enfin, pas tout à fait en cadeau : les parents de cet homo sapiens doivent payer pour l’énergie fournie par la puissance en question.     

AnnéePuissance électrique installée dans le monde (MW)Puissance électrique par tête d’habitant (kW)Delta puissance / delta population
19993 363 432,460,561,13
20003 472 904,930,571,37
20013 576 290,560,581,30
20023 754 233,590,602,25
20033 908 520,310,621,95
20044 043 439,790,631,69
20054 175 549,310,641,65
20064 367 561,020,662,37
20074 550 173,790,682,24
20084 748 664,030,702,40
20094 950 686,180,722,44
20105 182 394,400,752,82
20115 443 572,280,783,22
20125 664 728,480,802,67
20135 893 934,280,822,73
20146 170 181,660,853,27

Maintenant, j’interpose les bagnoles avec la puissance électrique et voilà : troisièmement, il y a de moins en moins d’automobiles nouvelles par chaque MW nouveau de puissance électrique installée. Si on inverse le raisonnement, il y a de plus en plus de puissance électrique nouvelle par chaque voiture nouvelle.

Nous avons donc la situation suivante : nos réserves des carburants fossiles – surtout calculés par tête d’habitant – se rétrécissent, pendant que la puissance électrique installée par tête d’habitant est en train de croître. Point de vue jus en réserve, il y a une transition vers l’électricité à partir de la combustion directe des carburants fossiles.

Je pose donc l’hypothèse que le développement des voitures électriques est une fonction émergente de notre civilisation et dans cette fonction émergente, la technologie de stockage d’énergie, dans les batteries aussi bien que dans les stations de chargement, est l’intermédiaire naturel entre la puissance électrique installée et le développement d’électromobilité.

De quoi parler à la prochaine réunion de faculté

Je change un peu de style par rapport à mes dernières mises à jour sur ce blog et je change parce que c’est le début de l’année académique, chez moi. C’est donc le chaos habituel que je commence à aimer, par ailleurs. Cette mise à jour est donc une mise en ordre dans mes idées et mes projets.

Je commence par essayer de résumer la recherche que j’ai faite pendant les vacances. Je pose donc l’hypothèse générale que le changement technologique est un phénomène émergent, qui survient comme intégration des phénomènes partiels dans le système social dont la complexité est essentiellement insaisissable pour nous. L’hypothèse d’émergence impose par ailleurs une distinction entre le terme de changement technologique et celui de progrès technologique. Le progrès technologique est un terme fortement subjectif, basé sur un système des valeurs communes dans une société. Le progrès c’est donc du changement, comme phénomène émergent, plus notre interprétation de ce phénomène.

Cette hypothèse a d’autres conséquences, dont la plus importante et la plus pratique c’est une mise en question radicale du concept de politique technologique ou politique d’innovation, au niveau agrégé d’état, de communauté internationale ou même au niveau des grandes entreprises. Dans les soi-disant « politiques technologiques » leurs créateurs assument que nous pouvons collectivement décider de développer nos technologies dans une direction donnée et que ça va marcher. Pour autant que je sache, c’est problématique déjà au niveau des grandes entreprises. Les politiques d’innovation des années 1990 dans l’industrie automobile, par exemple, étaient dans ce style. C’était comme « tout le monde se concentre sur la création de la technologie AVBG pour les 10 années à venir et pas de discussion ». Dans la plupart des cas, les résultats étaient désastreux. Des milliards des dollars dépensés sur des projets qui échouaient de façon spectaculaire au moment de confrontation au marché. Je pense que la seule technologie fondamentale dans l’automobile qui avait émergé avec succès des années 1990 c’était la propulsion hybride (moteur électrique plus moteur à combustion interne). C’était une technologie à laquelle personne de donnait arbitrairement la priorité dans les stratégies des grandes entreprises du secteur. Le pionnier dans ce domaine, Toyota, approchait le développement de la propulsion hybride de façon très prudente et pragmatique, comme une série heuristique d’expériences contrôlées, très loin des stratégies du type « tout le monde à bord ».  

Après les échecs des politiques centralisées d’innovation des années 1990, les grandes entreprises sont devenues beaucoup plus prudentes dans ce domaine. La meilleure politique semble être celle d’expérimentation abondante avec plusieurs idées nouvelles à la fois, avec une composante de compétition interne. Eh bien, lorsque je regarde les politiques qui se donnent l’étiquette « climatiques », quoi que cela veuille dire au juste, je me dis que ces hommes et femmes politiques (à propos, peut-on dire « les gens politiques » ?) feraient bien de prendre exemple des grandes entreprises. Les politiques qui commencent avec « Nous devons tous… » sont déjà suspectes. Si une telle politique assume, en plus, que la meilleure façon de stimuler l’innovation est d’introduire des nouveaux impôts, je suis contre. Oui, pour être clair : je suis vigoureusement contre le soi-disant « impôt carbone ». Je trouve cette idée dysfonctionnelle sur plusieurs niveaux, mais j’y reviendrai à une autre occasion.

Mon plat scientifique à emporter, après les vacances d’été AD 2021, est donc celui de changement technologique comme phénomène émergent qui intègre un système social complexe en ce qui concerne l’usage des ressources. Je me réfère fortement à la théorie des systèmes complexes en général et plus particulièrement à quatre modèles mathématiques là-dedans : le modèle d’automates cellulaires, celui d’essaim d’oiseaux, celui de fourmilière, et enfin celui des chaînes imparfaites de Markov.   

Avec cette perspective générale dans l’esprit, je me tourne vers un projet de recherche qui est en train de prendre forme parmi moi et mes collègues à l’université. Nous pensons qu’il serait intéressant d’étudier les développements possibles dans le marché européen des véhicules électriques, plus particulièrement en ce qui concerne les modèles d’entreprise. Par « modèle d’entreprise » je veux dire la même chose que le terme anglais « business model », donc la façon d’intégrer et de gérer la chaîne de valeur ajoutée dans le marché en question.

J’explique. Si on prend le marché global des véhicules électriques, on a essentiellement trois modèles d’entreprise : Tesla, les sociétés automobiles classiques et les startups. Tesla est idiosyncratique, c’est pratiquement une industrie en soi. Leur modèle d’entreprise est basé sur une intégration verticale très poussée, aussi bien au niveau des technologies qu’à celui d’organisation. Tesla avait commencé par faire des bagnoles électriques, puis ils ont enchaîné avec des stations de chargement et du photovoltaïque. C’est une chaîne de plus en plus longue des technologies verticalement connectées. D’autre part, le concept de « giga factory », chez Tesla, c’est de l’intégration verticale opérationnelle. L’idée consiste à convaincre les fournisseurs de localiser, dans la mesure du possible, leurs centres de fabrication dans la même usine où Tesla fait ses voitures. Simple et génial, j’ai envie de dire.

Tesla a donc un modèle d’entreprise très fortement intégré à la verticale et – comme j’ai pu le constater en observant leurs finances au fil des années – ça a pris du temps d’apprendre comment gérer cette chaîne de façon à capter proprement la valeur ajoutée. Ce n’est que récemment que tout ce bazar a commencé à être profitable. Là, il y a une question qui me fascine : pourquoi est-ce qu’autant de gens avaient mis autant d’effort dans l’expérimentation tellement coûteuse avec un modèle d’entreprise qui, pendant des années (pendant presque une décennie, en fait), semblait n’avoir aucune perspective réaliste de dégager du profit ?

Oui, je sais, Elon Musk. Le gars est fascinant, je suis d’accord. Seulement une organisation de la taille de Tesla, ça ne se crée pas autour d’une seule personne, même aussi géniale qu’Elon Musk, qui, par ailleurs, tout en étant un génie, n’est pas vraiment charismatique. Les grandes organisations, ça émerge de la complexité du tissu social, en intégrant certaines parties de ce tissu. Il est très dur de créer une grande organisation et il est encore plus dur de la tenir en place à long terme. Il doit y avoir des mécanismes sociaux sous-jacents qui soutiennent et stimulent ce phénomène.      

A côté de Tesla, il y a les producteurs automobiles établis, comme Daimler Chrysler, Toyota, le groupe PSA etc. Aujourd’hui, c’est devenu presque un impératif pour un producteur automobile de faire des véhicules électriques. Seulement ces producteurs-là, ils maintiennent le modèle d’entreprise bien morcelé verticalement, avec du outsourcing poussé et aucune tentative marquée d’adopter le modèle super-intégré de Tesla.

A côté de tout ça, il y a beaucoup des startups dans le marché des voitures électriques et ça, c’est même plus fascinant que Tesla. Pendant des décennies, l’automobile semblait être complétement fermé à ce type de petite entreprise créative, agile et coriace dont en voit plein dans l’informatique, la nanotechnologie ou bien la biotechnologie. Paradoxalement, le moment où Tesla a réussi de stabiliser financièrement sont modèle d’entreprise super intégrée, des startups ont commencé à proliférer. C’est comme si l’émergence d’un organisme géant très spécifique avait enclenché l’émergence des petites bestioles expérimentales de toute sorte.

Je me demande donc quel peut bien être ce mécanisme sous-jacent d’émergence des modèles nouveaux d’entreprise avec l’avènement des véhicules électriques. Voilà mon hypothèse de travail no. 1 à ce sujet : l’émergence rapide de nouveaux modèles d’entreprise manifeste une tendance poussée de la société à expérimenter et ceci, à son tour, témoigne de l’orientation collective sur un certain type de résultat.

Il y a ce principe, formulé, je crois, par Sigmund Freud. Si nous voulons découvrir les motivations réelles et profondes d’une personne qui ne sait pas comment les articuler, regardons les conséquences de ses actions. Ces conséquences disent beaucoup sur les valeurs et les tendances personnelles. La civilisation est une histoire. C’est un peu comme une personnalité. La prolifération des véhicules électriques à deux conséquences majeures. D’une part, nous réduisons notre dépendance du pétrole. Ceci contribue à protéger l’environnement, mais ça permet aussi de remuer un peu l’équilibre géopolitique. En Europe, par exemple, nous n’avons pas de pétrole local et aussi longtemps que nous roulons sur des moteurs à combustion interne, notre système de transport routier est stratégiquement dépendant d’une ressource que nous n’avons pas. A l’échelle globale, l’abandon du combustible en faveur des véhicules électriques, ça réduit la dépendance stratégique vis-à-vis des pays pétroliers et c’est in changement géopolitique majeur.   

