Le cousin du beau-frère de mon ami d’école

Mon éditorial

Je retourne au sujet des villes intelligentes, que j’avais déjà commencé à développer dans ma mise à jour du 11 janvier, intitulée « My individual square of land, 9 meters on 9 ». Je me mets, à présent, à rechercher des sources de données que je juge vitales pour le développement des villes intelligentes : densité de population, croissance démographique et prix de l’immobilier. J’ai déjà fait un peu de recherche côté immobilier au sujet de la ville de Lyon – et le projet local baptisé « Confluence » – ainsi que sur Vienne, la capitale d’Autriche, toutes les deux très fortement engagées dans l’investissement en villes intelligentes. J’avais déjà étudié leurs prix locaux de l’immobilier et leurs taux respectifs de croissance démographique. Maintenant, j’ajoute l’information sur la densité de population. Je rappelle que cette variable a été jugée comme vitale par les auteurs du rapport ‘The State of European Cities’ : apparemment, 3000 habitants par km2 est le seuil minimum pour pouvoir envisager des investissements en infrastructure urbaine intelligente. La logique de ce chiffre particulier est simple : c’est le seuil inférieur de densité de population qui détermine le bien-fondé d’investissements en l’infrastructure des transports en commun. En tout cas, selon l’INSEE, la densité de population dans la commune urbaine de Lyon est de 10 583,1 habitants par kilomètre carré . J’en passe sur le sort pas très clair de ce un dixième d’habitant par mètre carré. Ça doit être une expérience étrange, lorsqu’on est un habitant, d’avoir besoin d’être constamment étendu sur 10 km2 pour être un habitant complet. La distance de votre chambre à coucher à votre salle des bains peut s’étendre jusque 141,4213562 mètres, contre un maximum de 13,94321098 mètres pour chacun des 10 583 habitants complets avant la virgule décimale. En tout cas, le deuxième arrondissement de Lyon, celui où le projet « Confluence » commence à voir le jour, se caractérise par une densité de population légèrement inférieure : juste 8 926 habitants par km2 .  Par comparaison, Vienne, en Autriche, associée avec la ville de Lyon dans ce projet des villes intelligentes, montre une densité de population de 4 326,1 habitants par kilomètre carré . Munich, la troisième ville de ce partenariat tripartite, recense recense 4 700 habitants par kilomètre carré .

Intéressant : parmi ces trois villes métropolitaines, engagées toutes les trois dans des projets coordonnés d’investissement en villes intelligentes, la ville de Lyon recense la population la plus dense et elle est la seule des trois où le projet de ville intelligente prend la forme de réaménagement d’un quartier entier. Autre truc qui m’intrigue : à Lyon, l’emplacement exact du projet, le deuxième arrondissement, tout en étant très peuplé, a une densité de population légèrement inférieure à la moyenne de la ville entière. Tout comme si cette différence 10583,1 – 8926 = 1657,1 (ou plus 18,6%) d’habitants par kilomètre carré était une sorte de densité résiduelle, possible à atteindre à travers l’investissement en l’infrastructure de ville intelligente.   Bon, je forme deux hypothèses de travail rapides. Premièrement, l’investissement en l’infrastructure des villes intelligentes a du sens à partir d’une densité de population de 3000 habitants par km2, ça prend de l’élan au-dessus de 4000 habitants sur le kilomètre carré, et ça a des fortes chances de prendre la forme de réaménagement des quartiers entiers lorsqu’on se balance dans 8000 habitants, ou plus, sur leur kilomètre carré statistique moyen. Deuxièmement, l’émergence d’infrastructure de ville intelligente peut entraîner une croissance en densité de population, par un peu plus de 1500 personnes par km2 ou à peu près 18%.

