Alors, je change un peu d’azimut. Dans « All hope is not lost: the countryside is still exposed » j’ai présenté une revue de littérature à propos des risques liées aux inondations et aux sécheresses en Europe. Il paraît que ces risques sont très différents de ce que je pensais qu’ils étaient. Comme quoi, il est bon de ne pas céder à l’hystérie collective et d’étudier patiemment la science que nous avons à notre disposition. Je reviens donc un peu sur les propos que j’ai exprimés dans « Le cycle d’adaptation ». J’avais écrit que les infrastructures urbaines en Europe sont parfaitement adaptées aux conditions climatiques qui n’existent plus : maintenant je reviens et je nuance sur ce propos. Oui, les villes européennes ont besoin d’adaptation aux changements climatiques, mais elles sont en train de s’adapter déjà. En revanche, la partie majeure des pertes humaines et matérielles suite d’inondations et de sécheresses survient en dehors des grandes villes, dans les endroits ruraux. La sécheresse, ça frappe les agriculteurs bien avant que ça frappe les citadins. Lorsque les habitants des villes voient l’eau manquer dans leurs robinets, les agriculteurs en sont déjà à faire la solde des pertes dues aux récoltes plus modestes que d’habitude.
Le Navigateur des Projets, accessible à travers la page de « International Renewable Energy Agency », m’a fait réfléchir sur les objectifs communs autour desquels les communautés locales d’Europe peuvent s’organiser pour développer des projets comme mon concept d’Étangs Énergétiques. Maintenant, après une revue de littérature, je pense qu’un objectif rationnel est de construire des infrastructures aquatiques, pour stocker l’eau de pluie ainsi que produire et stocker l’hydroélectricité, dans des régions rurales, pour protéger l’agriculture et indirectement protéger les ressources hydrologiques des villes.
Vous pouvez lire dans « All hope is not lost: the countryside is still exposed » que la littérature scientifique n’est pas tout à fait d’accord sur les risques liés à la sécheresse en Europe. Néanmoins, la science à ses limites méthodologiques : elle peut dire quelque chose à coup sûr seulement si les données empiriques sont suffisamment abondantes et claires pour vérifier les hypothèses statistiquement comme il faut. Les données empiriques que nous avons à propos des sécheresses en Europe et de leurs effets économiques souffrent de l’effet pervers de notre capacité d’adaptation. J’explique. Pour une preuve statistique vraiment rigoureuse, il faut que les distributions d’erreurs locales des différentes variables soient mutuellement indépendantes (donc pas de corrélation significative entre les erreurs d’estimation de variable A et celles de variable B) et aléatoires, donc dispersées au moins aussi largement que le suggère la distribution normale. L’erreur d’estimation de l’humidité résiduelle du sol, par exemple, doit être aléatoire et indépendante de l’erreur d’estimation de la récolte de blé. Eh bien, à en croire Webber et al. (2018[1]), il n’en est pas le cas : les bases de données qui croisent du météo et hydrologie avec de l’agriculture rendent des corrélations significatives entre les erreurs d’estimation après régression linéaire d’une variable sur les autres. Pourquoi ? Mon explication intuitive à moi est que nous, les humains, on réagit vite lorsque notre base de bouffe est menacée. Nous réagissons tellement vite, à travers les modifications des technologies agriculturales, que nous induisons de la corrélation entre le climat et la récolte.