La seconde conséquence majeure de la transition vers le véhicule électrique est une accélération spectaculaire dans le développement des technologies de stockage d’énergie. Remarquons, par ailleurs, que chaque voiture est un réservoir mobile d’énergie. Ça concerne toutes les voitures, celles à combustion interne aussi. Le réservoir d’essence est un réservoir mobile d’énergie. Le développement d’automobile en général, donc des moyens de transport qui bougent avec leur propre énergie, équivaut au développement d’un réseau géant de petits réservoirs mobiles d’énergie.

Notre civilisation s’est largement développée, à travers des millénaires, sur la base des technologies de stockage. Le stockage de nourriture semble avoir joué un rôle crucial, mais le stockage d’énergie est important aussi. Toute l’industrie des carburants fossiles est largement l’histoire de découverte comment stocker et transporter une source d’énergie. Les véhicules électriques, ça peut être la génération 2.0 dans ce domaine.

Voilà donc que je peaufine mon hypothèse de travail, comme no. 2 : l’émergence rapide de nouveaux modèles d’entreprise dans l’industrie des véhicules électriques est un phénomène émergent d’expérimentation collective orientée sur le réaménagement des relations géopolitiques basées sur la dépendance du pétrole ainsi que sur le développement des technologies de stockage d’énergie.

Eh bien voilà une jolie hypothèse. De quoi parler à la prochaine réunion de la faculté.

Des choix faits sous incertitude

Mon éditorial

J’ai remarqué que ce début d’année académique, ça a sacrément déstabilisé mon cours de travail intellectuel. Par « travail intellectuel » je comprends le fait que j’écrive quelque chose sur mon blog ou dans un article scientifique. Depuis l’avènement de la psychologie behavioriste il n’est pas tout à fait clair si le fait d’utiliser le langage, même dans le haut registre grammatical, est une preuve d’intelligence. Il y a des cas pour et il y a des cas contre. J’espère être un cas pour. Bon, assez de psychanalyse, faut faire ce travail intellectuel dont je parle. Depuis que j’avais pondu ce dernier article, je réfléchis comment je pourrais bien développer cette idée sous la forme d’un livre et, en même temps, comment je peux inclure les résultats de ma recherche dans mon enseignement à la fac. Procédons par ordre : il serait bon de faire un petit sommaire de ce que j’avais fait en termes de recherche, cette année.

Tout d’abord, l’idée que j’avais nourri depuis printemps, cette année, et qui pour le moment n’a abouti à aucune conclusion : le Wasun ou la monnaie virtuelle attachée au marché d’énergies renouvelables. Mon idée de base était que la création d’une telle monnaie – « création » semble être un terme plus approprié que l’émission, dans ce cas précis – pourrait faciliter la transition des communautés locales vers une base énergétique verte à 100%. Bien que j’avais tourné et retourné cette idée sous – comme je pense – tous les angles possibles, rien ne semblait coller. Après, comme je me suis fait une base empirique à propos d’énergies vertes, j’ai un peu compris pourquoi ça ne collait pas. Un, la transition vers les énergies renouvelables, ça se fait à une cadence de plus en plus accélérée, un peu partout dans le monde, et cette accélération est peut-être le fait le plus important dans toute ma recherche cette année. Deux, je viens de prouver que – ou, comme on dit dans le langage élégant et barbant de la science, de contribuer à clarifier les présomptions qui laissent poser l’hypothèse que – la grande majorité des populations locales sur Terre peut se stabiliser et même croître significativement autour d’énergies renouvelables. Pas vraiment besoin de fouetter ces chevaux. Ils sont déjà en plein galop. Trois, j’avais produit une preuve scientifique convaincante que le changement technologique accéléré, ça produit notoirement un surplus de masse monétaire. Là aussi, il n’est pas vraiment impératif de pousser plus : ça roule tout seul.

Par contre, un truc qui semble avoir marché d’une façon très intéressante, c’est l’équivalent de cette astuce où on tire la nappe d’une table, d’un coup sec, sans renverser les couverts. Les couverts sont les faits empiriques. La vie, quoi, juste exprimée en nombres. La nappe que j’avais tirée d’en-dessous ces couverts c’est l’assomption que notre civilisation devrait économiser l’énergie. Je suis fermement convaincu et j’ai une méthode scientifique de prouver que le comportement collectif de notre espèce – y compris la transition vers les énergies vertes – s’explique d’une façon beaucoup plus raisonnable avec  l’assomption contraire, c’est-à-dire que nous maximisons, systématiquement, l’absorption de l’énergie de notre environnement. Nous demander d’économiser l’énergie c’est comme demander à un tigre de se convertir au véganisme.

Bon, tout ça, ci-dessus, c’est ce que j’avais plus ou moins prouvé ou présenté sous forme d’une preuve scientifique. Ensuite, il y a mes idées : ces trucs importuns dans ma tête dont je ne sais pas comment les présenter d’une façon 100% scientifique et donc je ne sais pas s’ils sont vrais ou faux. Je pourrais les appeler hypothèses, seulement voilà, là, il y a comme un petit problème : une hypothèse scientifique, ça devrait être vérifiable, et pour ces trucs-là, je ne sais même pas comment les vérifier. Alors, première idée : le changement technologique s’effectue par expérimentation qui, à son tour, est un processus évolutif dans une structure sociale où des entités femelles – des gens avec du pognon qui en connaissent d’autres avec du pognon – recombinent des technologies initialement crées par des entités mâles (des gens avec des idées). Ce processus crée des hiérarchies des technologies, ou plutôt des hiérarchies des entités mâles, suivant les préférences des entités femelles. Idée no. 2 est que la hiérarchisation due aux mécanismes évolutifs s’effectue à travers trois processus de base : définition (et distribution) des rôles sociaux, définition d’identités de groupe, et enfin le gain d’accès aux ressources. Enfin, la troisième idée est qu’à présent nous traversons, comme espèce, une période d’expérimentation sociale accélérée et ceci pour deux raisons. Premièrement, plus on est du monde sur la Terre, plus on a d’interactions mutuelles. C’est comme une rue de grande ville : plus il y a du monde dans le quartier, plus il est probable qu’on croise quelqu’un dans la rue. Plus on a d’interactions, plus vite on apprend et plus on expérimente. Par ailleurs, cette période de 2007 – 2008, quand le marché d’énergies renouvelables avait tout à coup accéléré sa croissance, c’était précisément le moment quand la population urbaine mondiale avait franchi le cap des 50% de l’humanité. Deuxièmement, dans ma recherche j’ai découvert que l’intensité de l’innovation est la plus grande dans les pays où le déficit alimentaire est entre zéro et 88 kilocalories par jour par personne. Eh bien, il se fait que le déficit alimentaire moyen de la population globale vient de franchir ces 88 kilocalories par jour par personne. Nous sommes cette bête qui est déjà acceptablement nourrie mais pas encore tout à fait à sa faim.

Côté enseignement, j’ai déjà commencé à inclure l’étude du marché de l’énergie dans l’enseignement de la microéconomie, mais le truc le plus intéressant est comment enseigner à mes étudiants les façons d’étudier le phénomène d’intelligence collective et d’apprentissage collectif. J’avoue que je suis conscient de mes propres limites dans le domaine : l’intelligence collective c’est plutôt le truc d’informaticiens, mais j’ai quelques idées en tête. Je pense utiliser des fondements de la théorie des jeux pour montrer le mécanisme des choix faits sous incertitude. Peut-être j’utiliserai le rectangle Bayésien . Ce dernier truc, ça peut captiver l’attention des étudiants, avec toute cette histoire du philosophe (Thomas Bayes) mort plus d’un an avant la publication de son article. C’est que je veux c’est d’aller un peu à travers les disciplines. Ceci peut consister, par exemple, à montrer comment la définition des rôles sociaux peut induire du changement dans l’équilibre local d’un marché.

Les implications de ce que je viens d’écrire

Mon éditorial

Je suis en train de penser à plusieurs trucs à la fois, ce qui arrive parfois à tout le monde. Je continue mon apprentissage de Python 3.6.2 et de documenter ce processus. Je suis arrivé à ce stade d’ignorance heureuse où je prends simplement une commande de Python et je joue avec, très intuitivement, sans en espérer trop, juste pour voir ce que ça donne. J’ai donc arrêté d’essayer d’utiliser Python comme une version moins confortable d’Excel et j’explore sans idées prédéterminées. Je me demande si des changements technologiques à l’échelle des sociétés ne marcheraient mieux si on faisait ça de façon organisée, comme « jours d’apprentissage spontané ». L’autre truc auquel je pense c’est ma recherche en cours, celle qui concerne l’innovation, le changement technologique et la transition vers les énergies renouvelables. Je commence à mettre en place la structure d’un livre sur ce sujet. Le titre de travail c’est quelque chose comme « Bons en énergie », puisque je veux y développer cette idée centrale que nous, c’est-à-dire la civilisation humaine, nous excellons à l’absorption d’énergie de notre environnement et à sa transformation et que la transition vers les énergies renouvelables peut être mieux comprise et peut-être même mieux organisée si on la base sur cette auto-compréhension.