Ces deux hypothèses me permettent déjà de commencer à esquisser mon business plan pour investir en des villes dont l’intelligence a des fortes chances de surpasser celle de certains de leurs habitants. Avant que je m’en prenne à modeler le truc façon économie, voilà encore une poignée de données intéressantes sur le sujet : le rapport d’INSEE intitulé « L’accès aux services, une question de densité des territoires » , ainsi que deux rapports signés EUROSTAT, tout d’abord celui intitulé « Urban Europe 2016 » et ensuite « L’Annuaire régional d’Eurostat ». J’espère bien de retourner à discuter le contenu de tous les trois, sur mon blog, en français ou bien en anglais (dépendra du jour) mais à présent, je modèle. Je me dis que du point de vue business, l’investissement en des villes intelligentes veut dire investissement tout court, donc un bilan. Ce bilan, il s’installe dans une ville sous la forme d’une infrastructure : réseau routier, métro, tramway, bâtiment, réseau sanitaire, approvisionnement en énergie etc. Cette infrastructure élémentaire est ce dont nous avons besoin pour pouvoir nous appeler une ville, mais ce n’est pas tout : nous en avons besoin en une certaine densité par kilomètre carré. Oui, mesdames et messieurs, une ville, ça n’a pas seulement plus de personnes par kilomètre carré que la campagne, mais aussi plus de capital investi dans l’infrastructure, sur le même kilomètre carré. Enfin, pas rigoureusement le même kilomètre, ça peut être bien un autre kilomètre, équivalent, quoi.

En tout cas, une ville, c’est un territoire R habité par une population N et pourvu en infrastructure équivalente en valeur à un montant de capital K. Tout habitat humain se caractérise par des coefficients respectifs N/R et K/R. A propos, je n’en sais rien du second, c’est à dire de la valeur comptable d’infrastructure urbaine. Faudra que je me renseigne. Lorsqu’une ville arrête d’être bête et commence à être intelligente, son bilan change de deux façons. D’une part, il y a de l’infrastructure nouvelle. Des fibres optiques en abondance, c’est certain, ainsi que des transmetteurs haut débit de signal Internet. Avec ça, nous pouvons ajouter des sources génératrices locales d’énergies renouvelables : panneaux solaires, petites turbines hydrauliques, des moulins à vent c’est trop gros mais un système de recirculation d’eau chaude en provenance du refroidissement des gros serveurs (marche en Scandinavie, apparemment). Ça, c’est de l’investissement immédiat en l’infrastructure, qui suggère plus de capital dans le bilan immédiat et qui est l’équivalent urbain d’un diplôme humain : ça suggère la possibilité d’une intelligence latente, mais ne la garantit pas. En plus, c’est comme un cerveau. Ça a besoin de tout le reste du corps et en même temps ça peut transformer ce corps. La présence des connexions intelligentes change la façon dont l’infrastructure urbaine lourde fonctionne. Le réseau des transports en commun, le réseau sanitaire, l’approvisionnement en énergie : tout ça, ça s’adapte à mesure que ça a plus de retour d’information. Tous ces millions d’euros investis en conduits, rails, câbles etc., ça va se réallouer dans l’espace.

Voilà une question intéressante : après que tout soit fait et dit, à long terme, quoi, une ville intelligente contient-elle plus ou bien moins de K/R ? Encore une fois, je n’en sais que dalle sur les valeurs réelles de K/R dans des villes typiques – bêtes ou intelligentes, peu importe – et il faudra que je prenne quelques prisonniers de guerre pour me renseigner là-dessus. Néanmoins, je peux formuler des hypothèses. Par instinct économique, je définis trois périodes distinctes de temps : t-1 ou ville bête d’avant, t0 ou ville intelligente comme je l’ai devant mes yeux et enfin t+1 qui correspond à la ville encore plus intelligente que j’espère dans l’avenir. Ensuite, je pose deux hypothèses alternatives. Premièrement, je peux avoir K/R(t-1) < K/R(t0) < K/R(t+1) : la ville intelligente d’avenir aura plus de capital par kilomètre carré que ses versions précédentes. Deuxièmement et alternativement, il se peut que K/R(t-1) < K/R(t0) et K/R(t+1) < K/R(t-1) donc que la ville encore plus intelligente de l’avenir sera moins pourvue en l’infrastructure lourde que la ville bête du passé, comme elle apprendra à utiliser ladite infrastructure lourde de façon plus intelligente.

