Deux théories, deux environnements

 

Mon éditorial

Je rumine les résultats de ma recherche empirique, celle que je vous ai présentée durant les quelques derniers jours. Comme je suis encore en train de mettre de l’ordre dans tout ça, je me suis dit qu’il serait utile de faire une petite balade dans la littérature, juste pour prendre un peu de distance vis à vis mes propres résultats. J’ai trouvé quelques articles dans une revue intitulée « Renewable energy », issue par Elsevier. C’est ainsi que je commence par un article de J.R. San Cristóbal (2011[1]) qui examine les modèles formels de prise de décisions à propos de développement de nouvelles installations sur la base d’énergie renouvelables. Cet article a deux facettes, en quelque sorte : le contenu et le contexte. Quant au contenu, il est très formel, puisque la théorie présentée est celle de prise de décision du type multicritère. Sur ce niveau théorique, l’article est un peu à l’opposé de ma propre approche du problème. Moi, j’étudie le passage aux énergies vertes surtout au niveau macroéconomique, et je considère les décisions individuelles prises pour telle ou telle installation comme limitées dans leur rationalité, suivant les principes fondamentaux de Herbert A. Simon (Simon 1955[2]). J.R. San Cristóbal examine les cas individuels de prise de décision d’un point de vue managérial, où tout un modèle mathématique est utilisé pour maximiser la rationalité des décisions.

Quant au contexte, c’est l’Espagne et leur programme « Renewable Energy » de 2005, qui visait 12% d’énergies renouvelables dans la production primaire d’énergie en 2010. Je peux comparer les objectifs de ce programme avec les données quantitatives de la Banque Mondiale. Je les présente dans Table 1, ci-dessous. C’est un exemple intéressant de ce que J.R. San Cristóbal définit comme « distance de l’idéal ». Le programme espagnol de 2005 visait un certain pourcentage d’énergies renouvelables dans la production primaire d’énergie. Moi, je dispose de données au sujet de la production primaire d’électricité et de la consommation finale d’énergie. Les mesures que vous pouvez trouver dans Table 1 sont en quelque sorte deux bornes, entre lesquelles est comprise la mesure citée par San Cristóbal. La production primaire d’énergie c’est essentiellement la production primaire d’électricité plus la production primaire d’autres formes d’énergie plus la production secondaire (voitures, par exemple) plus importations d’énergie moins les exportations. Je peux assumer que les changements observables dans ces deux mesures de la Table 1 sont des indicateurs indirects des changements qui prennent place dans la structure de la production primaire d’énergie. Si j’observe donc ces deux indicateurs de la Banque Mondiale, deux conclusions sautent aux yeux. Premièrement, ça semble marcher, vraiment, chez les Espagnols : ces pourcentages grimpent tous les deux. Quels modèles de prise de décision qu’ils n’utilisent, ça déménage. Deuxièmement, ça déménage beaucoup plus au niveau de la production primaire d’électricité qu’au niveau de la consommation finale. Si vous calculez la distance, en points de pourcentage, entre les avancements niveau électricité et ceux dans la consommation finale d’énergie, cette distance a récemment une tendance à agrandir. Les changements structurels dans le secteur électro-énergétique vont beaucoup plus vite que les changements des styles de vie et de consommation.

Table 1

Année Pourcentage d’énergies renouvelables dans la production primaire d’électricité en Espagne Pourcentage d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en Espagne
1990 17% 11%
1991 18% 10%
1992 13% 8%
1993 16% 9%
1994 18% 9%
1995 15% 8%
1996 24% 10%
1997 20% 9%
1998 19% 9%
1999 13% 8%
2000 16% 8%
2001 21% 9%
2002 14% 7%
2003 22% 9%
2004 18% 8%
2005 15% 7%
2006 18% 8%
2007 19% 9%
2008 20% 10%
2009 25% 12%
2010 33% 14%
2011 30% 15%
2012 30% 16%
2013 40% 17%
2014 40% 17%

    Source : Banque Mondiale

Comme je survole un peu ces articles que j’ai trouvé dans la revue « Renewable energy », ils traitent souvent d’outils de planification. Côté méthodologie, j’ai l’impression que le comité éditorial est composé des gens très versés dans la programmation et dans les modèles d’optimalisation. Bon, passons à un autre article, un peu plus récent, celui écrit par Rohit Sen et Subhes C. Bhattacharyya (2014[3]), sur un sujet très proche de mon idée fixe, celle de créer des systèmes énergétiques locaux basés 100% sur les énergies renouvelables. Sen et Bhattacharyya étudient le cas d’un village dans la province indienne, où un système exactement comme j’en rêve avait été conçu. Ils présentent trois conclusions majeures de leur étude. Premièrement, lorsqu’une communauté locale dispose d’un potentiel de génération hydraulique, son exploitation est l’un des premiers pas à faire. Comme quoi, si vous avez une rivière, de la place pour du photovoltaïque ainsi qu’un emplacement convenable pour des turbines éoliennes, et vous disposez des fonds limités pour l’investissement, vous investissez en une centrale hydraulique en premier lieu. Deuxièmement, Sen et Bhattacharyya soutiennent quelque chose d’un peu contre-intuitif : un mix d’installations dans une communauté locale marche mieux en termes purement affaires qu’une technologie mono-source. Donc oui, allez en premier lieu vers l’hydraulique, seulement faites gaffe de n’aller que vers l’hydraulique : de l’hydraulique, du photovoltaïque et de l’éolien, tout dans une même assiette de génération primaire d’énergie, ça marche mieux qu’une monoculture technologique concentrée sur une seule source d’énergie. Quand j’ai qualifié cette approche de contre-intuitive, je voulais dire qu’elle va à l’encontre de ce vieux principe d’économies d’échelle. Je les aime bien déjà, Sen et Bhattacharyya. Ce singe curieux que j’ai en moi adore aller à l’encontre des vieux principes. Pour que ça ne soit pas tout rose, Sen et Bhattacharyya soutiennent que ces systèmes locaux hors-réseau, au moins en Inde, risquent de se casse la gueule côte finance si le gouvernement ne les soutient pas avec des subventions. Par pure curiosité (le singe, encore) j’ai compilé les données de la Banque Mondiale à propos de la structure de la production primaire d’électricité ainsi que de la consommation finale d’énergie en Inde, point de vue pourcentage des renouvelables (Table 2). Voilà un cas intéressant par son contraste avec le précédent, l’Espagne. En Inde, les deux indicateurs de présence d’énergies renouvelables montrent une tendance descendante, à l’opposé de l’Espagne. Nous avons donc ici deux environnements socio-économiques complètement différents.

Table 2

Année Pourcentage d’énergies renouvelables dans la production primaire d’électricité en Inde Pourcentage d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en Inde
1990 24,5% 58,7%
1991 22,8% 57,6%
1992 20,8% 57,2%
1993 19,6% 57,0%
1994 21,2% 55,6%
1995 17,3% 54,5%
1996 15,8% 53,8%
1997 16,0% 52,5%
1998 16,7% 52,7%
1999 15,3% 51,7%
2000 13,6% 51,6%
2001 13,2% 51,8%
2002 12,1% 50,6%
2003 13,5% 50,8%
2004 14,5% 49,7%
2005 16,6% 48,6%
2006 17,5% 47,4%
2007 17,9% 45,9%
2008 16,5% 43,6%
2009 15,7% 40,8%
2010 16,0% 39,5%
2011 17,3% 38,9%
2012 15,7% 38,4%
2013 16,9% 37,7%
2014 15,4% 36,5%

            Source : Banque Mondiale

En comparant deux articles à propos de décisions optimales à prendre au sujet d’énergies renouvelables, j’en suis donc venu à comparer deux environnements socio-économiques complètement différents. Espagne avance décidément vers un pourcentage accru d’énergies renouvelables, l’Inde c’est exactement l’opposé. Espagne a une densité de population aux alentours de 93 personnes par kilomètre carré, en Inde c’est quelque chose comme 436 personnes sur le même kilomètre carré. Enfin, pas exactement le même, juste métaphoriquement. Si je réfère ces densités aux tests de mes équations avec la densité de population comme variable de contrôle (regardez “Le mûrissement progressif du marché, ça promet” ), j’ai donc Espagne dans le quatrième sextil de densité, où le modèle économique que j’essaie de développer marche d’une façon plutôt brumeuse, pendant que l’Inde est dans le sixième sextil de densité, avec un rôle très solide des variables économiques comme la vélocité de la masse monétaire. En 1961, lorsque commencent les statistiques de la Banque Mondiale à propos de la densité de population, l’Inde avait 154,3 habitants par kilomètre carré pendant qu’en Espagne c’était 61,5 habitants. Entre 1961 et le jour présent, l’Inde est donc passée du cinquième sextil de densité dans le sixième, donc, en accord avec mon modèle, d’un environnement mi-figue mi-raisin en termes économiques à un environnement super-capitaliste. L’Espagne, en revanche, est restée ancrée dans ce quatrième sextil de densité et dans ses conditions floues. Paradoxalement, ce sont ces conditions floues qui semblent encourager le passage vers les renouvelables plus que les conditions fermes et sans équivoque, observables dans le cas Indien.

[1] San Cristóbal, J.R., 2011,  Multi-criteria decision-making in the selection of a renewable energy project in spain: The Vikor method, Renewable Energy 36 (2011), pp. 498 – 502

[2] Simon A.,H., A Behavioral Model of Rational Choice, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 69, No. 1 (Feb., 1955), pp. 99-118

[3] Rohit Sen, Subhes C. Bhattacharyya, 2014, Off-grid electricity generation with renewable energy technologies in India: An application of HOMER, Renewable Energy 62 (2014), pp. 388 – 398

Le mûrissement progressif du marché, ça promet

Mon éditorial

Je suis en train de découvrir les limites de l’exploration quantitative de ma base de données. C’est une expérience intéressante. J’essaie d’utiliser ma base de données pour étudier une autre composante de mon idée fixe : le Wasun. « Wasun » est un nom colloquial que j’avais donné à une monnaie virtuelle (donc un peu comme Bitcoin ou Ethereum), purement hypothétique pour le moment, qui serait attachée fonctionnellement au marché d’énergies renouvelables. J’ai essayé d’utiliser ma base de données pour simuler le développement de communautés locales basées à 100% sur les énergies renouvelables et pour découvrir en même temps le rôle des systèmes monétaires dans ce développement.

Mon éditorialBon, maintenant une petite gymnastique intellectuelle. Comment puis-je représenter le développement d’une communauté locale avec l’aide des variables macroéconomiques que j’ai dans ma base de données ? L’idée de base est que toute communauté locale est faite d’êtres humains sur un territoire. Pas vraiment une percée, vous direz, et encore… Dans ma petite base de données j’ai une variable qui reflète cette idée de base : c’est la densité de population. La formation d’une communauté équivaut à la croissance de la densité de population. Plus il y a de personnes sur un territoire donné, plus il est possible de les appeler, tous ensemble, une communauté. Le développement d’une communauté locale basée à 100% sur les énergies renouvelables c’est la croissance de la densité de population corrélée avec une augmentation soit dans le pourcentage d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie soit dans le volume absolu d’énergies renouvelables consommées.

J’imagine donc un point de départ, moment T0 pour les amis. Une communauté locale au moment T0 est fait de gens qui se foutent éperdument de l’énergie verte. Néanmoins, l’idée commence à germer : une personne après l’autre devient accro à la vision de n’utiliser que les énergies renouvelables. Maintenant je fais un soubresaut intellectuel : la communauté locale entière est comme un territoire désert et comme certains de ses membres se convertissent à l’idée d’énergie verte, c’est comme si des colons arrivaient dans ce territoire désert. Un colon, deux colons, trois colons et ainsi de suite jusqu’à ce que, à un moment ultérieur Tn, quelqu’un s’écrie « Faudrait bien élire un maire ! Je peux me sacrifier pour le bien de la communauté, puisque vous insistez tellement ». Quand on y pense, c’est bien comme ça que la plupart des marchés nouveaux voient le jour : dans une population générale qui, initialement, s’en fiche par ailleurs, une personne après l’autre devient intéressée par le produit ou service donné. La densité de population de ces accros du marché nouveau augmente progressivement et ils commencent à former une communauté.

Si je désigne donc la densité de population comme « DP », je peux poser une condition formelle de formation d’une communauté locale : DP(Tn) > DP(T0) ou   n > 0.

Bon, voilà du terrain défriché. Maintenant, je fais un modèle, largement basé sur cette exploration empirique que vous avez pu suivre à travers “C’est compliqué, mais gardons notre calme”  suivi par “Those new SUVs are visibly purchased with some capital rent” ainsi que “Côté pouvoir explicatif du modèle”  ou encore “If I want to remain bluntly quantitative” . Je pose donc une hypothèse complexe que le pourcentage « %Ren » d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dépend d’une façon significative de la quantité « CK/Pop » de capital fixe par tête d’habitant, ainsi que de la part « labsh » des salaires dans le revenu brut de la population et du PIB par tête d’habitant (« GDP/Pop »). J’ajoute la proportion entre la masse monétaire agrégée et le PIB ou, en d’autres mots, ladite masse monétaire exprimée comme un pourcentage « M/GDP » du PIB. Ça vaut la peine de noter que comme le côté gauche de mon équation est un ratio (le pourcentage d’énergies renouvelables dans un total de consommation), je compose le côté droit avec des variables de nature similaire, donc des coefficients de proportion. Après avoir réduit tout ça à des valeurs logarithmiques pour éliminer un peu de bruit statistique, je pose donc formellement :

ln(%Ren) = a1*ln(CK/Pop) + a2*ln(labsh) + a3*ln(GDP/Pop) + a4*ln(M/GDP) + valeur résiduelle     

Je teste ce modèle dans ma base des données habituelle – Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[1]) enrichie avec les données de la Banque Mondiale – et je corse le plat en ajoutant la densité de population comme variable de contrôle. Je demande poliment à mon logiciel d’analyse statistique, le Wizard pour MacOS, de définir des classes de densité de population. Pour une raison que j’ignore, ce Wizard définit habituellement des sextiles, c’est-à-dire il divise la base entière en des sous-ensembles de 1577 – 1578 observations « pays – année » chacun. J’ai donc six classes de densité de population et je teste mon modèle à l’intérieur de chaque classe séparément. Ici, j’entre sur du terrain incertain. Ma condition de base était : DP(Tn) > DP(T0) ou   n > 0, donc je parlais de changement de densité de population dans le temps. Dans ma base de données j’ai des observations « pays – année » : je combine changement dans le temps avec du mouvement à travers l’espace. Néanmoins, comme j’utilise des logarithmes naturels et non des valeurs directes des variables en question, les différences d’échelle entre pays se nivellent significativement. En remplaçant donc la densité de population à un moment donné – DP(Tn) – par k-ième observation dans la base de données, je simplifie ma condition et j’en fais DPk > DPk-i.

Alors, je teste. L’enfance du marché local d’énergie renouvelable c’est le premier sextil de densité de population, entre 0,632 et 11,713 personnes par kilomètre carré. Ici, j’ai n = 210 observations valides, qui me donnent un coefficient de détermination de R2 = 0,370. Densité basse, détermination basse, comme qui dirait. Dans ce stade infantile du marché, l’offre de la masse monétaire est un facteur positif ; plus il y en a, plus grand est le pourcentage de renouvelables dans l’assiette totale d’énergie consommée.

Table 1

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 1,061 0,409 2,598 0,010
ln(M/GDP) 0,821 0,238 3,446 0,001
ln(CK/Pop) -1,443 0,2 -7,228 0,000
ln(GDP/Pop) 0,331 0,278 1,193 0,234
valeur résiduelle 11,585 1,256 9,226 0,000

Bon, avançons. Je passe au deuxième sextil de densité de population, entre 11,713 et 29,352 personnes par kilomètre carré. Là, j’ai n = 304 observations et un coefficient de détermination égal à R2 = 0,521. Pas mal, ça monte, ma détermination. Les coefficients, présentés ci-dessous en Table 2, montrent un virage progressif. L’influence de capital par tête d’habitant tourne d’une valeur négative à une valeur quasi-nulle, donc quasi neutre, pendant que l’intensité-travail du PIB local acquiert une importance primordiale. Le développement d’un marché de l’emploi local à un rôle à jouer dans le passage aux renouvelables. La masse monétaire en circulation garde son calme, quoi qu’elle cède un peu de terrain.

Table 2

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 5,096 0,831 6,13 0,000
ln(M/GDP) 0,363 0,138 2,622 0,009
ln(CK/Pop) 0,002 0,104 0,024 0,981
ln(GDP/Pop) -0,739 0,162 -4,561 0,000
valeur résiduelle 12,53 1,282 9,776 0,000

Le troisième sextil de densité de population correspond à l’intervalle entre 29,352 et 56,922 personnes par kilomètre carré. J’ai n = 362 observation et un coefficient de détermination des plus respectables, R2 = 0,713. Pas mal, étant donné que dans mon exploration précédente, avec le modèle général, non-contrôlé avec la densité de population ; j’arrivais à peine aux alentours de R2 = 0,5. Ça commence à être logique : plus grande est la densité de population, donc plus mon marché mûrit, plus de cohérence puis-je atteindre dans l’explication de la façon dont ce marché fonctionne. Ce fonctionnement semble changer. Regardez les coefficients, dans Table 3. A ce stade de densité, la masse monétaire semble un peu dysfonctionnelle, tout comme le stock de capital par tête d’habitant.

Table 3

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 2,297 0,203 11,32 0,000
ln(M/GDP) -0,704 0,096 -7,352 0,000
ln(CK/Pop) -0,211 0,077 -2,75 0,006
ln(GDP/Pop) -0,404 0,109 -3,69 0,000
valeur résiduelle 12,853 0,316 40,652 0,000

Le quatrième sextil correspond à une densité comprise entre 56,922 et 97,881 personnes par kilomètre carré. Ici, mon pouvoir explicatif diminue. Avec n = 306 observations valides, j’atteins à peine R2 = 0,382. Néanmoins, la logique du marché, dans cette part que je peux expliquer avec mon modèle, reste similaire au sextil précédent (voir Table 4, ci-dessous). Vous pourrez remarquer, au passage, qu’avec la diminution de R2, la robustesse des corrélations a chuté un peu, aussi.

Table 4

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 1,18 0,347 3,398 0,001
ln(M/GDP) -0,12 0,097 -1,241 0,215
ln(CK/Pop) -0,379 0,172 -2,199 0,029
ln(GDP/Pop) -0,185 0,204 -0,91 0,363
valeur résiduelle 9,32 0,587 15,879 0,000

L’avant-dernière classe de densité de population c’est le sextile entre 97,881 et 202,36 personnes par kilomètre carré. Encore une fois, c’est comme un paysage embrumé. Avec n = 410 observations valides, j’obtiens à peine R2 = 0,391, tout comme si ces classes de densité de population correspondaient à une transformation de mon marché, genre entre deux paradigmes différents. Le facteur prédominant jusqu’alors, la part des salaires dans le PIB local, perd complétement le nord : son coefficient devient négatif et tombe un ordre de valeur plus bas, pendant que sa corrélation avec la variable expliquée devient plutôt une coïncidence (avec une p-valeur égale à 0,476, la probabilité de l’hypothèse nulle est presque 50%). En même temps, la masse monétaire regagne du terrain comme facteur de formation du marché.

Table 5

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) -0,192 0,269 -0,713 0,476
ln(M/GDP) 0,471 0,068 6,93 0,000
ln(CK/Pop) 0,005 0,172 0,029 0,977
ln(GDP/Pop) -0,633 0,208 -3,04 0,003
valeur résiduelle 6,464 0,383 16,875 0,000

Le stade final dans le développement du marché c’est le dernier sextil de densité de population, entre 202,36 et 21 595,35 personnes par kilomètre carré. Ici, j’ai en tout n = 274 observations valides dans ce sous-ensemble et elles rendent un coefficient de détermination égal à R2 = 0,730. Table 6, ci-dessous, donne les coefficients de régression linéaire de mon modèle dans ce sextil. Il y a deux trucs intéressants à noter. Ceux qui ont suivi mes tortures intellectuelles jusqu’alors se souviennent peut-être que dans le modèle général, présenté dans mes mises à jours précédentes, le coefficient de capital par tête d’habitant avait un signe négatif, opposé à celui de la rémunération de main d’œuvre comme % du PIB. Ici, ces deux variables ont des signes positifs. Je peux en déduire, prudemment, qu’à un état mûr du marché, quand la densité de population est la plus élevée, il est important d’accumuler les deux facteurs de production : capital et travail. L’offre de masse monétaire « M/GDP » agit de façon similaire : plus de pognon en circulation, plus il est probable de voir mon pourcentage des renouvelables croître sur le côté gauche de l’équation.

Table 6

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(labsh) 1,885 0,308 6,112 0,000
ln(M/GDP) 0,46 0,14 3,287 0,001
ln(CK/Pop) 1,873 0,332 5,65 0,000
ln(GDP/Pop) -3,431 0,367 -9,34 0,000
valeur résiduelle 13,947 0,431 32,354 0,000

Bon, je conclue. Ce chemin de développement d’un marché simulé comme passage entre classes de densité de population, ça promet. Il y a une logique qui émerge. Plus dense est la population, plus cohérent devient le paradigme de fonctionnement du marché. En même temps, le mûrissement progressif du marché correspond à une importance croissante des mécanismes économiques de base : accumulation des facteurs de production et le développement des systèmes monétaires.

[1] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt

Côté pouvoir explicatif du modèle

Mon éditorial

Me revoilà dans l’univers des parts d’énergie. Pendant les deux derniers jours, j’étudiais les données de la Banque Mondiale à propos de la part d’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie. Si je fais donc un panier de toutes les formes d’énergie que j’utilise dans la vie quotidienne – l’électricité, du fuel pour ma voiture, le gaz que je brûle dans ma cuisinière et dans ma chaudière etc. – j’obtiens un total de consommation finale d’énergie. Maintenant, je prends toute l’énergie renouvelable que j’ai utilisé dans le cadre de mon entière consommation et je la divise par ladite entière consommation. Le quotient que j’obtiens c’est l’indicateur de la part relative d’énergie renouvelable dans la consommation totale et vous pouvez l’étudier à l’adresse : https://data.worldbank.org/indicator/EG.FEC.RNEW.ZS. Cependant, la Banque Mondiale publie un autre indicateur, à signification très voisine du précédent : la part d’énergie renouvelable dans la production primaire d’électricité, accessible sous https://data.worldbank.org/indicator/EG.ELC.RNEW.ZS . Ce deuxième indicateur est dans un certain sens en amont du précédent ; il reflète la structure énergétique à l’une des sources d’énergie, c’est-à-dire l’électricité.

Je prends donc ma base des données habituelle – Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[1]) assaisonnée avec les données de la Banque Mondiale, au choix – j’y ajoute ce deuxième indicateur concernant la structure primaire d’électricité produite et je répète la même procédure d’exploration quantitative que j’avais effectuée hier, dans “Those new SUVs are visibly purchased with some capital rent” . Je spécule donc à propos d’une variable socio-économique, probablement une proportion, qui pourrait bien expliquer la part d’énergie verte dans la production primaire d’électricité, ou ‘%RenEl’ dans les équations qui vont suivre. Hier, avec ce premier indicateur (renouvelables comme % de la consommation finale), j’avais opté pour le PIB par tête d’habitant, donc pour l’indicateur de base de niveau de vie, auquel j’avais ajouté la population comme facteur d’échelle. Essayons voir. Je réduis tout ça aux logarithmes naturels pour niveler, au moins en partie, la non-stationnarité de mes séries temporelles, et je pose formellement :

ln(%RenEl) = a1*ln(PIB par tête) + a2*ln(Pop) + valeur résiduelle

Je teste donc cette première équation dans un ensemble de n = 3511 observations valides dans ma base de données et je vais vous dire, ce n’est pas vraiment un tir chanceux. J’obtiens un coefficient de détermination égal à R2 = 0,116. Franchement, pas de quoi informer le gouvernement. A titre de comparaison, hier, lorsque j’avais testé cette première équation avec la part des renouvelables dans la consommation finale d’énergie, j’avais obtenu R2 = 0,326, donc trois fois plus de pouvoir explicatif. D’un autre côté, les corrélations ainsi obtenues sont solides, ce que vous pouvez constater en jetant un coup d’œil au tableau des coefficients, ci-dessous (Table 1) :

Table 1

Variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(PIB par tête) -0,476 0,022 -21,767 0,000
ln(Pop) -0,061 0,013 -4,665 0,000
Valeur résiduelle 0,721 0,128 5,624 0,000

   Quoi que dotée de peu de valeur explicative, cette première équation montre une régularité intéressante : la variable « PIB par tête d’habitant » a le même signe et une magnitude très similaire à ce que j’avais obtenu hier à propos de la structure de consommation finale d’énergie. Peu importe donc si on parle de la consommation finale d’énergie ou bien de la production primaire d’électricité, plus la nation est riche, en termes de PIB par tête d’habitant, moins elle a d’énergie renouvelable dans son panier énergétique. Bon, fini de s’extasier, faut bosser. Je répète donc la même procédure un peu Bayésienne que j’avais appliquée hier : je projette les valeurs résiduelles de cette équation dans ma base de données (donc chaque observation pays-année acquiert un résiduel de la variable ‘ln(%RenEl)’qui n’est pas expliqué par le PIB par tête, ni par la taille de la population) et j’observe avec quelles autres variables ce résiduel est-il corrélé. D’une manière assez surprenante, la seule corrélation de Pearson significative est celle avec, précisément, la part des renouvelables dans la consommation finale d’énergie, ou ‘%Ren’ pour les amis. La ‘%Ren’ est corrélée avec la valeur résiduelle de cette première équation avec un coefficient de Pearson égal à r = 0,534.

D’une part, c’était à prévoir. Il y a évidemment un lien entre la structure de la consommation finale d’énergie et celle de la production primaire d’électricité. Ce qui est un peu surprenant, dans cette phase de mon exploration, c’est le manque d’autres corrélations significatives. De toute façon, maintenant, c’est pratiquement de la routine : je teste la nouvelle équation ln(%RenEl) = a1*ln(PIB par tête) + a2*ln(Pop) + a3*ln(%Ren) + valeur résiduelle, je projette les valeur résiduelles à nouveau dans la base des données, je cherche des nouvelles corrélations et ainsi de suite, aussi longtemps que ça marche. Je teste donc, et avec n = 3 496 observations valables j’obtiens un pouvoir explicatif de R2 = 0,481. Eh ben voilà un joli progrès ! Allons voir le tableau des coefficients de cette régression linéaire. Le voilà en-dessous :

Table 2

variable coefficient Erreur standard Statistique t p-valeur
ln(PIB par tête) 0,09 0,018 4,896 0,000
ln(Pop) -0,018 0,01 -1,779 0,075
ln(%Ren) 0,816 0,019 43,312 0,000
Valeur résiduelle 1,082 0,088 12,292 0,000

Voilà donc que j’ai obtenu une sorte de jonction entre la structure de la consommation finale d’énergie et celle de la production primaire d’électricité. Elles sont mutuellement corrélées, au point de pousser de côté et déboussoler ma variable explicative initiale, le PIB par tête d’habitant, qui, en présence de cette corrélation, change de signe et de magnitude dans la régression. Désolé, PIB par tête d’habitant, la science est cruelle par moments, mais il faut que je fasse cette projection des résiduelles. Je procède, donc, et je heurte un mur : cette fois, la valeur résiduelle de cette seconde équation n’est corrélée avec aucune autre variable dans ma base des données, même pas avec les variables que j’avais pu inclure hier dans la modélisation de la structure de consommation finale. Mon singe interne (oui, j’en ai un !) essaie d’expérimenter en jetant dans cette équation des variables qui ont ‘marché’ dans me recherche précédente – la densité de population, le déficit alimentaire, la part des salaires dans le PIB, le stock de capital fixe par tête d’habitant et ainsi de suite – mais rien n’apporte un pas vraiment significatif en avant en termes de pouvoir explicatif estimé avec le coefficient de détermination R2. Ce R2 c’est en fait le pourcentage de la variance observée dans la variable sur le côté gauche de l’équation, expliqué, de façon linéaire, par les variables sur le côté droit. Un R2 égal à 0,481, par exemple, veut dire que mes variables à droite, toutes prises ensemble, expliquent 48,1% de la variance observée à gauche.

Dans ce cas précis, rien ne semble marcher. Quel cocktail de variables que je mette sur le côté gauche, ce R2 tourne autour du même niveau, à peu près 0,5. Avec toutes les inter-corrélations possibles entre les variables explicatives sur le côté gauche, un changement de mon R2 de ce 0,48& initial en R2 = 0,511 – obtenu avec trois variables de plus, donc la densité de population, le déficit alimentaire et la part d’amortissement dans le PIB – n’a rien de bien excitant. En ajoutant trois variables explicatives, j’ai gagné trois points de pourcentage côté pouvoir explicatif du modèle. Pas vraiment une aubaine.

Je résume et je retourne à mon idée de départ : une communauté locale basée à 100% sur les énergies renouvelables. Cette recherche que j’ai effectuée hier et aujourd’hui m’apporte quelques indications. Mon idée concerne la génération d’électricité dans ces communautés locales et je peux constater que la structure de production primaire d’électricité est étroitement liée à la structure de la consommation finale. Si je veux donc une communauté locale basée sur l’énergie renouvelable, le changement social qui devrait accompagner est un changement de style de vie : échanger les voitures à combustion interne contre des électriques, remplacer le gaz par l’électricité dans la cuisson et le chauffage etc. C’est logique : un business centré sur la génération d’électricité des sources renouvelables a plus de chances de marcher si je réussis à agrandir le marché local d’électricité en tant que tel.

[1] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt

C’est compliqué, mais gardons notre calme

Mon éditorial

J’hypothèse. Ça veut dire que je crée des classeurs pour ranger la réalité dedans. Après la revue de littérature que j’ai faite avant-hier (consultez “It warms my heart to know I am not totally insane” ), je pose l’hypothèse suivante : la création de systèmes énergétiques locaux avec 100% d’énergie renouvelable est significativement influencée par les coûts de transaction qui accompagnent la transition du capital vers de tels projets. Je sais, ça a l’air plutôt simpliste, mais il faut bien que je commence avec quelque chose. En fait, j’essaie de généraliser sur les faits présentés par Karen Wendt[1]. En termes de rangement de réalité, cette hypothèse a l’air spacieuse, comme ces sacs de marin : juste un gros sac, sans pochettes de rangement à l’intérieur, mais avec un espace respectable pour fourrer des trucs dedans et en plus, ça se porte bien sur l’épaule. Comment puis-je savoir que ça se porte bien ? Ben voilà, je peux la transporter rapidement presque n’importe où à travers les sciences sociales et je trouverai toujours un endroit pour l’accrocher. Dans le cadre des sciences économiques c’est facile comme tout, puisque les coûts de transaction sont une notion admise et même dotée d’un prix Nobel pour Oliver Williamson. En sociologie, je l’accroche pratiquement à tout ce qui concerne les structures sociales. Si je décide de naviguer la psychologie, je peux prendre ce gros sac sur un voyage à travers la psychologie évolutive et son truc de hiérarchisation.

Bon, maintenant je survole rapidement les faits. Tout d’abord, je vérifie les faits de base en ce qui concerne la consommation d’énergies renouvelables. Je prends les données de la Banque Mondiale en ce qui concerne la part d’énergie renouvelable dans la consommation totale (https://data.worldbank.org/indicator/EG.FEC.RNEW.ZS ) et je les mixe avec ma base de données que j’ai bâti sur l’ossature de Penn Tables 9.0 (Feenstra et al. 2015[2]). Ce que je calcule en premier lieu c’est comment cette part d’énergie verte a changé dans le temps. Sur mon site https://discoversocialsciences.com j’ai placé un fichier Excel correspondant, en anglais . La première chose qui frappe, c’est que ce pourcentage d’énergie en provenance de sources renouvelables avait à peine changé sur les 30 dernières années, si on le calcule comme valeur agrégée globale (donc si nous tenons compte des parts respectives de chaque pays dans le bilan énergétique global) : c’est juste monté de 17,9% en 1990 jusqu’à 18,9% en 2014. Pas vraiment un tremblement de terre. En revanche, si je calcule ce pourcentage comme moyenne arithmétique entre pays, ça fait plus et ça plonge, de 36,04% en 1990 vers 32,3% en 2014. La variance autour cette moyenne, donc la variabilité de notre indicateur, a l’air plutôt stable, si on la mesure comme le quotient de la variance par la moyenne. La médiane – donc le niveau en-dessous duquel on trouve exactement 50% des pays observés chaque année – suit une trajectoire encore différente, un peu fluctuante entre 21 et 30%.

Les changements globaux en termes de participation d’énergies vertes dans le cocktail énergétique de notre société suggèrent quelques régularités. Il y a une sorte de schéma spatial, ou les économies nationales les plus volumineuses en termes de consommation totale d’énergie – donc surtout les pays développés ainsi que ceux du BRIC – se déplacent systématiquement vers une base énergétique de plus en plus verte, pendant qu’un nombre relativement grand de pays en voie de développement ainsi que certaines économies émergentes montrent des signes d’accroître la participation d’énergie non-renouvelable dans le total. Là, une clarification s’impose. Nous parlons du pourcentage d’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie et non pas dans sa génération primaire. Ce serait donc un malentendu d’interpréter ce pourcentage comme la part relative de centrales électriques vertes dans la production totale. C’est la consommation, pas la génération, et en ce qui concerne la consommation finale d’énergie il y a un facteur à ne pas négliger : la bagnole. La graaande majorité des voitures sont des bons vieux classiques à combustion interne. Plus de voitures par une centaine d’habitants veut dire plus de carburant fossile brûlé. L’une des composantes de base d’avancement social dans les pays en voie de développement et dans les économies émergentes est l’achat de plus de voitures par ménage. C’est surtout ça le secret des pays qui – suivant cet indicateur de pourcentage de renouvelables dans le total – semblent aller à rebours de ce que nous percevons comme « révolution verte ».

Si je retourne donc à mon hypothèse, je peux dire qu’à l’échelle globale, la finance, elle se decarbonise à un rythme de tout ce qu’il y a de plus respectable. Sans à-coups, mollo. Ce sont plutôt les idiosyncrasies nationales et régionales et termes de decarbonisation qui sont intéressantes. Quel rapport avec mon hypothèse de départ ? A première vue, ces coûts de transaction dont je parle, ils suivent des régularités globales plutôt qu’un schéma universel. Je la reformule, mon hypothèse :  la création de systèmes énergétiques locaux avec 100% d’énergie renouvelable est significativement influencée par les coûts de transaction qui accompagnent la transition du capital vers de tels projets et qui sont spécifiques aux économies nationales.

Bon, je continue avec cet aspect embarrassant de la science, donc avec les faits. Je transforme mon pourcentage d’énergie renouvelable en quantité absolue, en le multipliant par la consommation moyenne d’énergie par tête d’habitant, en kilogrammes d’équivalent-pétrole (consultez https://data.worldbank.org/indicator/EG.USE.PCAP.KG.OE  ). Un kilo d’équivalent-pétrole équivaut, en fait, à 11,63 kilowattheures, en fait. J’obtiens donc, pour chaque pays et chaque année dans ma base de données, la consommation totale d’énergie renouvelable en milliers de tonnes d’équivalent-pétrole. Ensuite, j’ai calculé la moyenne nationale de consommation d’énergie renouvelables pour chaque année et je l’ai mis côte à côte avec le stock moyen national de capital fixe, en millions de dollars constants 2011, aux parités courantes de pouvoir d’achat. Voilà une autre portion de faits que vous pouvez trouver dans un autre fichier Excel en anglais, sur mon site https://discoversocialsciences.com. J’ai facilité la digestion de ces faits en transformant les deux valeurs absolues en indexes, basées sur la valeur observée, dans chaque cas, en année 2000. Cette méthode, appelée indexation à base fixe, est utile lorsqu’on veut tracer, graphiquement, les tendances suivies par des variables qui ont des quantités très différentes l’une de l’autre. Si une variable dénote des valeurs absolues 10 fois plus grandes que l’autre, par exemple, le graphe peut être difficile à lire. J’indexe avec base fixe et mes deux courbes suivent le même ordre de grandeur.

Alors, comme je compare l’index de consommation nationale moyenne d’énergies renouvelables avec celui du capital fixe accumulé à l’échelle nationale, les deux montent, mais le capital monte plus vite. Cela veut dire que le stock de capital accumule plus vite que la consommation d’énergie renouvelable. A ce point-là, je peux illustrer mon train de raisonnement de façon suivante : si je pose l’hypothèse qu’il ait un lien quelconque entre la consommation d’énergie renouvelable et le stock de capital, j’imagine chaque tonne d’énergie renouvelable comme accompagnée, en quelque sorte, par une certaine quantité de capital. En absence de coûts de transaction, cette quantité de capital par tonne d’énergie verte devrait être plus ou moins constante, ou tout du moins oscillante légèrement autour d’une constante. Seulement voilà, ce ratio de capital par tonne d’équivalent-pétrole, il a une tendance clairement croissante : en 2014, il était deux fois plus grand qu’en 1990. Si un sou a le choix entre s’attacher à une tonne d’équivalent-pétrole d’énergie renouvelable ou bien s’attacher à quoi que ce soit d’autre, il choisira plutôt ce quoi que ce soit d’autre. Il y a quelque chose qui empêche ce sou d’aller de son libre gré vers les énergies renouvelables. Dans les sciences économiques, ce quelque chose qui gêne le mouvement des sous – hormis bien sûr le manque des sous – ce sont précisément les coûts de transaction.

Vous pouvez remarquer que je viens d’utiliser la logique Bayésienne : j’ai imaginé un monde parfait (à quoi tout le monde à droit) et une courbe correspondante. J’ai donc jeté ma première balle « W », en des termes originels de Thomas Bayes (Bayes, Price 1763[3]). Ensuite, je vérifie à quel point la réalité correspond à ma vision – je jette la seconde balle « O » et je regarde sa distance de la ligne établie par la balle « W ». En fait, si je regarde bien ces deux lignes que vous pouvez trouver dans ce fichier Excel , mon index de consommation d’énergies renouvelables s’éloigne de l’index de capital. Avec chaque année, les chances Bayésiennes de les voir à égalité diminuent : il y a de moins en moins de façons d’avoir un sou de capital fixe attaché avec une probabilité de 50% à une tonne d’équivalent-pétrole d’énergie renouvelable.

Bon, je sais que c’est compliqué, mais gardez votre calme. On va avancer mollo, jour après jour, jusqu’au but. A bientôt.

[1] Wendt, K., 2016, Decarbonizing Finance – Recent Developments and the Challenge Ahead, Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=2965677

[2] Feenstra, Robert C., Robert Inklaar and Marcel P. Timmer (2015), “The Next Generation of the Penn World Table” American Economic Review, 105(10), 3150-3182, available for download at http://www.ggdc.net/pwt

[3] Mr. Bayes, and Mr Price. “An essay towards solving a problem in the doctrine of chances. by the late rev. mr. bayes, frs communicated by mr. price, in a letter to john canton, amfrs.” Philosophical Transactions (1683-1775) (1763): 370-418

Quelque chose de rationnellement prévisible

Mon éditorial

Ça y est, je me suis relancé. Mardi et mercredi, je finissais cet article sur les modèles évolutionnistes appliqués aux changements technologiques. Vous pouvez le voir et télécharger ici.  Faute de temps, je n’avais rien mis sur ce blog. Hier, j’ai déjà amorcé une nouvelle course, dans ma mise à jour en anglais (voir : “Conversations between the dead and the living (no candles)” ) et je veux bien continuer. D’abord, une petite récapitulation : je reste dans le monde du changement technologique et je joue avec les probabilités. Je suis retourné à cette idée, vieille de quelques mois, des systèmes énergétiques locaux basés sur les énergies renouvelables et associés avec le développement des monnaies locales, que jadis j’avais baptisé le Wasun. Vous pouvez consulter, par exemple,  ‘Les moulins de Wasun’  pour vous rafraîchir la mémoire. De toute façon, j’ai décidé d’approcher cette idée, cette fois, sous l’angle de la théorie de probabilité d’évènements rares. Je continue donc avec les notions fondamentales de Thomas Bayes (Bayes, Price 1763[1]), ainsi qu’avec la théorie de Siméon Denis Poisson, surtout dans sa forme utilisée par le soi-disant fondateur de l’idée de Bitcoin, Satoshi Nakamoto.

Je procède par ordre d’ancienneté et je commence par la théorie de Bayes dans sa pure forme. Il faut que je définisse un évènement, complexe et à contours un peu flous, si possible, qui correspond au succès dans cet univers. Je le définis avec quatre conditions. Condition no. 1 est que le marché d’énergie Q(E) dans une communauté locale consiste à 100% d’énergie renouvelable produite localement. Il faut donc que la demande locale d’énergie, ou D(E), soit égale à l’offre locale S(RE) d’énergie renouvelable. Mathématiquement, cela veut dire Q(E) = D(E) = S(RE). Condition no. 2 stipule que le prix d’énergie P(E) dans ce marché soit dans la limite du pouvoir d’achat moyen PP(E), donc que P(E) ≤ PP(E). Condition no. 3 se réfère au côté capitaliste du projet et elle exige que le taux de retour sur actifs ROA (bénéfice net divisé par la valeur comptable d’actifs) soit supérieur ou égal à une valeur de référence ROA*, ou ROA ≥ ROA*. Finalement, je veux que l’offre W de la monnaie virtuelle locale accroisse systématiquement sa part du marché local par rapport à l’offre M de la monnaie ‘officielle’. Avec deux périodes consécutives T0 et T1, ma condition no. 4 peut donc être exprimée comme W/M(T1) > W/M(T0).

J’ai donc quatre conditions qui doivent être remplies pour que je puisse parler d’un succès dans le lancement d’un projet local d’énergie renouvelable. J’utilise cet exemple pour jouer un peu avec la théorie de probabilité et à ce moment précis, je veux un petit échange posthume d’idées avec Thomas Bayes. Pour comprendre la théorie de Bayes, il est bon de se demander nous-mêmes qu’est-ce que la probabilité dans notre vie quotidienne. La probabilité que nous apprenons à l’école est un nombre. On jette une pièce de monnaie 100 fois, et on calcule le nombre d’occurrence de la pile et de la face. Disons que pile à fait 30 apparitions dans cet échantillon de 100. Alors, on calcule la probabilité que ce soit pile qui est sur le dessus de la pièce après le jet comme P = 30/100 = 0,3. C’est fait. Seulement, on a justement accompli un paradoxe. Si un évènement est probable, il est incertain. Si j’ai un nombre bien défini, comme P = 0,3, je n’ai plus d’incertitude. La probabilité que nous venons de calculer est dure comme fer. Pardon, elle semble dure comme fer. C’est une fausse certitude en ce qui concerne l’avenir. Quand on y regarde bien, ce P = 0,3 c’est du passé, pendant que la question de base en ce qui concerne la probabilité est « Qu’est-ce qui va se passer ? ». Quelle garantie ai-je, sur la base ce ces 100 essais, que dans les 10 prochains essais j’aurais 3 piles et 7 faces ?

A partir de là, c’est la vraie théorie de probabilité qui commence. Il y a deux chemins fondamentaux à prendre : celui de de Moivre – Laplace ou bien celui de Thomas Bayes. Le premier est le mieux connu aujourd’hui comme « la loi des moyennes ». Je peux répéter mes expériences, par exemple en faisant 100 séries de 100 coups de pile, 10 000 au total. Dans chaque centaine, je calcule mes probabilités. Les probabilités collectées de 100 séries vont converger vers une moyenne. En fait, lorsque la variation, de centaine en centaine, autour de cette moyenne, se stabilisera, je saurai alors que cette moyenne est LA Probabilité des probabilités. Ce théorème, que la moyenne d’un ensemble d’observations est la valeur espérée future pour d’autres observations est le fondement de la statistique moderne et je peux dire sans trop d’exagération que sans ce théorème, on en serait toujours à la science façon Saint Thomas d’Aquin, donc on serait déterministe.

Thomas Bayes a adopté une autre approche. Il avait ce pressentiment général que dans les décisions de la vie réelle, le plus souvent, on n’a pas 10 000 essais pour établir une moyenne avec confidence : on opère dans un univers très limité en termes du nombre d’essais. De plus, les évènements de la vie réelle sont complexes : ce sont plutôt des séquences hétérogènes d’évènements dont certains peuvent être qualifiés comme satisfaisants dans leurs résultats, pendant que les autres se placent en dehors de notre intervalle de tolérance. Son idée, à Thomas Bayes, était de formuler des scénarios alternatifs à propos de l’avenir, et essayer voir quelles conditions doivent être remplies pour que chacun de ces scenarios ait lieu. L’assomption théorique qu’il eût fait était l’idée d’un intervalle de probabilités : « Il y a une probabilité de 40% que mon avenir soit entre le scénario A et le scénario B ».

Lorsque je construis un business plan, comme pour cette idée de systèmes énergétiques locaux, c’est définitivement la logique Bayésienne qui prend le devant. Je fais face à un avenir incertain. J’ai de la science à utiliser, donc j’ai tout un tas de probabilités « dures », style de Moivre – Laplace, mais ces probabilités ne vont pas remplacer mon plan : elles peuvent me servir à le rendre plus solide, mais c’est moi qui dois tracer des scénarios alternatifs pour l’avenir et qui doit pondérer judicieusement entre l’ambition et le bon sens. Je réassume donc mes quatre conditions : Q(E) = D(E) = S(RE) ; P(E) ≤ PP(E) ; ROA ≥ ROA*, W/M(T1) > W/M(T0).

Maintenant, laissons parler Thomas Bayes. Si je veux p succès sur n essais, et donc je peux tolérer q = n – p échecs, et si je sais que la probabilité d’un seul succès est égale à « a » et donc que la probabilité d’un échec est de « b », Thomas Bayes me dit que la probabilité complexe de p succès et q échecs est égale à E*ap*bq, où E est le facteur de l’expression ap*bq obtenu après l’expansion de (a + b)p+q. C’est la proposition 7 de son essai. Alors, pour comprendre bien comment ça marche, il faut oublier la plupart de ce qu’on a appris à l’école. Bon, OK, oublier juste pour un instant. Faire abstraction de, plutôt. Si la probabilité de succès est de a et la probabilité d’échec est de b, et s’il n y a pas d’évènements non-qualifiables, comme devenir le premier ministre au lieu de devenir président, mon a + b doit faire 1 au total. Si j’élève 1 à quelle puissance que ce soit, ça fera toujours 1. Donc, l’expression (a + b)p+q = 1,00 ce qui n’est pas tout à fait la direction que je veux prendre. Il faut donc bien comprendre que le succès est quelque chose de complètement différent d’un échec et que « a » correspond à un état de choses radicalement opposé à celui symbolisé par « b ». Par conséquent, et c’est là que nous devons être vraiment souples, pendant qu’il est vrai qu’en général a = 1 – b, il vaut mieux oublier que « a + b = 1 ».

Ce (a + b)p+q c’est un binôme de Newton et on l’expand comme tel. Par conséquent, le facteur E de l’expression E*ap*bq est égal à « pq/q! » , où « q! » est la factorielle de q, donc 1*2*…*q.  Si je veux quatre succès et je peux tolérer six échecs sur un total de 10 essais, le terme E sera égal à E = 46/6! = 5,688888889 et cela me dit que j’ai entre 5 et 6 façons différentes de combiner 4 succès et 6 échecs sur un total de 10 essais, quoi que c’est plutôt 6 que 5.

Mon objectif quantifiable est Q(E) = D(E) = S(RE) ; P(E) ≤ PP(E) ; ROA ≥ ROA*, W/M(T1) > W/M(T0). Maintenant, si je veux utiliser quelle forme de probabilité que ce soit – Laplacienne ou Bayésienne – il faut que je précise combien de ces succès je veux avoir. La réponse que je vais donner à cette question va déterminer le genre de probabilisme que je vais entrer. Si je réponds « Je veux juste un succès. Je veux que ça marche dans un cas, le mien », j’ai un succès et zéro échecs. Essayons voir. J’ai une probabilité Bayésienne de E*11*00 d’avoir un succès certain et certainement pas d’échec. Mon E fait 10/0! = 1/1 = 1, et donc ma probabilité Bayésienne est égale à 1. J’ai 100% de succès. Idiot ? Peut-être, mais c’est justement là que nous voyons l’originalité de Bayes. Tu veux établir tes chances de succès de façon réaliste, mec ? Alors, imagine un univers, un ensemble d’évènements, donc soit une séquence, soit une concurrence spatiale et ça, c’est du rationnellement quantifiable. Je peux, par exemple, imaginer une projection dans le temps : « Durant les 10 années à venir je veux 4 années avec toutes les quatre conditions remplies ».

Si je veux donc prendre le chemin Bayésien dans ma recherche, il faut que j’imagine des alternatives réalistes en ce qui concerne mes conditions. Ensuite, je pourrais me servir d’une étude de marché pour calculer les probabilités simples de base, les Laplaciennes : la probabilité que Q(E) = D(E) = S(RE) et ainsi de suite. Alors, je pourrais évaluer les probabilités complexes, Bayésiennes que tout aille comme je le veux (quatre conditions remplies à la fois) et dire si mes espérances sont ne serait-ce qu’un peu réalistes. Si oui, je bâtis mon business plan avec l’objectif quantifiable comme précisé là-dessus. Sinon, je teste la probabilité complexe d’autres scénarios possibles jusqu’à que j’arrive à quelque chose de rationnellement prévisible.

[1] Mr. Bayes, and Mr Price. “An essay towards solving a problem in the doctrine of chances. by the late rev. mr. bayes, frs communicated by mr. price, in a letter to john canton, amfrs.” Philosophical Transactions (1683-1775) (1763): 370-418