Il y a beaucoup de choses que je voudrais mettre dans ce livre. Tout d’abord, le fait central contemporain serait ce changement qui s’est effectué en 2007 – 2008, lorsque le marché d’énergies renouvelables avait tout à coup commencé à croître beaucoup plus vite qu’avant. Je veux trouver et exposer une explication de ce fait. La revue de littérature sur l’histoire de la technologie m’a fait découvrir l’hypothèse générale de déterminisme technologique, avec toutes ses nuances et contre-arguments et quand j’y pense, elle ferait un joli paysage théorique pour l’étude de la transition énergétique. Attention, ça arrive ! Voilà une hypothèse générale qui vient de se former dans mon esprit. Vite, avant qu’elle refroidisse : « Les changements sociaux et technologiques de la civilisation humaine sont fonctionnellement orientés sur la maximisation d’absorption d’énergie de l’environnement ». Ouais, ce vrai que ça fait un joli fond pour le contenu de ce livre. Sur ce fond, avec des coups légers (et bien incertains encore, soyons francs) de clavier de mon MacBook Air, j’esquisse quelques hypothèses plus spécifiques. Un, la structure spatiale de la civilisation humaine s’adapte et se regroupe en vue de cette absorption maximale d’énergie. Deux, la cadence de changement technologique est fonctionnellement liée au déficit alimentaire éprouvé par la société donnée et atteint son maximum dans les sociétés où ce déficit, tout en étant observable, n’excède pas 90 kilocalories par jour par personne. Trois, le changement technologique suit une fonction évolutive de sélection et hiérarchisation, où des entités sociales se spécialisent, respectivement, en la fonction mâle de conception et la fonction femelle de recombinaison et reproduction, ce qui crée une hiérarchie entre les entités mâles en fonction de leur aptitude à satisfaire les exigences des entités femelles. Quatre, le changement technologique au niveau de l’énergie est fonctionnellement lié au développement des systèmes de communication, avec la masse monétaire jouant le rôle d’un système de communication parmi autres et la vélocité de l’argent étant inversement proportionnelle à la cadence du changement technologique. Eh bien, voilà, ça n’a pas été si dur que ça. Une hypothèse générale et quatre hypothèses spécifiques, chacune correspondant à un chapitre du livre.

L’autre truc auquel je pense c’est le début des cours à la fac. Je suis prof d’université et mon année civile se structure en fonction de l’année académique. J’aime bien ce travail et c’est en fait avec un peu d’impatience que j’attends le premier Octobre chaque année. En ce qui concerne ce blog, l’avènement de l’année académique veut dire que je placerais, outre mes mises à jour genre recherche, des mises à jour éducatives. Comme j’enseigne en anglais et en polonais, je vais utiliser ces deux blogs jumeaux – https://discoversocialsciences.com et https://researchsocialsci.blogspot.com – pour placer du matériel éducatif en anglais et à part ça, je démarre avec un blog en polonais pour faire le même en ma langue natale. Je ne sais pas si j’aurai le temps et l’énergie pour jumeler en français le matériel éducatif publié en anglais mais enfin, on va bien voir. Je me dis, quand j’y pense, que ce serait judicieux de combiner d’une certaine façon le matériel éducatif avec l’écriture de mon livre. Après tout, je suppose que ce n’est pas interdit de partager mes intérêts de recherche avec mes étudiants.

Je m’en prends donc à la première hypothèse de mon livre : « la structure spatiale de la civilisation humaine s’adapte et se regroupe en vue de l’absorption maximale d’énergie ». Je pense qu’il est utile que j’explique, une fois de plus et certainement pas la dernière, à l’adresse des pas-tout-à-fait-initiés, à quoi ça sert, une hypothèse. Vous pouvez imaginer la réalité telle que nous la percevons comme du sacré bordel. L’une des premières choses à faire avec la réalité perçue consiste donc à y mettre de l’ordre. Une hypothèse est comme un classeur ou un carton de rangement : j’y mets des choses qui semblent y avoir leur place plutôt que dans un autre classeur (carton). Nous pouvons formuler un nombre indéfiniment grand d’hypothèses à propos de chaque morceau de réalité observable, même si vous venez d’extraire ledit morceau de l’une de vos narines. Dans ce domaine vaste de tout ce que je peux dire à propos de quelque chose, il y a un sous-ensemble d’hypothèses qui sont raisonnablement vérifiables, et il y a tout le reste, intéressant, certes, mais peu utile. La technique scientifique de base consiste donc à prendre une boîte de rangement et d’y mettre certains trucs, tout en laissant tout le reste de la réalité à ranger par d’autres esprits hantés comme le mien. Lorsque je formule cette hypothèse au sujet de la structure spatiale de la civilisation humaine, je collecte des faits et des théories à propos de la structure spatiale de l’habitat humain. Je ne sais pas, en ce moment précis, quand j’écris ces mots, si cette hypothèse est suffisamment robuste pour être admise comme vraie sous des conditions raisonnables. Je n’en sais rien et je veux le découvrir. L’hypothèse m’aide à diriger mes efforts. Elle est donc comme un classeur croisé avec un viseur optique.

C’est ainsi donc que je me dirige vers le Grand Maître de la géographie économique : Paul Krugman. Je fourre dans le passé du Grand Maître. Je vais suffisamment loin en arrière pour découvrir ce que le Grand Maître écrivait, lorsqu’il n’était pas encore tout à fait le Grand Maître : le début des années 1990. A l’époque, Paul Krugman était encore le Luke Skywalker de l’économie : main sûre, esprit alerte, du talent reconnu, mais pas encore de lettres de noblesse. En 1991, il a publié un article intitulé « Increasing Returns and Economic Geography » (Krugman 1991[1]). Dans cet article, Paul Krugman présente un modèle de différentiation interne d’un pays en un centre industrialisé et une périphérie agriculturale. Pour réaliser des économies d’échelle tout en minimisant le coût de transport, les entreprises manufacturières se situent dans la région avec la demande la plus significative, seulement la localisation de la demande elle-même dépend de la localisation de production. L’émergence d’un modèle « centre – périphérie » dépend des coûts de transport, d’économies d’échelle, ainsi que de la part relative de l’industrie manufacturière dans le revenu national.

En 1998, Paul Krugman avait donné une sorte de résumé de sa théorie de géographie économique (consultez : Krugman 1998[2]). Sa conclusion d’alors était que la soi-disant nouvelle géographie économique se démarque par l’utilisation systématique de la fonction d’utilité maximale dans le contexte de l’équilibre général, en dérivant le comportement agrégé de la maximalisation individuelle. L’avantage principal de cette théorie, selon Krugman, est de démontrer comment des accidents historiques peuvent donner une forme géographique à l’activité économique et comment des changements graduels dans les paramètres économiques peuvent produire des changements discontinus dans la structure spatiale. De cette façon, la géographie économique est placée droit dans le créneau central de la recherche économique. A ce point-là, j’ai comme un pressentiment qu’au moins certains d’entre vous vont avoir besoin d’une exégèse de ma part. Eh bien, à la source, c’est tout la faute à Léon Walras , un économiste français qui a inventé ce truc d’équilibre général. En gros, sa théorie, la voilà : lorsqu’on fait du business, même si on s’imagine d’en faire d’une manière absolument géniale, genre « plus ingénieux que moi, tu meurs », en fait, on en fait d’une façon terriblement standardisée à travers la structure sociale. Tout le monde pense qu’ils sont des génies de l’industrie mais ils convergent tous vers un nombre très limité de stratégies qui marchent vraiment. Si tout ce petit monde avait une information parfaite et pouvait transférer les moyens de production librement entre des différents emplois, on pourrait vite atteindre un état de productivité parfaite avec ce qu’on a en termes de capital et travail et ce serait précisément cet état d’équilibre général. Seulement voilà, en l’absence poignante de conditions parfaites, on doit se satisfaire d’un état voisin de l’équilibre général.

A quoi bon, vous demanderez, se donner de la peine pour étudier un état qui n’a aucune chance d’exister dans la vie réelle ? Eh bien, voilà le truc et la grosse découverte : les économistes ont découvert que la société peut changer au rythme des petits pas ou à celui des bonds de sept lieues. Tant que l’état de l’économie peut être interprété comme voisin du même état d’équilibre général, le changement prend place à petits pas. Lorsqu’on fiche vraiment du bordel autour de nous et lorsque le voisinage de l’équilibre général donné (donc avec des paramètres donnés) devient tellement distant qu’on ne peut même plus le voir à l’horizon, cet équilibre, et lorsque bon gré mal gré il faut se construire un nouvel état d’équilibre général pour l’avoisiner, alors c’est du changement social profond, comme un tsunami économique. Bref, tout état d’une société peut être étudié, du point de vue économique, comme voisin d’un équilibre général bien défini par un ensemble de paramètres.

Voilà donc que j’ai une piste Krugmanienne pour développer sur mon hypothèse. Je vais chercher un état d’équilibre général qui est plausiblement corrélé avec l’absorption de l’énergie. Ensuite, je vais l’utiliser comme un échafaudage pour bâtir un modèle de différentiation spatiale en fonction de l’absorption de l’énergie. Vous ne comprenez pas tout à fait ce que je veux dire ? Vous n’êtes pas les seuls : moi non plus je ne comprends pas tout à fait les implications de ce que je viens d’écrire. Pas encore. Ça va venir.

[1] Krugman, P., 1991, Increasing Returns and Economic Geography, The Journal of Political Economy, Volume 99, Issue 3 (Jun. 1991), pp. 483 – 499

[2] Krugman, P., 1998, What’s New About The New Economic Geography?, Oxford Review of Economic Policy, vol. 14, no. 2, pp. 7 – 17

Je réorganise mes ressources pour le Python

Mon éditorial

Me voilà qui continue cette expérience étrange et rafraîchissante de faire de la recherche sur le changement technologique en même temps que je fais du changement technologique en moi-même, c’est-à-dire en apprenant le Python, une langue de programmation à la mode dans les endroits fréquentés par des types comme moi. Ces endroits sont des universités, des conférences, des bibliothèques etc. Vous voyez le genre. Durant les deux derniers jours j’ai déjà découvert qu’en appréhendant cette technologie nouvelle (nouvelle pour moi, je veux dire), j’avais commencé, intuitivement, par utiliser le Python pour qu’il fasse exactement la même chose que fait Excel ou mon logiciel d’analyse statistique, Wizard for MacOS. Je m’étais donc appliqué à bâtir une base de données comme je la vois, donc comme une table. En Python, les données sont organisées comme structures logiques et non pas graphiques, donc mes efforts avaient été vains dans une large mesure. Je commettais beaucoup d’erreurs, parfois stupides. J’avais besoin d’un nombre surprenant d’essais pour acquérir une capacité acceptablement intuitive de distinguer entre les structures logiques validées et celles qui ne le sont pas. Ça m’avait aussi pris un temps déconcertement long pour faire la distinction entre des structures logiques avec des mots et des symboles dedans – ces soi-disant « strings » – et les structures qui contiennent des nombres. Pour les non-initiés, une série de noms en Excel, ça se présente comme une colonne ou bien un vers, donc comme :

Mot#1
Mot#2
Mot#3

   …ou bien comme

Mot#1 Mot#2 Mot#3

…tandis qu’en Python ce serait plutôt :

>>> Mots=[‘Mot#1’, ‘Mot#2’, ‘Mot#3’]

… donc chaque mot entre des apostrophes (qui sont des marques de citation de base en anglais), les mots séparés par des virgules et tout ça compris entre des parenthèses carrées. C’est précisement ce qu’on appelle un « string ».