Bon, ça commence à prendre une forme cohérente, au moins je l’espère. Je peux traduire mes hypothèses en une structure logique avec des conditions préalables et des changements possibles :

  • ville intelligente, condition nécessaire : N/R > 2999 habitants par km; K/R > X1 € par km2
  • ville intelligente, ça devient intéressant : N/R > 3999 habitants par km2; K/R > X2 € par km2
  • ville intelligente, ça devient politique : N/R > 7999 habitants par km2; K/R > X3 € par km2
  • ville intelligente, ça peut apporter du changement 1500 < ∆N/R < 1700 habitants par km2 ou bien 15% < (∆N/R)/[N/R(t0)] < 20% et en plus
    • K/R(t-1) < K/R(t0) < K/R(t+1)

ou bien

  • K/R(t-1) < K/R(t0) et K/R(t+1) < K/R(t-1)

Bon, ça c’est le côté bilan et maintenant je jette un coup d’œil côté compte d’exploitation. Le retour sur l’investissement en infrastructure urbaine peut prendre deux formes, une directe et une autre plus chic. Façon directe et brutale, je peux vendre l’accès à mon infrastructure sur la base platement commerciale, comme accès à Internet. Néanmoins, si le cousin du beau-frère de mon ami d’école est proche des certains milieux, je peux obtenir une subvention publique qui couvrira une part ou le total des revenus dont j’ai besoin pour avoir un retour décent (indécent ?) sur mon investissement. Dans ce second scénario, les habitants me paient de toute façon mais ils le font indirectement, à travers leurs impôts, et ça s’appelle « partager » (avec le cousin du beau-frère de mon ami d’école) au lieu de « vendre et se faire payer » et quand ça sonne bien c’est toujours mieux. Quoi qu’il en soit au sujet du cousin du beau-frère de mon ami d’école, je peux espérer un flux futur FR(t0 ; t+1) de trésorerie. Avec l’investissement dénoté comme ∆K, en équilibre il faut que ∆K = FR(t0 ; t+1) mais soyons raisonnables : le bon business c’est quand ∆K < FR(t0 ; t+1) .

Le flux FR de trésorerie dépend, bien sûr, du nombre N d’habitants et du revenu disponible D/N par tête d’habitant. Enfin, pas seulement la tête. Les talons-aiguille Manolo Blahnik, ça ne se porte pas sur la tête et il y a même des cas où ça se gagne autrement qu’avec la tête. Quoi qu’il en soit, la population N a un revenu disponible agrégé de D = N*D/N et ce qui importe c’est le revenu disponible D/R = {N*(D/N)}/{N/R} par kilomètre carré de ma ville (votre ville aussi) et c’est important parce que mon flux futur FR(t0 ; t+1) de trésorerie par kilomètre carré, soit FR(t0 ; t+1)/R sera une fraction de ce revenu disponible et cette fraction sera une fonction et ça veut dire FR(t0 ; t+1)/R = f(D/R). A ce moment-là, mon sac à probabilités devient vraiment bien pourvu. La transformation d’une ville bête en une ville intelligente peut influencer pratiquement toutes les variables de l’équation. Il peut y avoir plus de N/R dans une ville intelligente que dans la ville bête d’avant, mais c’est juste une hypothèse. Ces gens peuvent gagner plus par tête mais là aussi, c’est une hypothèse. La fonction qui transforme leur revenu disponible en flux de trésorerie dans la direction d’investisseurs en l’infrastructure de la ville intelligente peut changer sous l’impact de cet investissement-même.

Bon, fini de modeler pour aujourd’hui. Maintenant, faut mettre cette pâte modelée au four et la cuire, pour que ça durcisse. Si ça casse dans la cuisson, cela voudra dire qu’il faut modeler à nouveau.

Ceux parmi vous qui ont bien voulu suivre mon activité de blogger sur l’année dernière ont probablement vu que mon objectif est de créer de la science de bonne qualité, neuve ou presque. Sur mon chemin vers la création d’un site éducatif payant je passe par le stade de financement participatif. Voici le lien hypertexte de mon compte sur Patreon . Si vous vous sentez prêt à cofinancer mon projet, vous pouvez vous enregistrer comme mon patron. Si vous en faites ainsi, je vous serai reconnaissant pour m’indiquer deux trucs importants : quel genre de récompense attendez-vous en échange du patronage et quelles étapes souhaitiez-vous voir dans mon projet de création de site éducatif ?