Lorsque la rigueur scientifique nous fait défaut, c’est une bonne idée de tourner vers l’observation plus élémentaire et plus anecdotique. Je passe en revue les actualités du marché agricole. Chez moi, en Pologne, la récolte des fruits menace d’être plus basse de 30% par rapport aux pronostics faits au mois de Mai[2]. La récolte céréalière peut baisser entre 8% et même 40% par rapport à celle de l’année dernière, suivant la région exacte du pays[3]. En France, selon Europe 1, l’alerte sécheresse dans l’agriculture est devenue quelque chose de normal[4]. Je passe aux prix des contrats à terme sur les biens agricoles de base. Le blé, contrats MATIF, donc le marché européen, ça s’agite cette année. La tendance des dernières semaines est à la hausse des prix, comme si les traders prévoyaient un déficit d’offre en Europe. Les contrats MATIF sur le maïs montrent à peu de choses près la même tendance. En revanche, les contrats CBOT sur blé, émis par CME Group et basés sur le marché américain, montrent une tendance plus décidément ascendante dans le long terme quoi que descendante dans l’immédiat. Ah, je viens de regarder les prix CBOT dernière minute sur https://www.barchart.com/futures/quotes/ZW*0/futures-prices: ça grimpe aujourd’hui dans la matinée. Voilà donc que je cerne le risque qui correspond à la sécheresse en Europe : c’est le risque de volatilité croissante des prix agricoles. Si je veux approcher ce risque de façon analytique, je peux essayer d’estimer, par exemple, la valeur du marché d’un instrument financier hypothétique – comme un contrat à terme ou une option – qui paie lorsque les prix restent dans l’intervalle désiré et apporte des pertes lorsque les prix vont hors de cet intervalle.
Je généralise l’approche financière à mon concept d’Étangs Énergétiques. Je pense que l’investissement qui a des chances de gagner le support d’acteurs sociaux est celui dont la Valeur Actuelle Nette – pour un cycle de vie utile de l’infrastructure de « m » années – est égale à NPV(m) = vente d’hydroélectricité (m) + réduction du risque lié aux inondations (m) + réduction du risque lié aux sècheresses (m). En ce qui concerne les revenus de la vente d’électricité – disons que j’appelle ces revenus VE(m) – le calcul est comme suit : VE(m) = puissance en kilowatts * 365 jours * 24 heures * prix de marché d’électricité = {flux par seconde en litres (ou en kilogrammes d’eau, revient au même) * constante gravitationnelle a = 9,81 * dénivellation en mètres / 1000} * 365 jours * 24 heures * prix de marché d’électricité (consultez « Sponge Cities »). Chez moi, en Pologne – avec 1 kilowatt heure achetée à un prix total d’à peu près $0,21 – 1 kilowatt de puissance génératrice représente un revenu de : 8760 heures dans l’année multipliées par $0,21 par kilowatt heure égale $1 839,60 par an.
Pour autant que j’ai pu me renseigner dans une publication par IRENA, l’investissement nécessaire en hydro-génération est d’à peu près $1500 ÷ $3000 par 1 kilowatt de puissance, à l’échelle mondiale. Cette moyenne globale représente un éventail assez étendu d’investissement par kilowatt, en fonction de la région géographique, de la puissance totale installée dans l’installation donnée, ainsi que de la dénivellation du cours d’eau correspondant. Pour des raisons que je n’ai pas encore étudié en détail, l’investissement requis par 1 kilowatt de puissance dans les installations classées comme petites varie le plus en Europe, en comparaison aux autres régions du monde. En partant de ce seuil général d’à peu près $1500 l’investissement requis par 1 kilowatt peut aller même jusqu’à $8000. Allez savoir pourquoi. Ce plafond maximum est deux fois plus élevé que ce qui est reporté dans quelle autre région du monde que ce soit.
La dénivellation naturelle du cours d’eau où la turbine hydroélectrique est installée joue son rôle. Dans des endroits vraiment plats, où la seule façon d’avoir un peu de force dans ce flux d’eau est de pomper l’eau dans des réservoirs élevés, l’investissement pour les petites turbines de moins de 50 kilowatts est d’environ $5400 par kilowatt, comme moyenne mondiale. Ça tombe vite à mesure que la dénivellation va de quasi-zéro vers et au-dessus de 25 mètres et ensuite ça tombe de plus en plus gentiment.
À part le retour requis sur l’investissement, le coût complet d’une kilowatt heure contient celui de maintenance et de gestion opérationnelle. Selon le même rapport d’IRENA, ce coût peut atteindre, dans des conditions plutôt pessimistes, comme $300 par an par 1 kilowatt de puissance installée. Après la déduction de ce coût le flux annuel de revenu des ventes d’électricité tourne en un flux de marge opérationnelle égal à $1 839,60 – $300 = $1 539,60 par an. Quelques pages plus loin, toujours dans la même publication d’IRENA je trouve que le coût actualisé d’énergie, « LCOE » pour les amis, peut se ranger en Europe entre $0,05 et $0,17. Le coût de maintenance et de gestion opérationnelle, qui fait partie de LCOE, est de $300 par an par 1 kilowatt de puissance installée, divisé par 8760 dans l’année, donc $0,03 par kilowatt heure. Par conséquent, la partie « retour sur investissement » du LCOE peut varier entre $0,05 – $0,03 = $0,02 et $0,17 – $0,03 = $0,14 par kilowatt heure. Ce retour sur investissement, je le multiplie par 8760 heures dans l’année, pour obtenir le retour requis par an sur l’investissement en 1 kilowatt de puissance. Ça donne un intervalle entre $175,20 et $1 226,40 par an. Ceci me donne deux informations importantes. Premièrement, la marge opérationnelle de $1 539,60 par anest suffisante pour satisfaire même les projections financières des plus exigeantes.
Deuxièmement, longue histoire courte, comme disent les Anglo-Saxons, je prends l’investissement le plus coûteux possible, donc sur mon continent à moi (l’Europe), donc $8000, et je divise par cette fourchette des retours annuels. Ça tombe entre $8000/$1226,40 et $8000/$175,20, soit entre 6,5 et 46 années. Bon, disons que les 46 années c’est de l’abstrait. En fait, tout ce qui va plus loin que 20 ans, dans les investissements en la génération d’énergie, c’est tout simplement l’absence d’égard au retour sur l’investissement strictement dit. Ce qui m’intéresse c’est la dent inférieure de la fourchette, donc les 6,52 années. Je prends cet intervalle de temps comme benchmark du retour espéré par les investisseurs les plus exigeants. Par ailleurs, là, il est bon de rappeler quelque chose comme un paradoxe : plus vite vont se développer les technologies des turbines hydroélectriques, plus court sera le temps de vie morale de toute technologie spécifique, donc plus court sera le temps alloué au retour sur l’investissement.
Une conclusion partielle que je peux tirer de ces calculs, à propos de mon projet « Étangs Énergétiques » est que les ventes d’électricité produite dans les turbines hydroélectriques faisant partie de l’infrastructure prévue peuvent constituer une motivation claire pour des investisseurs potentiels, à condition toutefois de maintenir la taille de l’investissement local dans les dizaines des milliers des dollars plutôt que dans les milliards que dépense le gouvernement Chinois sur le projet des « Sponge Cities ».
Je
continue à vous fournir de la bonne science, presque neuve, juste un peu
cabossée dans le processus de conception. Je vous rappelle que vous pouvez
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[1] Webber, H., Ewert, F., Olesen, J. E., Müller, C., Fronzek, S., Ruane, A. C., … & Ferrise, R. (2018). Diverging importance of drought stress for maize and winter wheat in Europe. Nature communications, 9(1), 4249.
[2] http://www.portalspozywczy.pl/owoce-warzywa/wiadomosci/zbiory-owocow-w-2019-roku-beda-nawet-o-30-procent-nizsze-niz-zwykle-wideo,173565.html dernier accès 16 Juillet 2019
[3] http://www.portalspozywczy.pl/zboza/wiadomosci/swietokrzyskie-w-zwiazku-z-susza-zbiory-zboz-moga-byc-nizsze-nawet-o-40-proc,160018.html dernier accès 16 Juillet 2019
[4] https://www.europe1.fr/societe/secheresse-pour-les-agriculteurs-les-restrictions-deau-sont-devenues-la-routine-3908427 dernier accès 16 Juillet 2019