Si je veux organiser des valeurs numériques, la façon que j’ai déjà apprise pour les organiser est une série entre des parenthèses rondes :

>>> Nombres=(23, 34, 45, 56)

Comme vous pouvez le constater, le Python requiert un ordre logique : valeur logique ou numérique en position no. 1, ensuite celle en position no. 2 et ainsi de suite.

Bref, en un premier temps, j’avais mis beaucoup d’effort pour insérer de force cette nouvelle technologie dans une vieille structure de mes habitudes, et ce n’est qu’ensuite que j’ai commencé à apprendre des nouvelles habitudes. Tout ça se reflétait dans une efficacité tout ce qu’il y a de plus lamentable. J’avançais à un pas d’escargot. Oui, je sais, un escargot, ça n’a pas de pattes, donc ça ne peut pas faire de pas, mais « pas d’escargot » ça sonne bien.

Hier soir, tout en m’entraînant à développer une compréhension aussi intuitive que possible de ces structures logiques de Python, j’avais commencé à faire autre chose : engranger des données organisées façon Python. Les tables que je télécharge du site de la Banque Mondiale sont organisées en pays et années d’observation, pays en colonne, années dans un vers en haut. Je sens intuitivement qu’une fois que je crée un string des pays et je le sauve dans un fichier Python à part, il me servira plusieurs fois pour apprendre des nouveaux trucs ou tout simplement pour faire des analyses plus tard, lorsque j’aurai appris comment utiliser se string des pays. Avec deux tests rapides pour la grammaire et avec deux petits réajustements, ça m’a pris 26 minutes de créer le fichier « countries_WB.py », qui contient un string nommé « countries », qui, à son tour, contient la même liste des pays et régions, en anglais, que vous pouvez trouver dans les tables Excel de la Banque Mondiale.

Ce que je viens de faire consiste à réorganiser mes ressources de façon à les rendre plus accessibles à la nouvelle technologie que j’apprends. Pour le moment, je l’avais fait manuellement, en copiant la table des pays en Excel dans mon éditeur Word, ensuite en la convertissant en texte, copiant ce texte dans le compilateur Python et organisant ces noms des pays en un string « countries=[‘Pays#1’, ‘Pays#2’, etc.]. Je sais, je sais, je pourrais télécharger directement, du site de la Banque Mondiale, un fichier en format CSV et le déballer avec les commandes Python du module « csv ». Oui, j’aurai pu le faire si je savais exactement comment le faire et ça, c’est encore de l’avenir pour moi. Je faisais donc face à un choix : organiser mes ressources pour la nouvelle technologie en une manière bien grossière et improductive ou bien attendre que j’apprenne une façon plus rapide et élégante d’accomplir la même tâche. J’avais choisi la première option.

Voilà donc que je peux généraliser mes observations au sujet de mon propre comportement dans cette expérience sur moi-même. En présence d’une technologie nouvelle, j’ai développé comme trois modèles de comportement :

Modèle #1 : j’essaie d’utiliser la nouvelle technologie (Python) pour accomplir les mêmes résultats que j’accomplissais avec la technologie précédente (Excel, Wizard). Mon choix consiste surtout à décider combien de temps et d’énergie je vais consacrer à essayer d’appliquer la logique ancienne à la technologie nouvelle.

Modèle #2 : Je me suis rendu compte que les vieilles habitudes ne marchent pas et je commence à en apprendre des nouvelles. Mon choix se fait à deux niveaux. Premièrement, je fais des petites décisions instantanées à propos du prochain pas d’apprentissage à faire. Sur un deuxième niveau, je décide combien de temps et d’énergie consacrer à l’apprentissage des compétences requises par la technologie nouvelle. C’est un choix fait en vue de bénéfices futurs incertains.

Modèle #3 : Je sais que l’une des compétences de base dans l’univers de Python consiste à organiser mes ressources de base – l’information – en des structures spécifiques. Je décide de faire un premier pas dans cette direction et je consacre environ une demi-heure à créer un string des pays et régions, exactement conforme à l’ordre utilisé dans les données de la Banque Mondiale. Je me souviens d’avoir fait deux choix distincts : est-ce que je m’y prends du tout et quel type d’information organiser en premier. J’avais pris ces deux décision en sachant que j’utilise une technique qui est loin d’être optimale dans l’univers de cette nouvelle technologie, ainsi que je savais que je ne sais pas du tout comment je vais utiliser ce string des pays dans l’avenir (je n’y suis pas encore arrivé dans mon apprentissage de Python).

A propos, juste pour que vous ayez du solide après avoir lu cette mise à jour : en-dessous du texte, j’ai copié ce string des pays exactement comme je l’avais écrit manuellement. Comme ça se présente maintenant, ça devrait être directement utilisable en Python. Vous pouvez le copier et mettre dans un programme. Côté syntaxe, c’est correct : je l’avais testé avec la commande « list(countries) » et Python avait rendu une liste à partir du string sans gueuler « erreur ! ». A cette occasion, j’ai appris que le dépositoire des fichiers sur mon site https://discoversocialsciences.com , dans l’environnement Word Press, n’accepte pas des fichiers en Python. Je voulais y télécharger et stocker le fichier « countries_WB.py » et le site a rendu erreur. Une petite leçon à propos de la compatibilité des technologies.

Maintenant, j’applique ces nouvelles connaissances, tout ce qu’il y a de plus empirique, pour faire une généralisation théorique. Si nous considérons deux technologies, une ancienne TC0 et une nouvelle TC1, la transition de TC0 à TC1 est liée, entre autres, à trois phénomènes : une substitution fonctionnelle complexe, un coût d’apprentissage CA(TC0 ; TC1) et un coût de réorganisation de ressources CR(TC0 ; TC1). Le premier phénomène, celui de substitution complexe, peut être représenté comme une relation entre deux ensembles. Il y a un ensemble F(TC0) = {f1, f2, …, fi} des fonctions remplies par la technologie TC0, et par analogie, je définis un ensemble F(TC1) = {g1, g2, …, gk} des fonctions remplies par la technologie TC1. Maintenant, avant que je passe plus loin, un petit mon d’explication à propos de la présentation : j’écris ce contenu-ci en sachant que je vais le copier dans mes deux blogs, celui en Word Press à https://discoversocialsciences.com , ainsi que celui dans l’environnement Blogger, à l’addresse https://researchsocialsci.blogspot.com . Tous les deux ne sont pas vraiment ami-ami avec l’éditeur d’équation de MS Word, donc j’écris les équations avec les symboles du clavier. Je n’ai pu trouver aucun clavier qui permet de taper directement les opérateurs mathématiques, y compris les opérateurs d’ensembles. J’adopte donc une convention simplifiée où les symboles +, -, * et / correspondent, respectivement, à la somme, différence, produit et quotient des ensembles.

La relation de substitution complexe entre technologies veut dire, qu’avec un niveau donné de compétences de la part d’utilisateurs, les ensembles F(TC0) = {f1, f2, …, fi} et F(TC1) = {g1, g2, …, gk} ont une partie commune, ou F(TC0)*F(TC1), qui correspond aux fonctions remplies par les deux technologies. Je définis le degré de substitution entre les deux technologies comme le quotient complexe : SU(TC0 ; TC1) = [F(TC0)*F(TC1)] / [ F(TC0) + F(TC1)]. Je pose formellement l’hypothèse que le coût d’apprentissage CA(TC0 ; TC1) ainsi que le  un coût de réorganisation de ressources CR(TC0 ; TC1) sont tous les deux inversement proportionnels à la valeur du quotient complexe SU(TC0 ; TC1) ou :

CA(TC0 ; TC1) = a1* SU(TC0 ; TC1)

CR(TC0 ; TC1) = a2* SU(TC0 ; TC1)

a1 > 0 ; a2 > 0

Je me dis, quand je regarde cette structure logique, qu’elle risque d’être un peu lourde avec beaucoup de technologies qui se substituent d’une façon complexe et avec beaucoup d’attributs fonctionnels. Je vois donc une façon alternative de représenter la même proposition, avec l’aide de la distance Euclidienne. Vous savez, ce truc basé sur le théorème de Pythagore : si on a deux points A et B, chacun défini par deux coordonnées x et y, on peut calculer la distance entre ces deux points comme d = ((x(A) – x(B))2 + (y(A) – y(B))2)0,5 . Maintenant, je remplace les points A et B par mes technologies TC0 et TC1, TCce que vous voulez, par ailleurs, et je dote chacune avec deux attributs mesurables x et y. Je peux alors calculer la distance Euclidienne « d » dans une paire donnée de technologies. Comme je suis toujours conscient que je devrais apprendre le Python, voilà, ci-dessous, je présente le fruit de trois jours d’apprentissage : un petit calculateur de distance Euclidienne en Python 3.6.2 :

# je commence par définir les coordonnées des trois technologies TC0, TC1 et TC2

>>> TC0=(12, 45)

>>> TC1=(34, 15)

>>> TC2=(17, 30)

>>> import math      #j’importe le module des fonctions mathématiques, juste pour me faciliter la tâche

# je définis mon calculateur pour la première paire de technologies

>>> for n in range(0, len(TC0)):

            for m in range(0, len(TC1)):

                       print(math.sqrt((math.pow(34-12, 2)+math.pow(15-45, 2))))

37.20215047547655

37.20215047547655

37.20215047547655

37.20215047547655

# je n’ai pas la moindre idée pourquoi le compilateur a affiché le même résultat quatre fois ; voilà un défi potentiel

#je répète avec l’autre paire de technologies

>>> for n in range(0, len(TC0)):

            for m in range(0, len(TC2)):

                       print(math.sqrt((math.pow(17 – 12, 2) + math.pow(30 – 15, 2))))

15.811388300841896

15.811388300841896

15.811388300841896

15.811388300841896

#voilà encore une fois le même résultat quatre fois ; amusant

Bon, je commence à ressentir de la fatigue intellectuelle. Temps de terminer pour aujourd’hui. A bientôt.

Comme promis, voilà le string des pays pour Python, conforme à la structure utilisée par la Banque Mondiale :

countries=[‘Aruba’,‘Afghanistan’,‘Angola’, ‘Albania’, ‘Andorra’, ‘Arab World’, ‘United Arab Emirates’, ‘Argentina’, ‘Armenia’, ‘American Samoa’, ‘Antigua and Barbuda’, ‘Australia’, ‘Austria’, ‘Azerbaijan’, ‘Burundi’, ‘Belgium’, ‘Benin’, ‘Burkina Faso’, ‘Bangladesh’, ‘Bulgaria’, ‘Bahrain’, ‘Bahamas The’, ‘Bosnia and Herzegovina’, ‘Belarus’, ‘Belize’, ‘Bermuda’, ‘Bolivia’, ‘Brazil’, ‘Barbados’, ‘Brunei Darussalam’, ‘Bhutan’, ‘Botswana’, ‘Central African Republic’, ‘Canada’, ‘Central Europe and the Baltics’, ‘Switzerland’, ‘Channel Islands’, ‘Chile’, ‘China’, ‘Cote d_Ivoire’, ‘Cameroon’, ‘Congo, Dem. Rep.’, ‘Congo, Rep.’, ‘Colombia’, ‘Comoros’, ‘Cabo Verde’, ‘Costa Rica’, ‘Caribbean small states’, ‘Cuba’,’Curacao’, ‘Cayman Islands’, ‘Cyprus’, ‘Czech Republic’, ‘Germany’, ‘Djibouti’, ‘Dominica’, ‘Denmark’, ‘Dominican Republic’, ‘Algeria’, ‘East Asia & Pacific (excluding high income)’, ‘Early-demographic dividend’, ‘East Asia & Pacific’, ‘Europe & Central Asia (excluding high income)’, ‘Europe & Central Asia’, ‘Ecuador’, ‘Egypt, Arab Rep.’, ‘Euro area’, ‘Eritrea’, ‘Spain’, ‘Estonia’, ‘Ethiopia’, ‘European Union’, ‘Fragile and conflict affected situations’, ‘Finland’, ‘Fiji’, ‘France’, ‘Faroe Islands’, ‘Micronesia, Fed. Sts.’, ‘Gabon’, ‘United Kingdom’, ‘Georgia’, ‘Ghana’, ‘Gibraltar’, ‘Guinea’, ‘Gambia, The’, ‘Guinea-Bissau’, ‘Equatorial Guinea’, ‘Greece’, ‘Grenada’, ‘Greenland’, ‘Guatemala’, ‘Guam’, ‘Guyana’, ‘High income’, ‘Hong Kong SAR, China’, ‘Honduras’, ‘Heavily indebted poor countries (HIPC)’, ‘Croatia’, ‘Haiti’, ‘Hungary’, ‘IBRD only’, ‘IDA & IBRD total’, ‘IDA total’, ‘IDA blend’, ‘Indonesia’, ‘IDA only’, ‘Isle of Man’, ‘India’, ‘Not classified’, ‘Ireland’, ‘Iran, Islamic Rep.’, ‘Iraq’, ‘Iceland’, ‘Israel’, ‘Italy’, ‘Jamaica’, ‘Jordan’, ‘Japan’, ‘Kazakhstan’, ‘Kenya’, ‘Kyrgyz Republic’, ‘Cambodia’, ‘Kiribati’, ‘St. Kitts and Nevis’, ‘Korea, Rep.’, ‘Kuwait’, ‘Latin America & Caribbean (excluding high income)’, ‘Lao PDR’, ‘Lebanon’, ‘Liberia’, ‘Libya’, ‘St. Lucia’, ‘Latin America & Caribbean’, ‘Least developed countries: UN classification’, ‘Low income’, ‘Liechtenstein’, ‘Sri Lanka’, ‘Lower middle income’, ‘Low & middle income’, ‘Lesotho’, ‘Late-demographic dividend’, ‘Lithuania’, ‘Luxembourg’, ‘Latvia’, ‘Macao SAR, China’, ‘St. Martin (French part)’, ‘Morocco’, ‘Monaco’, ‘Moldova’, ‘Madagascar’, ‘Maldives’, ‘Middle East & North Africa’, ‘Mexico’, ‘Marshall Islands’, ‘Middle income’, ‘Macedonia, FYR’, ‘Mali’, ‘Malta’, ‘Myanmar’, ‘Middle East & North Africa (excluding high income)’, ‘Montenegro’, ‘Mongolia’, ‘Northern Mariana Islands’, ‘Mozambique’, ‘Mauritania’, ‘Mauritius’, ‘Malawi’, ‘Malaysia’, ‘North America’, ‘Namibia’, ‘New Caledonia’, ‘Niger’, ‘Nigeria’, ‘Nicaragua’, ‘Netherlands’, ‘Norway’, ‘Nepal’, ‘Nauru’, ‘New Zealand’, ‘OECD members’, ‘Oman’, ‘Other small states’, ‘Pakistan’, ‘Panama’, ‘Peru’, ‘Philippines’, ‘Palau’, ‘Papua New Guinea’, ‘Poland’, ‘Pre-demographic dividend’, ‘Puerto Rico’, ‘Korea, Dem. People’s Rep.’, ‘Portugal’, ‘Paraguay’, ‘West Bank and Gaza’, ‘Pacific island small states’, ‘Post-demographic dividend’, ‘French Polynesia’, ‘Qatar’, ‘Romania’, ‘Russian Federation’, ‘Rwanda’, ‘South Asia’, ‘Saudi Arabia’, ‘Sudan’, ‘Senegal’, ‘Singapore’, ‘Solomon Islands’, ‘Sierra Leone’, ‘El Salvador’, ‘San Marino’, ‘Somalia’, ‘Serbia’, ‘Sub-Saharan Africa (excluding high income)’, ‘South Sudan’, ‘Sub-Saharan Africa’, ‘Small states’, ‘Sao Tome and Principe’, ‘Suriname’, ‘Slovak Republic’, ‘Slovenia’, ‘Sweden’, ‘Swaziland’, ‘Sint Maarten (Dutch part)’, ‘Seychelles’, ‘Syrian Arab Republic’, ‘Turks and Caicos Islands’, ‘Chad’, ‘East Asia & Pacific (IDA & IBRD countries)’, ‘Europe & Central Asia (IDA & IBRD countries)’, ‘Togo’, ‘Thailand’, ‘Tajikistan’, ‘Turkmenistan’, ‘Latin America & the Caribbean (IDA & IBRD countries)’, ‘Timor-Leste’, ‘Middle East & North Africa (IDA & IBRD countries)’, ‘Tonga’, ‘South Asia (IDA & IBRD)’, ‘Sub-Saharan Africa (IDA & IBRD countries)’, ‘Trinidad and Tobago’, ‘Tunisia’, ‘Turkey’, ‘Tuvalu’, ‘Tanzania’, ‘Uganda’, ‘Ukraine’, ‘Upper middle income’, ‘Uruguay’, ‘United States’, ‘Uzbekistan’, ‘St. Vincent and the Grenadines’, ‘Venezuela, RB’, ‘British Virgin Islands’, ‘Virgin Islands (U.S.)’, ‘Vietnam’, ‘Vanuatu’, ‘World’, ‘Samoa’, ‘Kosovo’, ‘Yemen, Rep.’, ‘South Africa’, ‘Zambia’, ‘Zimbabwe’]

Deux lions de montagne, un bison mort et moi

Mon éditorial

Je suis en train de bâtir les fondements théoriques de mon article sur l’approche évolutionniste du changement technologique. Dans tout article scientifique bien formé point de vue style, au moins en sciences économiques, il y a ce passage où l’auteur explique pourquoi il a pris le chemin qu’il ait pris. Cette explication bifurque, en fait, en deux questions distinctes : pourquoi est-ce le sujet important et qu’est-ce qui donne de la pertinence à la méthode employée par l’auteur ? Ici, quelques mots d’explication sur les finesses d’écriture scientifique en sciences économiques. Nous, les économistes, un peu comme les juristes, on assume, en général, que ça dépend. Toute question peut être approchée sous des angles différents : classique, néoclassique, institutionnel ancien, institutionnel nouveau, keynésien, postkeynésien, monétariste, théorie des jeux, évolutionniste, behavioriste, NCM etc. en encore, j’en passe quant aux mésalliances. L’exercice de style, dans une publication en sciences économiques, consiste très largement à annoncer quelle approche méthodologique ou bien quelle combinaison d’approches ai-je choisi pour la recherche empirique présentée dans l’article, ainsi qu’à expliquer pourquoi juge-je cette approche pertinente.

D’abord, donc, pourquoi est-ce que tout ce truc de changement technologique est-il important ? Ben voilà : on assume que nous formons une civilisation technologique avancée. Comme nous ne connaissons vraiment aucune autre civilisation technologique – les dernières tentatives de contact effectuées par Thor n’étaient pas vraiment prometteuses point de vue échange culturel – il est difficile de dire avec certitude comment avancés sommes-nous. En revanche, on peut étudier la manière dont on avance. Toujours ça de gagné. Les données empiriques en ce qui concerne l’effort d’innovation d’une part (inventions, cadence d’amortissement des technologies établies etc.) et ses résultats d’autre part (productivité, consommation d’énergie etc.) suggèrent qu’on ne peut pas être tout à fait sûr si on avance du tout. Je veux dire, oui, je sais qu’il y a du nouveau, seulement toutes ces nouveautés, ça semble ne pas apporter grand-chose en termes de progrès. Bon, je sais que le déficit alimentaire moyen dans l’économie mondiale s’est rétréci de presque 172 kilocalories par jour par personne en 1992 jusqu’à peine plus de 88 kilocalories en 2016. Oui, d’accord, couper le déficit alimentaire moyen par deux tout en doublant la population est quelque chose d’intéressant. Néanmoins, ce n’est pas vraiment ce qu’un économiste respectable traiterait de progrès technologique comme il faut.

A partir de là, ça devient clair et logique : peut-être bien qu’il faut réviser ce qu’un économiste respectable peut espérer d’un changement technologique décent. Ça, ça pourrait bien être l’importance scientifique de mon article : montrer une façon alternative d’appréhender le comment du changement technologique. Ici, je sens que je devrais retourner à la fonction de production, telle qu’elle a été formulée originellement par Charles W. Cobb et Paul H. Douglas en 1928[1]. Ces deux chercheurs ont construit in modèle, appelé plus tard « la fonction de production », où ils ont dérivé un produit intérieur brut modèle de l’accumulation des facteurs de production, capital et travail. Ce PIB modèle a montré une capacité étonnante à tenir le pas au PIB réel, et c’en est resté comme ça : le modèle est robuste, donc on le garde. Un modèle théorique, vous savez, on le traite parfois un peu comme un chien égaré : il suffit qu’il ne pisse pas dans la chambre à coucher et qu’il ne vous morde pas (tout de suite) pour que vous cédiez aux supplications de vos enfants (ou bien de votre subconscient) et que vous le gardiez. J’ai déjà développé une analyse de la fonction de production ( jetez un coup d’œil sur “Un modèle mal nourri” ) donc maintenant je vais me concentrer sur les intentions déclarées par Charles W. Cobb et Paul H. Douglas. Dans la partie finale de leur article ils soulignent très fort qu’ils considèrent leur modèle comme pas tout à fait apte à mesurer le progrès technologique en tant que tel et que ce qu’ils avaient construit est, dans leur dessein, plutôt un modèle structurel, fixe dans le temps. En d’autres mots, prendre les coefficients de leur modèle, donc les exposantes de capital et de travail, plus le coefficient commun « 1,01 » du début de l’équation, et les grouper tous sous la même enseigne de « productivité » porte toutes les marques d’un malentendu scientifique. Remarquez : les malentendus, ça débouche parfois sur des trucs beaucoup plus intéressants que ce que nous avions initialement à l’esprit. Néanmoins, l’usage que fait Joseph Schumpeter du concept théorique de fonction de production, dans ses « Business Cycles », dix ans après l’article de Charles W. Cobb et Paul H. Douglas, fut du freelance théorique complet, sans aucun lien vraiment solide avec le modèle initial.

Ce que j’essaie si laborieusement de dire est qu’il est peut-être erroné d’espérer la productivité totale des facteurs, ou TFP pour ses amis anglophones, de croître tout le temps, d’année en année, comme la technologie change. Donc, il pourrait bien être erroné, aussi, de modeler le changement technologique comme action prise en vue d’un accroissement de productivité. Il se peut que le résultat essentiel à espérer de la part du changement technologique soit l’adaptation et que l’innovation définie en termes behavioristes soit une adaptation intelligente. Remarquez, s’il vous plaît, que je n’ai pas utilisé l’expression « action en vue d’adaptation » mais bien « adaptation intelligente ». Il y a une nuance à explorer, ici. Si je dis « action en vue d’adaptation », j’assume qu’il y ait une vue, un horizon glorieux avec les objectifs à long terme qui se dessinent comme une chaîne montagneuse sur ledit horizon. Seulement voilà, tous ceux qui sont ne serait-ce qu’un peu familiers avec la pratique de changement technologique sur le terrain savent que cet horizon bien net est l’une de dernières choses qu’on voit. En fait, d’habitude, cet horizon, on le voit dans le rétroviseur, quand tout a été fait et accompli. La perspective dominante au cours d’un changement technologique réel est l’incertitude.

C’est bien là que j’aborde la question d’adaptation intelligente. J’ai appris que j’utilise mon intelligence de la façon la plus intense et la plus efficace en présence d’incertitude. Les pires conneries dans ma vie, je les ai commises lorsque j’avais une certitude de fer sur un sujet. Peu importe le sujet, en fait, c’est la présence de la certitude qui a tendance à me pousser dans la stupidité. J’ai une base évolutionniste forte, là. Nous, les humains, fallait qu’on soit vraiment futés lorsqu’on voyait ce lion de montagne, de l’autre côté du bison fraichement tué et on devait remuer les méninges pour prendre la situation en main. Adaptation intelligente veut dire qu’on recombine des informations diverses et distinctes, et on teste des idées ainsi obtenues dans une séquence d’essais à issue incertaine. Plus grand est le challenge (deux lions de montagne au lieu d’un, par exemple) plus d’essais nous avons besoin de faire pour arriver à une solution viable (survie). Il en faut encore plus pour maximaliser le résultat (survie plus bison plus peau du lion de montagne).

Adaptation intelligente implique donc une séquence d’essais. Dans le monde des technologies cela veut dire l’impératif d’expérimenter avec plusieurs technologies. Là, une autre nuance apparaît. Je peux bien expérimenter avec plusieurs technologies à la fois, mais ma capacité de conduire des essais simultanés est presque toujours limitée. Elle est limitée par les ressources à portée de main, ainsi que par l’utilité que je peux dériver d’une séquence d’essais. Essais simultanés veulent dire résultats simultanés (ou presque). Je ne peux donc pas utiliser le résultat d’un essai dans un autre essai simultané. En revanche, lorsque je fais des expériences en séquence, je peux utiliser la boucle de feedback pour optimiser l’efficacité marginale du dernier essai courant. Je fais face à ces deux lions de montagne. Si je pouvais faire toute une séquence d’essais du type « si je fais un pas vers la gauche, où est-ce que tu vas aller, chaton ? », ça ma placerait dans une situation singulièrement plus avantageuse que la vie réelle, ou j’ai juste une leçon avant l’examen final.

Il est donc possible que nous, je veux dire la civilisation humaine, nous effectuons tout ce truc de changement technologique comme un séquencement délibéré d’un processus d’adaptation sans objectif fixe, juste avec un impératif, celui de manger à notre faim. Une chose qu’on accomplit, pas à pas, comme civilisation, est la réduction de notre déficit alimentaire. Comme c’est un déficit moyen par capita, il peut être traduit dans la vie réelle comme une fraction de la population qui est tellement mal nourrie qu’elle est incapable de prendre pleinement part dans la vie collective. Lorsque j’étudiais la corrélation entre le déficit alimentaire et les indicateurs de cadence dans le changement technologique (demandes de brevet par million d’habitants, amortissement agrégé par tête d’habitant), nos technologies semblent changer le plus vite dans les pays avec un déficit alimentaire vraiment modéré, moins de 88 kilocalories par jour par personne. Le truc intéressant est qu’à l’échelle globale, notre déficit alimentaire moyen commence à entrer précisément dans cette intervalle. Il se peut que comme civilisation, nous sommes maintenant à l’apogée du changement technologique.

C’est donc ça, la relevance scientifique de mon modèle évolutionniste : tracer l’esquisse d’un chemin de recherche (je n’aurais pas l’arrogance de tracer un chemin définitif) ou les changements technologiques dans l’économie mondiale peuvent être représentés comme une adaptation intelligente de notre espèce à l’impératif de nous nourrir, tout simplement.

[1] Charles W. Cobb, Paul H. Douglas, 1928, A Theory of Production, The American Economic Review, Volume 18, Issue 1, Supplement, Papers and Proceedings of the Fortieth Annual Meeting of the American Economic Association (March 1928), pp. 139 – 165

Les grimpeurs, les dormeurs et les foutus

Quelques mots pour lancer la discussion

Je suis en train de rédiger un article bien sage et bien scientifique pour présenter mon modèle de changement technologique comme un processus évolutif, plus exactement comme un processus de reproduction sexuée avec sélection. Le truc un peu barbant qu’il faut faire dans un article scientifique est ce qu’on appelle « la revue de la littérature ». Je connais ces situations quand mon article est passé en revue avant la publication, il y a deux critiques qui le font et l’un d’eux lève l’argument que « la revue de la littérature n’est pas suffisamment exhaustive », pendant que l’autre dit quelque chose d’exactement opposé : « la revue de la littérature est excessivement large et en grande partie peu pertinente ». Alors voilà, lorsque je prépare un article pour la publication, il faut que je démontre une dose de clairvoyance et que je prévoie (clairevoie) les préférences des critiques en ce qui concerne l’exhaustivité de la revue de littérature.

Bon, alors moi, maintenant, je tends vers la perfection en ce qui concerne ma littérature. La perfection, c’est l’unité. Je prends un livre, juste un, mais un bon : l’œuvre monumentale d’Arnold Toynbee, intitulée tout simplement « Study of history ». Publié pour la première fois en 1939, dans sa version originale ce livre était monumental. Six volumes, pas moins. A en croire les revues publiées juste après, l’admiration pour le contenu était étroitement liée aux suggestions d’écrire une version abrégée. Seulement voilà, c’était la guerre. Il fallait attendre 1946 pour que cette version plus abordable soit écrite et ceci d’une façon originale, par un autre chercheur et un enseignant passionné d’histoire : David Churchill Somervell. A en croire l’introduction écrite par Arnold Toynbee pour ce volume abrégé, ce travail titanesque a été effectué par D.C. Somervell tout à fait en privé. Ce n’est qu‘après avoir fini d’écourter l’œuvre monumentale d’origine que Somervell a informé Toynbee, par lettre, qu’il a fini.

De toute façon, moi, dans ma recherche de perfection, j’en reste à la version abrégée que vous pouvez trouver sur la version Word Press de mon blog par ce lien hypertexte-là . Quand le lis ce livre d’Arnold Toynbee, je montre la révérence que je dois à un grand classique, ce qui veut dire que pour une fois je commence ma lecture par le début et non pas par la fin. Je vais donc bien sagement vers la table des matières. Un titre attire mon attention. Dans le chapitre II, « Les genèses des civilisations », le premier sous-chapitre est intitulé « Le problème est comment ne pas le formuler ». Voilà qui a l’air intéressant. J’y saute donc, et alors qu’Arnold Toynbee introduit une idée bien fascinante : la mimesis, ou imitation, est un trait essentiel de la vie sociale et la différence entre les civilisations avancées et les sociétés primitives réside dans la direction que prend la mimesis. Dans les sociétés primitives, chaque génération imite les générations précédentes et de cette façon, le même schéma de vie sociale est reproduit toujours à nouveau. Dans les civilisations avancées la force principale de mimétique est dirigée vers l’imitation des grandes personnalités créatives, qui apportent du changement.

Plus loin j’avance, plus intéressant ça devient, car Arnold Toynbee dit ensuite que bien que ce trait spécifique fait la différence la plus marquée entre les sociétés primitives et les civilisations avancées, il n’est ni permanent ni même fondateur. Apparemment, beaucoup de sociétés que nous connaissons aujourd’hui comme primitives avaient dans leur passé des épisodes de développement rapide, lorsque leur moteur mimétique était orienté vers les leaders créatifs. Ce n’est qu’à un certain moment de leur histoire qu’elles se sont visiblement dit « La barbe avec ce progrès. On arrête. Eh, tout le monde ! M’entendez, vous ? On arrête de progresser, entendu ? Désormais, on s’imite nous-mêmes en boucle. Monsieur Bjruhhudjis, ne m’avez-vous pas entendu correctement ? On a-r-r-ê-t-e. Veuillez bien jeter ce compas dans la poubelle. En fait, cachez cette poubelle quelque part, aussi. Jetez là dans l’océan, ce sera la meilleure idée. Dans quelques siècles, il faudra qu’on soit bien primitifs et ce n’est pas avec un compas caché dans une poubelle qu’on pourra y arriver ».

Toynbee approfondit cette idée générale avec une métaphore juteuse : « Les sociétés primitives, telles que nous les connaissons, peuvent être comparées aux gens qui sont étendus, en torpeur, sur un rebord rocheux situé sur une montagne, avec un précipice au-dessous et un autre au-dessus ; les civilisations peuvent être comparées aux compagnons de ces dormeurs, qui se sont levés et commencé à grimper la falaise au-dessus ; tandis que nous, pour notre part, pouvons être comparés aux observateurs dont le champ de vision est limité à ce rebord rocheux ainsi qu’à la partie inférieure de la falaise au-dessus ; nous sommes venus sur la scène au moment quand les membres différents du groupe ont pris leurs positions respectives. Au premier abord, nous pouvons être tentés de tirer une distinction absolue entre les deux groupes, en admirant les grimpeurs comme athlètes et en regardant les dormeurs comme des paralytiques ; encore, après réflexion, nous trouverons qu’il est plus prudent de suspendre notre jugement. Après tout, les dormeurs ne peuvent pas être vraiment des paralytiques, car ils ne pouvaient pas avoir été nés sur ce rebord rocheux, et les seuls muscles qui avaient pu les hisser jusqu’à cet arrêt au-dessus du précipice, avaient dû être les leurs. D’autre part, leurs compagnons qui grimpent maintenant viennent de quitter ce rebord et de commencer l’escalade ; et comme le rebord prochain est hors notre vue, nous ne connaissons ni la hauteur ni l’ardeur de l’étape prochaine. Nous savons seulement qu’il est impossible de s’arrêter et se reposer avant que le rebord prochain soit atteint, où que ce soit. Alors, même si nous pouvions évaluer la force, l’habileté et le nerf de chaque grimpeur à présent, nous ne pouvons pas juger si n’importe lequel d’entre eux à une chance quelconque d’atteindre le prochain rebord, ce qui est bien le but de leur entreprise présente. Néanmoins, nous pouvons être sûrs que certains d’entre eux n’y arriveront jamais. Nous pouvons observer aussi que, pour chacun qui grimpe maintenant avec effort, deux (nos civilisations disparues) avaient tombé sur le rebord au-dessous, vaincus. »

Ça donne à penser, cette métaphore d’Arnold Toynbee. Nous-mêmes, comme civilisation, ou en sommes-nous ? Est-ce que nous sommes en train de nous reposer sur une étagère rocheuse, après avoir escaladé un précipice ? Ou bien sommes-nous déjà assoupis sur ce support étroit et inconfortable ? Question rhétorique : avez-vous jamais essayé de roupiller sur du roc, abîme à côté ou pas ? Je vais vous dire : ce n’est pas évident du tout. Si on est une civilisation entière, il vaut mieux d’avoir inventé des matelas portables au préalable. Sérieusement, mon singe interne s’est mis en alerte après avoir lu cette citation de d’Arnold Toynbee. Il y a cette distinction entre grimpeurs temporairement en jeu, dormeurs temporairement hors-jeu, et finalement les vaincus, tombés, écrasés sous leur propre poids et définitivement hors-jeu. Et si cette distinction s’appliquait aussi bien à l’intérieur d’une civilisation donnée ? Et si la direction et la cadence d’évolution des technologies dépendait justement des proportions entre ces trois groupes : les coriaces, les dormeurs et les foutus ? Intéressant, surtout que dans ma propre recherche empirique sur la fonction évolutive de sélection des technologies j’ai bien trouvé des fonctions distinctes pour des structures sociales distinctes (consultez par exemple “Je n’en ai pas fini avec ce truc d’évolution” ).

Mon singe interne devient insupportable. Arnold Toynbee a tellement excité sa curiosité qu’il n’arrête pas de me pousser du coude et me rappeler un autre esprit brillant, mon compatriote, Alfred comte Korzybski, le père-fondateur de la sémantique générale, cette discipline à mi-chemin entre la science et la philosophie. Dans ces deux livres – “Manhood of Humanity” et surtout dans “Science and Sanity” – il expose une théorie, où l’espèce humaine a cette capacité unique de faire ce que Korzybski appelle « lier le temps » et qui veut dire la capacité d’apprendre de génération en génération de façon à ce que chaque génération consécutive sache plus que la précédente. C’est bien le même Korzybski que l’un des fondateurs de la Programmation Neurolinguistique, Richard Bandler, aimait citer eu égard à la différence entre la réalité et la représentation que nous en faisons dans notre tête.

Lorsque je combine les intuitions d’Arnold Toynbee avec celles d’Alfred Korzybski, je vois cette distinction « les grimpeurs, les dormeurs et les foutus » comme une distinction fondamentale entre des différentes façons d’appréhender la même réalité. Mon singe curieux pose alors une question : s’il y a ce truc de fonction évolutive de sélection, qui crée et impose une hiérarchie d’idées de technologies nouvelles, comment peut-elle induire une distinction à l’intérieur de la société, entre des groupes sociaux qui grimpent, ceux qui dorment et ceux qui ont complétement lâché prise ? Puis-je expliquer ce côté des phénomènes avec ma fonction de sélection ? La réponse la plus évidente qui me vient à l’esprit – donc pas nécessairement la bonne mais on fait avec ce qu’on – est que les groupes sociaux qui grimpent sont ceux qui attachent, d’une façon ou d’une autre, leur capital, leur organisation de travail et leur systèmes monétaires aux technologies les plus haut placées dans la hiérarchie, c’est-à-dire les technologies les plus préférées par les entités femelles du mécanisme de reproduction. Plus loin nous sommes du sommet de la hiérarchie, donc plus loin parmi les idées pas-tellement-préférées par les entités femelles de ce modèle, plus on a de chances de s’assoupir ou même de lâcher prise.

Je n’en ai pas fini avec ce truc d’évolution

Mon éditorial pour aujourd’hui

Je pense au contexte de mon modèle évolutionniste de changement technologique. Je peux représenter les changements technologiques dans l’économie mondiale comme trois évolutions parallèles, en quelque sorte : celle du capital, celle du travail, ainsi que celle de l’argent (voyez “Money, essentially doesn’t give a s*** “  pour une explication détaillée). A chaque fois, la logique de l’hypothèse de base est similaire : chaque structure sociale distincte produit du changement technologique comme sélection faite par un élément femelle (capital physique, travail, ou argent liquide), dans un ensemble d’inventions possibles, et par la suite de cette sélection, des technologies nouvelles naissent. Ce qui évolue donc, c’est soit le capital physique, soit le marché et l’organisation du travail, soit le système monétaire.

En fait, j’ai tenté de mettre tous les trois organismes-mères dans le même modèle économétrique, pour voir leur poids relatif. C’est une procédure analytique qui est en fait à la limite de l’acceptable en statistique. Je sais que capital, travail et argent liquide sont corrélés dans leur incidence à l’intérieur du même système économique. C’est l’une des raisons pour qu’on appelle cette structure un système. Si je fourre ces trois valeurs agrégées dans la même équation, j’aurai, à coup sûr, ce qu’on appelle la cointégration entre variables explicatives. En principe, c’est une chose qu’on devrait éviter. Néanmoins, si je fais ça, je peux voir si l’un de ces facteurs est définitivement plus fort que les autres dans son influence sur la variable expliquée, qui est, en l’occurrence, le nombre de demandes de brevet dans un pays donné, en une année donnée.

Alors, j’avance, pas à pas, le long de cette frontière de l’acceptable, et je pose l’hypothèse que le changement technologique est une évolution conjointe des structures capitalistes, organisations d’emploi et systèmes monétaires, sous l’impulsion de sélection que ces trois types de structures sociales font dans l’ensemble de technologies nouvelles, possibles à développer sur la base d’idées scientifiques. Bien sûr, le lecteur attentif voit déjà la grosse lacune dans ce raisonnement : comment évoluent les structures qui génèrent les inventions, donc toute la sphère de recherche et développement ? Eh bien, l’idée un peu simpliste que j’ai est que toute organisation scientifique est une combinaison de capital physique (labos), travail (les gens vêtus de blanc) et argent liquide (comptes bancaires de ces gens vêtus de blanc). C’est simpliste, je l’admets, et néanmoins je reste bien dans le cadre de la théorie évolutionniste, là : les organismes mâles, qui génèrent le flot de l’information génétique indispensable à la reproduction, sont de la même espèce que les organismes femelles, donc ils ont la même substance génétique. Les organismes mâles ont juste une fonction différente.

De toute façon, si je veux faire ce test économétrique à la limite de l’acceptable, je reformule l’hypothèse ci-dessus comme une looongue équation :  ln(Nombre de demandes de brevet) = a1*ln(Capital physique) + a2*ln(Offre agrégée de travail, en heures travaillées) + a3*ln(Offre agrégée d’argent) + a4*ln(Taux d’amortissement) + a5*ln(Consommation d’énergie par tête d’habitant) + a6*ln(Densité de population) + a7*ln(Déficit alimentaire) + constante résiduelle. Une remarque, avant que je passe au test économétrique. Vous pouvez vous souvenir qu’à un moment donné j’ai ajouté la part de rémunération agrégée de travail dans le PIB, comme variable explicative à côté du capital physique, car elle s’est avérée significativement corrélée avec la constante résiduelle de l’un des modèles transitoires que j’avais utilisé. Ceci est vrai, mais cette fois, j’ajoute l’offre agrégée de travail dans l’équation et cette variable-là est inévitablement corrélée avec la part des salaires dans le PIB : cette dernière résulte soit du nombre d’heures travaillées (offre de travail), soit du niveau de salaire horaire moyen. J’ai donc deux valeurs agrégées qui sont évidemment liées l’une à l’autre et qui, en même temps, décrivent largement la même chose. C’est une redondance statistique qui, d’autre part, n’apporte aucune distinction qualitative, comme celle entre le capital et le travail. J’ai donc éliminé la part des salaires dans le PIB et je laissé le travail agrégé, comme nombre total d’heures travaillées en une année dans l’économie du pays donné.

De toute façon, je teste cette équation dans ma base des données composite, faite de Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[1]) et de données additionnelles de la Banque Mondiale. Et comme je m’apprête à tester, vlam !, y a u truc qui me cogne droit entre les yeux :  dans les pays développés, le déficit alimentaire est zéro et comme le logarithme naturel de zéro, ça n’existe pas. Je ne peux pas appliquer cette équation, avec le déficit alimentaire dedans, aux pays qui génèrent, à première vue, deux tiers du nombre total de demandes de brevet dans ma base de données. En plus, comme j’avais déjà inclus le déficit alimentaire dans d’autres modèles étudiés plus tôt, il faudra que je revienne sur mes pas. J’avais en fait testé ma fonction évolutive de sélection dans un échantillon restreint des pays, où toutes les variables sont bien répertoriées et le déficit alimentaire est non-nul : Argentine, Brésil, Chile, Colombie, Equateur, Inde, Indonésie, Mexique, Pakistan, Pérou, Philippines, Corée du Sud, République Sud-Africaine, Thaïlande, Turquie. Zut ! Je déteste ces moments quand je découvre que je suis décalé de la réalité.

Bon, on se calme. Je me calme. D’abord, il faut évaluer l’échelle des dégâts. Sans faire de retours hâtifs en arrière, je prends mon modèle général, celui dont l’équation est présentée ci-dessus, deux paragraphes en arrière, et je la fais évoluer. Je la mute. La mutation richarde englobe les pays sans déficit alimentaire répertorié est donc sans déficit alimentaire dans le modèle. Taille d’échantillon : n = 1 404 observations, responsables pour 14 206 819 demandes de brevet au total. Le modèle explique R2 = 0,734 de la variance observée dans ce même nombre des demandes de brevet, d’année en année et de pays au pays. La mutation malnutrie de mon équation raconte le sort des pays avec déficit alimentaire officiel et officiellement inclus dans le modèle. Ces pays-là ont généré quelques 6 550 000 demandes de brevets, dans un échantillon de n = 317 observations valides, qui explique R2 = 0,812 de variance du nombre de demandes de brevets.

Malgré la taille très disparate de deux échantillons, les deux rendent une capacité explicative très similaire. Ça promet. Allons voir les paramètres. Alors, le modèle valide pour les pays sans déficit alimentaire répertorié, est détaillé ci-dessous :

Variable Coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(Capital physique) 0,532 0,093 5,688 0,000
ln(Taux d’amortissement) 1, 0,244 4,092 0,000
ln(Consommation d’énergie par tête d’habitant) 1,425 0,08 17,728 0,000
ln(Densité de population) 0,049 0,023 2,126 0,034
ln(Offre agrégée de travail, en heures travaillées) 0,654 0,059 11,131 0,000
ln(Offre agrégée d’argent) -0,223 0,055 -4,097 0,000
constante résiduelle -11,818 0,874 -13,528 0,000

En revanche, le modèle appliqué aux pays avec déficit alimentaire officiel se présente comme dans le tableau suivant :

Variable Coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(Capital physique) 0,176 0,252 0,7 0,484
ln(Taux d’amortissement) -1,539 0,566 -2,721 0,007
ln(Consommation d’énergie par tête d’habitant) 1,755 0,142 12,339 0,000
ln(Densité de population) 0,497 0,078 6,354 0,000
ln(Déficit alimentaire) -0,349 0,067 -5,19 0,000
ln(Offre agrégée de travail, en heures travaillées) 0,537 0,16 3,369 0,001
ln(Offre agrégée d’argent) 0,308 0,197 1,563 0,119
constante résiduelle -23,754 2,053 -11,568 0,000

Bon, maintenant je suis bien sage et j’applique la méthode de John Stuart Mill : similitudes d’une part, différences de l’autre. La similitude la plus frappante est l’importance de la consommation d’énergie par tête d’habitant. Plus exactement, ce sont deux variables – la consommation d’énergie par tête d’habitant et le taux d’amortissement – qui, de façon un peu surprenante, deviennent les musiciens de front de l’ensemble. Leurs coefficients de régression, combinés avec leurs p-valeurs respectives (qui mesurent la solidité de la corrélation), leur donnent une dominance très visible sur d’autres variables. Si je considère cette équation économétrique comme un modèle économique, c’est un modèle basé sur deux équilibres relatifs au nombre des demandes de brevet : l’équilibre énergétique et celui du cycle de vie des technologies. Là, une fois de plus, je me sens obligé à faire ce petit échange d’idées avec moi-même : comment est-ce possible, avec toute cette pression sur l’économie d’énergie, que le système économique tende, en fait, vers la maximisation de consommation d’énergie ?

Oui, je sais, ça pourrait être un de ces trucs purement statistiques, un concours d’accidents numériques sans signification véritable. J’admets que c’est possible, seulement ça arrive dans chaque modèle que j’ai testé durant la semaine dernière. Quelle que soit le cocktail des variables explicatives pour déterminer la variance du nombre des demandes de brevet, la consommation d’énergie toujours vient avec un coefficient positif et une p-valeur hautement significative. Plus on consomme d’énergie par tête d’habitant, plus on invente. Il y a un truc qui me vient à l’esprit, maintenant, une sorte d’observation sociologique approximative : il est bien vrai que pratiquement chaque technologie nouvelle inventée de nos jours est plus économe en énergie que ses prédécesseurs mais en même temps nous accumulons de plus en plus de ces technologies. A un moment donné, le ménage moyen avait un frigo, une télé et une machine à laver. Un frigo plus économe est arrivé, tout comme une machine à laver avec une classe énergétique meilleure. Seulement, entretemps, il y a eu le sèche-linge, le climatiseur et deux ordinateurs qui viennent en scène etc. Plus économe, chacune de ces bestioles prise séparément, mais leur compilation en un même endroit pompe en haut la consommation totale des ménages.

Plus on consomme d’énergie par tête d’habitant, plus on invente de technologies nouvelles. Même s’il y a l’impératif d’économiser l’énergie, moins d’énergie consommée pourrait bien vouloir dire moins d’inventions. Ça a tout l’air d’un cercle vicieux. Maintenant, je passe au cycle de vie des technologies, qui semble jouer des rôles opposés dans mes deux échantillons. Lorsque l’habitant moyen est repu, la fonction évolutive de sélection génère d’autant plus d’inventions brevetables que le cycle de vie des technologies en place est court. Plus vite ça vieillit, plus on invente du nouveau. C’est logique et c’est comment les deux tiers d’inventions brevetables ont l’air de naître. En revanche, lorsque l’habitant statistique (qui n’existe pas, bien sûr) pourrait bien profiter d’un repas de plus dans la journée, ça fonctionne à l’envers : plus vite les technologies en place vieillissent, moins on en invente de nouvelles. La seule explication logique que je vois est que dans les pays avec déficit alimentaire, la dépréciation des technologies en place prend littéralement le pain de la bouche des chercheurs et limite la capacité de générer des inventions. Un mâle malnutri, qui en plus doit tenir le pas à un stress social prononcé, produit moins de spermatozoïdes : fait scientifique prouvé.

Il y a une deux autres différences intéressantes. La majorité d’inventions brevetables, celles générées dans les pays sans déficit alimentaire, s’associe avec un équilibre prévisible du ratio « capital par demande de brevet » et n’aime pas trop l’offre d’argent. Comme s’il y avait une contradiction entre la création de crédit et celle d’inventions brevetables. En revanche, dans l’échantillon des pays avec déficit alimentaire, la création de technologies nouvelles, exprimées comme demandes de brevet, s’accompagne d’un équilibre plutôt aléatoire du ratio « capital par demande de brevet » et semble aller bien avec la création de crédit.

Ouff, je vois que je n’en ai pas fini avec ce truc d’évolution.

[1] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt