J’avance dans la rédaction de mon business plan pour le projet EneFin. Dans les deux mises à jour précédentes – « Fini de tourner autour du pot » ainsi que « The essential business concept seems to hold » – j’ai pas mal avancé dans la description du contexte économique du projet, en ce qui concerne le marché d’énergies renouvelables et le marché financier. J’ai aussi tracé les contours du modèle d’entreprise pour EneFin. Il semble que dans la forme plus ou moins mature, après 4 ans d’exploitation, EneFin a des chances d’atteindre quelques 11 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec plus de 5 millions d’euros de bénéfice d’exploitation. Quand j’y pense, ce modèle aura besoin d’un coup de calcul, çà et là : une marge d’exploitation de 50% n’est définitivement pas réaliste.
Maintenant, je pense à deux volets importants du business plan : le bilan et le marketing. En d’autres mots : combien de capital le projet aura-t-il besoin pour démarrer ? quel capital va-t-il accumuler ? comment les relations-client seront-elles créées et maintenues ?
Je commence par le bilan. Je commence par réfléchir sur les actifs dont EneFin aura besoin. Certainement, il y aura la technologie. Pour le moment, je prépare ce business plan comme si la plateforme transactionnelle EneFin était basée sur la technologie du contrat intelligent Ethereum et donc sur le langage de programmation « Pragma Solidity » qui est essentiellement open source. Je pense néanmoins qu’EneFin aura besoin de sa technologie propriétaire, ne serait-ce que pour garantir la sécurité des transactions, et la valeur comptable de cette technologie sera certainement une composante substantielle des actifs.
Ensuite, il y a les créances-client. Sur la base de toutes les études des cas des sociétés FinTech, ainsi que des business de service en général, je sais que cette composante du bilan est vraiment importante. Surtout au début, lorsque l’entreprise est en phase de lancement, l’argument qui prévaut dans les négociations avec les premiers clients c’est le crédit marchand. Intuitivement, je devine qu’EneFin aura besoin de cet argument et pour bien évaluer son poids financier, il faut que je définisse les paiements d’exploitation de la part des clients.
Le modèle d’entreprise que j’ai esquissé dans « The essential business concept seems to hold » assume deux sortes de revenus d’exploitation : commission sur transactions et abonnement fixe. J’assume que le volet d’activité basé sur la commission marchera comme c’est le cas typique, donc ladite commission sera surchargée ou bien prélevée sur le montant payé dans la transaction et au moment du paiement. Là, je ne vois pas trop de crédit marchand et donc pas de créance. En ce qui concerne l’abonnement fixe, je suis honnêtement à court d’idées. Je ne sais pas comment ça marche côté créances-client.
Je vois donc qu’il me faudra modeler un schéma par observation. A propos, il y a une société FinTech qui frappe par son absence dans le travail de recherche que j’ai effectué jusqu’à présent : PayPal. Je fais donc un saut rapide chez leur service d’information pour les investisseurs et je déniche les rapports annuels, de parmi lesquels je télécharge le plus récent. Dans leur bilan, créances-clients se soldent à 283 millions des dollars à la fin de 2017, et 214 millions à la fin 2016. Ceci fait, respectivement, $283 millions / $13 094 millions = 2,2% en 2017 – soit 7,8 jours de crédit marchand – et $214 millions / $10 842 millions = 2% = 7 jours de crédit marchand en 2016. Pas de quoi pomper le bilan, en fait. Oui, ils avaient fait plus de 13 milliards des dollars de chiffre d’affaires en 2017. Joli.
Il semble donc qu’en termes de créances-clients, ce business de PayPal n’est pas vraiment surchargé financièrement. Quel est donc la catégorie d’actifs la plus substantielle dans leur bilan ? ‘Tendez, voilà, ça vient… La catégorie qu’ils dénomment « Funds receivable and Customer Accounts » en anglais, ce qui se traduit comme « Fonds de créances et comptes-client ». Similarité curieuse à la catégorie « Accounts receivable » que je viens d’analyser et qui veut dire, précisément, créances-clients. Que représentent donc ces fonds de créances, qui font 18,24 milliards des dollars en 2017 et 14,36 milliards en 2016 ? Je cherche et je trouve. Note explicative no. 5, attachée au bilan, précise que les fonds de créances et comptes-client contiennent : des titres obligataires du gouvernement (un peu plus d’1/3ème du total de cette catégorie), des soldes monétaires (un peu moins d’1/3ème du total), ensuite la catégorie dénommée « fonds de créances » (encore une fois, un peu moins d’1/3ème du total) et enfin les titres obligataires des sociétés privées ainsi que des comptes à terme, les deux faisant à peu près 1/6ème du total.
Bon. Non, pas tout à fait. La catégorie « fonds de créances et comptes-client » contient une sous-catégorie « fonds de créances » qui consiste en… Précisément, la note explicative no. 5 ne dit rien à ce sujet. Quel bonheur que je sois chercheur. Je sais comment déguiser une défaite intellectuelle en triomphe, ou presque. Lorsque je suis vaincu sur le détail, je me replie sur les généralités. Dans le bilan de PayPal, la généralité la plus prononcée c’est la domination d’actifs financiers, tellement marquée que la distinction-même entre les actifs fixes et les actifs circulants devient largement conventionnelle. Les actifs fixes du type technologique, sous la catégorie « Propriété et équipement » fait 3,7% du total d’actifs et 11,7% du chiffre d’affaires. Oui, je sais, ces petits pourcentages innocents se traduisent, en chiffres absolus, comme plus de 1,5 milliards des dollars.
Cette étude de cas de PayPal m’a rendu conscient, par ailleurs, d’un fait important à propos du bilan de mon projet EneFin. Une plateforme transactionnelle, ça doit maintenir des comptes-client et leur maintenance, au sens financier du terme, requiert la possession d’actifs financiers pour balancer la valeur des transactions faites par les clients sur leurs comptes. Dans le cas de PayPal, un chiffre d’affaires de 13 094 milliards des dollars en 2017 requérait un montant de presque 7 milliards, soit 49,6% dudit chiffre d’affaires, au titre des comptes-clients.
De tout en tout, chez PayPal, ils semblent avoir besoin de $3,11 de capital bilan pour chaque $1 de chiffre d’affaires. Plutôt touffu comme business et en plus, PayPal c’est l’un des pépères-fondateurs du FinTech en général, la chancelière Merkel du secteur, quoi. Je me tourne à nouveau vers Square Inc, bien respectable aussi en termes de chiffre d’affaires mais comme moins vénérable que PayPal. Leur bilan à eux, 2,2 milliards des dollars d’actifs vers la fin 2017 coexistaient avec 2,2 milliards de chiffre d’affaires, donc le coefficient « actifs / chiffre d’affaires » faisait presque exactement 1,00. Les actifs financiers dominent dans ce bilan aussi et la catégorie la plus substantielle est faite des règlements courants (« settlements receivable » en anglais), 620 millions des dollars à la fin 2017. Les actifs typiquement technologiques, donc propriété et équipement, ça fait $91,5 millions, soit 4,2% d’actifs et 4,1% du chiffre d’affaires.
Je change de continent, je retourne en Europe et je me concentre sur le cas de la société allemande Fintech Group AG. Le dernier rapport annuel que j’ai correspond à l’année comptable 2016, donc une année plus tôt que ce que je viens de passer en revue pour PayPal et Square Inc. Ce bilan se solde par 1,53 milliards d’euros d’actifs pour un chiffre d’affaires de 95 millions, ce qui fait plus de €16 de capital pour chaque euro de ventes. J’avais dit que PayPal était touffu financièrement ? Eh ben, Fintech Group c’est carrément un coussin financier. Vu le chiffre d’affaires qu’ils font, ils nagent dans du capital bilan, carrément. Les actifs financiers font l’essentiel de ce bain capitaliste, avec la catégorie « Propriété et équipement » montant à 5,6 millions d’euros. Ça fait 0,4% d’actifs et 5,9% du chiffre d’affaires.
Mon quatrième modèle est la société canadienne Katipult. Ils ont publié leur rapport annuel pour 2017. Là, je vois un schéma financier différent en termes de la proportion entre le bilan et le compte d’exploitation : 430 241 dollars canadiens d’actifs contre 1 136 467 dollars canadiens de chiffre d’affaires. Ça fait à peine $0,38 d’actifs pour chaque $1 de ventes, donc une proportion inverse à celle observée dans les trois cas précédents. Dans ce bilan-ci, la catégorie « Propriété et équipement » se solde à $3 580 ( ?? – c’est à peine la valeur d’un ordinateur bien solide), donc 0,8% d’actifs et 0,3% du chiffre d’affaires.
Ce survol rapide des bilans dans l’industrie FinTech m’a fait me rendre compte que côté bilan, le FinTech c’est bien plus du financier que de la haute technologie. J’ai bien fait de passer ces cas en revue. Initialement, j’étais persuadé que le capital d’une société FinTech est pompé, dans une large mesure, dans la technologie et apparemment, je me gourais complètement. Le bilan, dans le FinTech, ça semble se construire surtout et avant tout autour du capital liquide qui sert à balancer les comptes transactionnels courants. Je peux assumer que cette allocation particulière de capital fait autour de 50% du chiffre d’affaires. Un dixième de ceci, soit 5% du chiffre d’affaires, est alloué à la technologie propriétaire de l’entreprise. Ces 55% du chiffre d’affaires sont le squelette du bilan. Comme nous le savons tous (j’espère), les squelettes, ça n’a pas vraiment de perspectives terribles de développement autonome. Faut du muscle à mettre par-dessus et ici, le muscle, il est fait de tous ces actifs financiers périphériques bien respectables du type créancier, surtout des obligations, qui n’ont pas vraiment l’air très affiliés à l’exploitation elle-même. Je pense qu’ils servent comme protège-cul, pardon, comme stratégie de réduction de risque.
Ce muscle financier peut aller de 45% du chiffre d’affaires jusqu’à plusieurs fois son multiple. Une société FinTech que je peux modeler à partir de ces quatre études des cas c’est donc, en fait, un hybride de deux organisations différentes, un opérateur des transactions digitales couplé avec un fonds d’investissement du type private equity fortement concentré sur les investissements à bas risque et à une valeur nominale solide. Je crois que je comprends la logique de ce schéma. Un opérateur des transactions digitales strictement dit – et donc le capital engagé dans le financement des comptes client – est un business à haut risque opérationnel : les risques typiquement technologiques se combinent avec l’exposition au hacking. La présence de la partie « fonds d’investissement » sert à contrebalancer ce haut risque opérationnel par un risque financier bas.
Ça prend forme. Le bilan du projet EneFin, je veux dire. Avec ces coefficients calculés sur la base d’études des cas, je peux faire une estimation des actifs sur la base du chiffre d’affaires prospectif, celui que j’avais déjà présenté dans dans « The essential business concept seems to hold ». J’assume que, comme dans le cas de Square Inc, dans EneFin les actifs seront à égalité avec le chiffre d’affaires.
Les composants principaux d’actifs d’EneFin | |||
Année | Actifs « technologiques » : propriété et équipement | Actifs financiers : comptes-clients comme fonds do créances | Actifs financiers pour compenser le risque |
1 | € 128 366,66 | € 1 283 666,59 | € 1 155 299,93 |
2 | € 357 362,34 | € 3 573 623,38 | € 3 216 261,04 |
2 | € 454 758,26 | € 4 547 582,57 | € 4 092 824,31 |
4 | € 552 154,18 | € 5 521 541,76 | € 4 969 387,58 |
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