Deux théories, deux environnements

 

Mon éditorial

Je rumine les résultats de ma recherche empirique, celle que je vous ai présentée durant les quelques derniers jours. Comme je suis encore en train de mettre de l’ordre dans tout ça, je me suis dit qu’il serait utile de faire une petite balade dans la littérature, juste pour prendre un peu de distance vis à vis mes propres résultats. J’ai trouvé quelques articles dans une revue intitulée « Renewable energy », issue par Elsevier. C’est ainsi que je commence par un article de J.R. San Cristóbal (2011[1]) qui examine les modèles formels de prise de décisions à propos de développement de nouvelles installations sur la base d’énergie renouvelables. Cet article a deux facettes, en quelque sorte : le contenu et le contexte. Quant au contenu, il est très formel, puisque la théorie présentée est celle de prise de décision du type multicritère. Sur ce niveau théorique, l’article est un peu à l’opposé de ma propre approche du problème. Moi, j’étudie le passage aux énergies vertes surtout au niveau macroéconomique, et je considère les décisions individuelles prises pour telle ou telle installation comme limitées dans leur rationalité, suivant les principes fondamentaux de Herbert A. Simon (Simon 1955[2]). J.R. San Cristóbal examine les cas individuels de prise de décision d’un point de vue managérial, où tout un modèle mathématique est utilisé pour maximiser la rationalité des décisions.

Quant au contexte, c’est l’Espagne et leur programme « Renewable Energy » de 2005, qui visait 12% d’énergies renouvelables dans la production primaire d’énergie en 2010. Je peux comparer les objectifs de ce programme avec les données quantitatives de la Banque Mondiale. Je les présente dans Table 1, ci-dessous. C’est un exemple intéressant de ce que J.R. San Cristóbal définit comme « distance de l’idéal ». Le programme espagnol de 2005 visait un certain pourcentage d’énergies renouvelables dans la production primaire d’énergie. Moi, je dispose de données au sujet de la production primaire d’électricité et de la consommation finale d’énergie. Les mesures que vous pouvez trouver dans Table 1 sont en quelque sorte deux bornes, entre lesquelles est comprise la mesure citée par San Cristóbal. La production primaire d’énergie c’est essentiellement la production primaire d’électricité plus la production primaire d’autres formes d’énergie plus la production secondaire (voitures, par exemple) plus importations d’énergie moins les exportations. Je peux assumer que les changements observables dans ces deux mesures de la Table 1 sont des indicateurs indirects des changements qui prennent place dans la structure de la production primaire d’énergie. Si j’observe donc ces deux indicateurs de la Banque Mondiale, deux conclusions sautent aux yeux. Premièrement, ça semble marcher, vraiment, chez les Espagnols : ces pourcentages grimpent tous les deux. Quels modèles de prise de décision qu’ils n’utilisent, ça déménage. Deuxièmement, ça déménage beaucoup plus au niveau de la production primaire d’électricité qu’au niveau de la consommation finale. Si vous calculez la distance, en points de pourcentage, entre les avancements niveau électricité et ceux dans la consommation finale d’énergie, cette distance a récemment une tendance à agrandir. Les changements structurels dans le secteur électro-énergétique vont beaucoup plus vite que les changements des styles de vie et de consommation.

Table 1

Année Pourcentage d’énergies renouvelables dans la production primaire d’électricité en Espagne Pourcentage d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en Espagne
1990 17% 11%
1991 18% 10%
1992 13% 8%
1993 16% 9%
1994 18% 9%
1995 15% 8%
1996 24% 10%
1997 20% 9%
1998 19% 9%
1999 13% 8%
2000 16% 8%
2001 21% 9%
2002 14% 7%
2003 22% 9%
2004 18% 8%
2005 15% 7%
2006 18% 8%
2007 19% 9%
2008 20% 10%
2009 25% 12%
2010 33% 14%
2011 30% 15%
2012 30% 16%
2013 40% 17%
2014 40% 17%

    Source : Banque Mondiale

Comme je survole un peu ces articles que j’ai trouvé dans la revue « Renewable energy », ils traitent souvent d’outils de planification. Côté méthodologie, j’ai l’impression que le comité éditorial est composé des gens très versés dans la programmation et dans les modèles d’optimalisation. Bon, passons à un autre article, un peu plus récent, celui écrit par Rohit Sen et Subhes C. Bhattacharyya (2014[3]), sur un sujet très proche de mon idée fixe, celle de créer des systèmes énergétiques locaux basés 100% sur les énergies renouvelables. Sen et Bhattacharyya étudient le cas d’un village dans la province indienne, où un système exactement comme j’en rêve avait été conçu. Ils présentent trois conclusions majeures de leur étude. Premièrement, lorsqu’une communauté locale dispose d’un potentiel de génération hydraulique, son exploitation est l’un des premiers pas à faire. Comme quoi, si vous avez une rivière, de la place pour du photovoltaïque ainsi qu’un emplacement convenable pour des turbines éoliennes, et vous disposez des fonds limités pour l’investissement, vous investissez en une centrale hydraulique en premier lieu. Deuxièmement, Sen et Bhattacharyya soutiennent quelque chose d’un peu contre-intuitif : un mix d’installations dans une communauté locale marche mieux en termes purement affaires qu’une technologie mono-source. Donc oui, allez en premier lieu vers l’hydraulique, seulement faites gaffe de n’aller que vers l’hydraulique : de l’hydraulique, du photovoltaïque et de l’éolien, tout dans une même assiette de génération primaire d’énergie, ça marche mieux qu’une monoculture technologique concentrée sur une seule source d’énergie. Quand j’ai qualifié cette approche de contre-intuitive, je voulais dire qu’elle va à l’encontre de ce vieux principe d’économies d’échelle. Je les aime bien déjà, Sen et Bhattacharyya. Ce singe curieux que j’ai en moi adore aller à l’encontre des vieux principes. Pour que ça ne soit pas tout rose, Sen et Bhattacharyya soutiennent que ces systèmes locaux hors-réseau, au moins en Inde, risquent de se casse la gueule côte finance si le gouvernement ne les soutient pas avec des subventions. Par pure curiosité (le singe, encore) j’ai compilé les données de la Banque Mondiale à propos de la structure de la production primaire d’électricité ainsi que de la consommation finale d’énergie en Inde, point de vue pourcentage des renouvelables (Table 2). Voilà un cas intéressant par son contraste avec le précédent, l’Espagne. En Inde, les deux indicateurs de présence d’énergies renouvelables montrent une tendance descendante, à l’opposé de l’Espagne. Nous avons donc ici deux environnements socio-économiques complètement différents.

Table 2

Année Pourcentage d’énergies renouvelables dans la production primaire d’électricité en Inde Pourcentage d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en Inde
1990 24,5% 58,7%
1991 22,8% 57,6%
1992 20,8% 57,2%
1993 19,6% 57,0%
1994 21,2% 55,6%
1995 17,3% 54,5%
1996 15,8% 53,8%
1997 16,0% 52,5%
1998 16,7% 52,7%
1999 15,3% 51,7%
2000 13,6% 51,6%
2001 13,2% 51,8%
2002 12,1% 50,6%
2003 13,5% 50,8%
2004 14,5% 49,7%
2005 16,6% 48,6%
2006 17,5% 47,4%
2007 17,9% 45,9%
2008 16,5% 43,6%
2009 15,7% 40,8%
2010 16,0% 39,5%
2011 17,3% 38,9%
2012 15,7% 38,4%
2013 16,9% 37,7%
2014 15,4% 36,5%

            Source : Banque Mondiale

En comparant deux articles à propos de décisions optimales à prendre au sujet d’énergies renouvelables, j’en suis donc venu à comparer deux environnements socio-économiques complètement différents. Espagne avance décidément vers un pourcentage accru d’énergies renouvelables, l’Inde c’est exactement l’opposé. Espagne a une densité de population aux alentours de 93 personnes par kilomètre carré, en Inde c’est quelque chose comme 436 personnes sur le même kilomètre carré. Enfin, pas exactement le même, juste métaphoriquement. Si je réfère ces densités aux tests de mes équations avec la densité de population comme variable de contrôle (regardez “Le mûrissement progressif du marché, ça promet” ), j’ai donc Espagne dans le quatrième sextil de densité, où le modèle économique que j’essaie de développer marche d’une façon plutôt brumeuse, pendant que l’Inde est dans le sixième sextil de densité, avec un rôle très solide des variables économiques comme la vélocité de la masse monétaire. En 1961, lorsque commencent les statistiques de la Banque Mondiale à propos de la densité de population, l’Inde avait 154,3 habitants par kilomètre carré pendant qu’en Espagne c’était 61,5 habitants. Entre 1961 et le jour présent, l’Inde est donc passée du cinquième sextil de densité dans le sixième, donc, en accord avec mon modèle, d’un environnement mi-figue mi-raisin en termes économiques à un environnement super-capitaliste. L’Espagne, en revanche, est restée ancrée dans ce quatrième sextil de densité et dans ses conditions floues. Paradoxalement, ce sont ces conditions floues qui semblent encourager le passage vers les renouvelables plus que les conditions fermes et sans équivoque, observables dans le cas Indien.

[1] San Cristóbal, J.R., 2011,  Multi-criteria decision-making in the selection of a renewable energy project in spain: The Vikor method, Renewable Energy 36 (2011), pp. 498 – 502

[2] Simon A.,H., A Behavioral Model of Rational Choice, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 69, No. 1 (Feb., 1955), pp. 99-118

[3] Rohit Sen, Subhes C. Bhattacharyya, 2014, Off-grid electricity generation with renewable energy technologies in India: An application of HOMER, Renewable Energy 62 (2014), pp. 388 – 398

Le mûrissement progressif du marché, ça promet

Mon éditorial

Je suis en train de découvrir les limites de l’exploration quantitative de ma base de données. C’est une expérience intéressante. J’essaie d’utiliser ma base de données pour étudier une autre composante de mon idée fixe : le Wasun. « Wasun » est un nom colloquial que j’avais donné à une monnaie virtuelle (donc un peu comme Bitcoin ou Ethereum), purement hypothétique pour le moment, qui serait attachée fonctionnellement au marché d’énergies renouvelables. J’ai essayé d’utiliser ma base de données pour simuler le développement de communautés locales basées à 100% sur les énergies renouvelables et pour découvrir en même temps le rôle des systèmes monétaires dans ce développement.

Mon éditorialBon, maintenant une petite gymnastique intellectuelle. Comment puis-je représenter le développement d’une communauté locale avec l’aide des variables macroéconomiques que j’ai dans ma base de données ? L’idée de base est que toute communauté locale est faite d’êtres humains sur un territoire. Pas vraiment une percée, vous direz, et encore… Dans ma petite base de données j’ai une variable qui reflète cette idée de base : c’est la densité de population. La formation d’une communauté équivaut à la croissance de la densité de population. Plus il y a de personnes sur un territoire donné, plus il est possible de les appeler, tous ensemble, une communauté. Le développement d’une communauté locale basée à 100% sur les énergies renouvelables c’est la croissance de la densité de population corrélée avec une augmentation soit dans le pourcentage d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie soit dans le volume absolu d’énergies renouvelables consommées.

J’imagine donc un point de départ, moment T0 pour les amis. Une communauté locale au moment T0 est fait de gens qui se foutent éperdument de l’énergie verte. Néanmoins, l’idée commence à germer : une personne après l’autre devient accro à la vision de n’utiliser que les énergies renouvelables. Maintenant je fais un soubresaut intellectuel : la communauté locale entière est comme un territoire désert et comme certains de ses membres se convertissent à l’idée d’énergie verte, c’est comme si des colons arrivaient dans ce territoire désert. Un colon, deux colons, trois colons et ainsi de suite jusqu’à ce que, à un moment ultérieur Tn, quelqu’un s’écrie « Faudrait bien élire un maire ! Je peux me sacrifier pour le bien de la communauté, puisque vous insistez tellement ». Quand on y pense, c’est bien comme ça que la plupart des marchés nouveaux voient le jour : dans une population générale qui, initialement, s’en fiche par ailleurs, une personne après l’autre devient intéressée par le produit ou service donné. La densité de population de ces accros du marché nouveau augmente progressivement et ils commencent à former une communauté.

Si je désigne donc la densité de population comme « DP », je peux poser une condition formelle de formation d’une communauté locale : DP(Tn) > DP(T0) ou   n > 0.

Bon, voilà du terrain défriché. Maintenant, je fais un modèle, largement basé sur cette exploration empirique que vous avez pu suivre à travers “C’est compliqué, mais gardons notre calme”  suivi par “Those new SUVs are visibly purchased with some capital rent” ainsi que “Côté pouvoir explicatif du modèle”  ou encore “If I want to remain bluntly quantitative” . Je pose donc une hypothèse complexe que le pourcentage « %Ren » d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dépend d’une façon significative de la quantité « CK/Pop » de capital fixe par tête d’habitant, ainsi que de la part « labsh » des salaires dans le revenu brut de la population et du PIB par tête d’habitant (« GDP/Pop »). J’ajoute la proportion entre la masse monétaire agrégée et le PIB ou, en d’autres mots, ladite masse monétaire exprimée comme un pourcentage « M/GDP » du PIB. Ça vaut la peine de noter que comme le côté gauche de mon équation est un ratio (le pourcentage d’énergies renouvelables dans un total de consommation), je compose le côté droit avec des variables de nature similaire, donc des coefficients de proportion. Après avoir réduit tout ça à des valeurs logarithmiques pour éliminer un peu de bruit statistique, je pose donc formellement :

ln(%Ren) = a1*ln(CK/Pop) + a2*ln(labsh) + a3*ln(GDP/Pop) + a4*ln(M/GDP) + valeur résiduelle     

Je teste ce modèle dans ma base des données habituelle – Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[1]) enrichie avec les données de la Banque Mondiale – et je corse le plat en ajoutant la densité de population comme variable de contrôle. Je demande poliment à mon logiciel d’analyse statistique, le Wizard pour MacOS, de définir des classes de densité de population. Pour une raison que j’ignore, ce Wizard définit habituellement des sextiles, c’est-à-dire il divise la base entière en des sous-ensembles de 1577 – 1578 observations « pays – année » chacun. J’ai donc six classes de densité de population et je teste mon modèle à l’intérieur de chaque classe séparément. Ici, j’entre sur du terrain incertain. Ma condition de base était : DP(Tn) > DP(T0) ou   n > 0, donc je parlais de changement de densité de population dans le temps. Dans ma base de données j’ai des observations « pays – année » : je combine changement dans le temps avec du mouvement à travers l’espace. Néanmoins, comme j’utilise des logarithmes naturels et non des valeurs directes des variables en question, les différences d’échelle entre pays se nivellent significativement. En remplaçant donc la densité de population à un moment donné – DP(Tn) – par k-ième observation dans la base de données, je simplifie ma condition et j’en fais DPk > DPk-i.

Alors, je teste. L’enfance du marché local d’énergie renouvelable c’est le premier sextil de densité de population, entre 0,632 et 11,713 personnes par kilomètre carré. Ici, j’ai n = 210 observations valides, qui me donnent un coefficient de détermination de R2 = 0,370. Densité basse, détermination basse, comme qui dirait. Dans ce stade infantile du marché, l’offre de la masse monétaire est un facteur positif ; plus il y en a, plus grand est le pourcentage de renouvelables dans l’assiette totale d’énergie consommée.

Table 1

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 1,061 0,409 2,598 0,010
ln(M/GDP) 0,821 0,238 3,446 0,001
ln(CK/Pop) -1,443 0,2 -7,228 0,000
ln(GDP/Pop) 0,331 0,278 1,193 0,234
valeur résiduelle 11,585 1,256 9,226 0,000

Bon, avançons. Je passe au deuxième sextil de densité de population, entre 11,713 et 29,352 personnes par kilomètre carré. Là, j’ai n = 304 observations et un coefficient de détermination égal à R2 = 0,521. Pas mal, ça monte, ma détermination. Les coefficients, présentés ci-dessous en Table 2, montrent un virage progressif. L’influence de capital par tête d’habitant tourne d’une valeur négative à une valeur quasi-nulle, donc quasi neutre, pendant que l’intensité-travail du PIB local acquiert une importance primordiale. Le développement d’un marché de l’emploi local à un rôle à jouer dans le passage aux renouvelables. La masse monétaire en circulation garde son calme, quoi qu’elle cède un peu de terrain.

Table 2

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 5,096 0,831 6,13 0,000
ln(M/GDP) 0,363 0,138 2,622 0,009
ln(CK/Pop) 0,002 0,104 0,024 0,981
ln(GDP/Pop) -0,739 0,162 -4,561 0,000
valeur résiduelle 12,53 1,282 9,776 0,000

Le troisième sextil de densité de population correspond à l’intervalle entre 29,352 et 56,922 personnes par kilomètre carré. J’ai n = 362 observation et un coefficient de détermination des plus respectables, R2 = 0,713. Pas mal, étant donné que dans mon exploration précédente, avec le modèle général, non-contrôlé avec la densité de population ; j’arrivais à peine aux alentours de R2 = 0,5. Ça commence à être logique : plus grande est la densité de population, donc plus mon marché mûrit, plus de cohérence puis-je atteindre dans l’explication de la façon dont ce marché fonctionne. Ce fonctionnement semble changer. Regardez les coefficients, dans Table 3. A ce stade de densité, la masse monétaire semble un peu dysfonctionnelle, tout comme le stock de capital par tête d’habitant.

Table 3

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 2,297 0,203 11,32 0,000
ln(M/GDP) -0,704 0,096 -7,352 0,000
ln(CK/Pop) -0,211 0,077 -2,75 0,006
ln(GDP/Pop) -0,404 0,109 -3,69 0,000
valeur résiduelle 12,853 0,316 40,652 0,000

Le quatrième sextil correspond à une densité comprise entre 56,922 et 97,881 personnes par kilomètre carré. Ici, mon pouvoir explicatif diminue. Avec n = 306 observations valides, j’atteins à peine R2 = 0,382. Néanmoins, la logique du marché, dans cette part que je peux expliquer avec mon modèle, reste similaire au sextil précédent (voir Table 4, ci-dessous). Vous pourrez remarquer, au passage, qu’avec la diminution de R2, la robustesse des corrélations a chuté un peu, aussi.

Table 4

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 1,18 0,347 3,398 0,001
ln(M/GDP) -0,12 0,097 -1,241 0,215
ln(CK/Pop) -0,379 0,172 -2,199 0,029
ln(GDP/Pop) -0,185 0,204 -0,91 0,363
valeur résiduelle 9,32 0,587 15,879 0,000

L’avant-dernière classe de densité de population c’est le sextile entre 97,881 et 202,36 personnes par kilomètre carré. Encore une fois, c’est comme un paysage embrumé. Avec n = 410 observations valides, j’obtiens à peine R2 = 0,391, tout comme si ces classes de densité de population correspondaient à une transformation de mon marché, genre entre deux paradigmes différents. Le facteur prédominant jusqu’alors, la part des salaires dans le PIB local, perd complétement le nord : son coefficient devient négatif et tombe un ordre de valeur plus bas, pendant que sa corrélation avec la variable expliquée devient plutôt une coïncidence (avec une p-valeur égale à 0,476, la probabilité de l’hypothèse nulle est presque 50%). En même temps, la masse monétaire regagne du terrain comme facteur de formation du marché.

Table 5

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) -0,192 0,269 -0,713 0,476
ln(M/GDP) 0,471 0,068 6,93 0,000
ln(CK/Pop) 0,005 0,172 0,029 0,977
ln(GDP/Pop) -0,633 0,208 -3,04 0,003
valeur résiduelle 6,464 0,383 16,875 0,000

Le stade final dans le développement du marché c’est le dernier sextil de densité de population, entre 202,36 et 21 595,35 personnes par kilomètre carré. Ici, j’ai en tout n = 274 observations valides dans ce sous-ensemble et elles rendent un coefficient de détermination égal à R2 = 0,730. Table 6, ci-dessous, donne les coefficients de régression linéaire de mon modèle dans ce sextil. Il y a deux trucs intéressants à noter. Ceux qui ont suivi mes tortures intellectuelles jusqu’alors se souviennent peut-être que dans le modèle général, présenté dans mes mises à jours précédentes, le coefficient de capital par tête d’habitant avait un signe négatif, opposé à celui de la rémunération de main d’œuvre comme % du PIB. Ici, ces deux variables ont des signes positifs. Je peux en déduire, prudemment, qu’à un état mûr du marché, quand la densité de population est la plus élevée, il est important d’accumuler les deux facteurs de production : capital et travail. L’offre de masse monétaire « M/GDP » agit de façon similaire : plus de pognon en circulation, plus il est probable de voir mon pourcentage des renouvelables croître sur le côté gauche de l’équation.

Table 6

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 1,885 0,308 6,112 0,000
ln(M/GDP) 0,46 0,14 3,287 0,001
ln(CK/Pop) 1,873 0,332 5,65 0,000
ln(GDP/Pop) -3,431 0,367 -9,34 0,000
valeur résiduelle 13,947 0,431 32,354 0,000

Bon, je conclue. Ce chemin de développement d’un marché simulé comme passage entre classes de densité de population, ça promet. Il y a une logique qui émerge. Plus dense est la population, plus cohérent devient le paradigme de fonctionnement du marché. En même temps, le mûrissement progressif du marché correspond à une importance croissante des mécanismes économiques de base : accumulation des facteurs de production et le développement des systèmes monétaires.

[1] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt