Disparition des raisons pour migrer

 

Je me suis mis à rédiger un article sur mon projet EneFin. Je me sens un peu bloqué niveau business plan, là-dessus, et je ne comprends pas exactement les raisons de ce blocage. Je me suis dit qu’une approche scientifique, qui me donne la possibilité de vraiment couper le cheveu en quatre, peut éclaircir mes idées un peu. Dans cette approche intello, le truc de base c’est la disparité observable des prix d’énergie. Pour que le concept EneFin aie quelle assise que ce soit dans la réalité économique, il faut au moins deux prix différents d’énergie, comme PA(t) et PB(t), pratiqués niveau détail, donc dans les ventes aux utilisateurs finaux de ladite énergie. Le (t) c’est un moment donné dans le temps. Eh ben oui, qu’est-ce que vous voulez ? Si j’ai de l’énergie et de l’espace, il me faut aussi du temps, autrement c’est pas très physique tout ça et si ce n’est pas physique, c’est forcément métaphysique et là, c’est une terra incognita où je ne dirige mes pas qu’après une consommation substantielle des substances intéressantes pour des raisons extra-économiques.

Alors, j’ai cette situation PA(t) > PB(t) et ça implique l’existence de deux groupes d’utilisateurs finaux d’énergie. Le sous-ensemble A(UF) paie le prix PA(t), pendant que les chanceux du sous-ensemble B(UF) paient juste le PB(t) pour leur kilowatt heure moyenne. Les questions théoriques que j’ai ouvertes sur ce sujet commencent par demander sous quelles conditions une telle disparité des prix peut pousser les A(UF)s à migrer vers B(UF) et combien sont-ils enclins à payer pour une telle migration.

Ensuite, j’assume qu’une telle migration serait attachée à une utilité économique en forme d’économies sur la facture d’énergie. Pour une consommation moyenne de Qi(t) des kilowatt heures par an par i-tième consommateur, les économies en question peuvent être calculées comme Si(t) = Qi(t)*[PA(t)PB(t)]. Une fois que notre i-tième consommateur les a faites, ces économies, il peut les convertir en d’autres types d’utilité économique. Parmi ces autres types il y en a un qui m’intéresse particulièrement : l’acquisition des titres de participation dans le capital social du fournisseur d’énergie. Voilà la première des deux chambres du cœur pratique de mon concept EneFin : le développement des structures quasi-coopératives à l’échelle locale, où les consommateurs d’énergie sont aussi des actionnaires de leur fournisseur.

Je vois donc un processus de migration de « p » consommateurs d’A(UF) vers B(UF) ; cette migration engendre un flux de trésorerie FT = p*Si(t) et ledit flux est ensuite alloué entre des utilités économiques différentes, dont l’investissement IFE(FT) dans le capital social des fournisseurs d’énergie. Ce qui m’intéresse côté théorie, à ce point-ci, est le mécanisme de sélection. Dans l’approche théorique la plus simple(iste ?), je peux représenter ça comme une maximisation analytique : il faut que je convertisse le mécanisme de sélection en une fonction polynomiale quadratique ou plus et que je cherche pour un maximum à travers l’analyse de ses dérivées du premier et second degré.

Si je veux être un peu plus sophistiqué, j’imagine un des états alternatifs des choses et j’essaie d’évaluer la probabilité que les consommateurs d’énergie gravitent vers chacune de ces réalités alternatives. Encore un pas de plus et je verse dans l’analyse béhavioriste, donc je représente cette transition d’A(UF) vers B(UF), suivie par l’investissement IFE(FT) dans le capital social des fournisseurs comme une séquence ordonnée des schémas de comportement. Ceci ouvre sur deux perspectives : la théorie des jeux d’une part et l’intelligence artificielle d’autre part. Dans la théorie des jeux, je me concentre sur les choix individuels des consommateurs et des fournisseurs et je modèle ces choix comme une adaptation complexe basée sur des règles du jeu social.

En ce qui concerne la théorie des jeux, je sens qu’une explication préalable ferait du bien, surtout à ceux de mes lecteurs qui se sentent comme moyennement initiés à la science. La théorie des jeux aime revêtir des habits ésotériques et prendre des allures comme celle présentée dans « The Ender’s Game », le roman célèbre de science-fiction par Philip Dick. En fait, la base théorique de la théorie des jeux est beaucoup plus simple. Nous agissons tous sous incertitude. Nous ne savons pas exactement ce que l’avenir nous apportera, surtout lorsqu’il s’agit d’actions complexes. Néanmoins, l’une des découvertes que nous faisons tous à mesure d’acquérir l’expérience de la vie est qu’en dépit de cette incertitude fondamentale nous agissons tous selon des schémas répétitifs et que ces schémas sont largement fondés dans l’observation de ce que font les autres. Le développement des stratégies d’action sous incertitude, basées sur l’observation d’actions d’autrui c’est bien ce en quoi consiste un jeu.

Voilà, c’est à peu près tout en ce qui concerne le charme ésotérique de la théorie des jeux. Les jeux formalisés que nous jouons – serait-ce le poker, les échecs ou le tennis – sont des rituels qui nous servent à nous entrainer à faire des stratégies dans la vie de tous les jours. Chaque jeu ritualisé, reconnu par notre culture, est une variation sur ce thème fondamental.

En ce qui concerne l’interprétation théorique de mon concept EneFin, je vois deux jeux différents. Le premier, c’est le jeu type cartes, où la stratégie essentielle consiste à prévoir correctement une distribution des cartes – un état futur incertain des choses – tout en formant des alliances temporaires et fluides avec les autres joueurs. Le second, c’est un jeu comme les échecs ou les dames. Ici, la stratégie de base se concentre sur l’action de développer le contrôle sur un territoire, en compétition avec un autre joueur. Le territoire en question est aussi bien un territoire au sens strict du mot qu’une structure sociale : un chemin de carrière dans une multinationale, un marché, un morceau de pouvoir politique etc. Je développe donc deux schémas comportementaux essentiels : le placement des paris sur un avenir incertain (cartes) et la rivalité ritualisée (échecs, dames).

C’est en principe là que mon approche jeu-théorique diffère du courant principal de telles approches dans les sciences sociales. Ledit courant principal se concentre sur la formation des relations horizontales entre les joueurs, ce qui implique que la structure sociale est essentiellement un réseau, possiblement un réseau complexe fait des réseaux locaux plus simples. Moi, je suis (un peu) plus brutalement terre-à-terre dans ma perspective propre et j’assume que toute structure sociale est une combinaison des réseaux et des hiérarchies. Logiquement, les stratégies comportementales que je veux représenter avec l’instrumentaire de la théorie des jeux sont celles orientées sur la coopération horizontale dans les réseaux que celles qui visent la création (maintien ?) d’une position hiérarchique.

Le jeu type cartes, appliqué à mon concept EneFin, assume que les consommateurs d’énergie font leur décision complexe – transition d’A(UF) vers B(UF) suivie par la transformation du flux de trésorerie Si(t) en des utilités économiques alternatives, dont l’investissement dans le capital social des fournisseurs d’énergie – sur la base d’un pari sur l’avenir, donc, en des termes plus canoniquement économiques, sur la base de l’utilité future espérée. Chaque stratégie alternative est donc associée, à travers une rationalité qu’il me faut modeler, à un gain futur espéré. Dans ce jeu, les agents économiques peuvent former des alliances pour optimiser leur gain futur. Le trait distinctif de cette approche, par rapport à celle centrée sur la rivalité, est que les joueurs espèrent un gain purement quantitatif, comme profit spéculatif en Bourse, sans se soucier des leviers hiérarchiques qui peuvent faciliter l’acquisition dudit gain.

Lorsque je change d’optique pour le jeu type échecs ou dames, donc si je fais mes agents économiques soucieux de bien garder leur carcasse de mammouth fraîchement tué contre toute intrusion extérieure, leurs stratégies seront différentes. Ils vont raisonner en termes de gain complexes : l’action directe apport le contrôle d’actifs qui, à leur tour, peuvent apporter de profits dans l’avenir. La transition d’A(UF) vers B(UF) devient un choix de position sociale avantageuse préalable, le flux de trésorerie Si(t) est le gain intermédiaire – comme une bonne ligne d’attaque en échecs – qui donne la possibilité d’acquérir un gain plus durable sous la forme de contrôle d’actifs liés à la génération d’énergie.

Pourquoi ne suis-je pas politiquement correct et je n’assume pas que la transition vers les énergies renouvelables est nécessairement liée à une révolution morale style harmonie universelle ? Eh bien, la recherche que j’avais faite l’année dernière m’a laissé former trois assomptions bien fondées. Un, le contrôle des sources d’énergie reste une position sociale très convoitée et objectivement avantageuse. Deux, nous, les humains, comme structures sociales ancrées dans leurs territoires respectifs, nous avons tendance à maximiser notre absorption totale d’énergie plutôt qu’à la réduire. Trois, le contrôle d’un changement technologique important est lié au contrôle sur des flux de trésorerie substantiels qui, à leur tour, permettent de contrôler même plus de changement technologique dans les tours prochains du jeu.

En partant de la théorie des jeux, je peux faire encore un pas en avant et assumer que toutes ces stratégies individuelles, toutes ces combinaisons d’altruisme, vision, égoïsme et rivalité ritualisée se joignent pour former une technologie sociale complexe. Cette technologie est une machine capable d’apprentissage, donc une intelligence complexe. Faute d’une meilleure étiquette, je peux designer cette intelligence comme artificielle. Dans cette approche théorique, je fais en quelque sorte le tour de l’horizon : je reviens vers l’optimisation mathématique que je prends en compte dans l’approche économique classique, seulement cette fois j’assume que c’est la machine sociale intelligente qui accomplit cette optimisation façon « machine learning ».

L’apprentissage collectif, comme perspective théorique, peut encore muter en deux axes distincts. Premièrement, je peux assumer que l’apprentissage est strictement dit mécanique, donc que la machine sociale peut apprendre tout ce qu’elle veut, pourvu qu’elle ait suffisamment de données. Deuxièmement, je peux adopter une approche évolutive et assumer que l’apprentissage en question exige une séquence des générations, ou chaque génération successive est faite d’agents sélectionnés par une fonction de sélection de parmi le matériel génétique de la génération précédente. L’apprentissage de la machine sociale se fait donc essentiellement à travers cette fonction de sélection. Vous pouvez voir un exemple d’application évolutive dans l’économie des marchés d’énergie chez Wang et al. 2017[1], par exemple.

Une question bien légitime peut vous venir à l’esprit : n’est-ce pas un peu trop compliquer, de multiplier ces perspectives théoriques ? Eh bien, ma petite balade à travers la littérature du sujet suggère une complexité très poussée, comme le signalent Moallemi et Malekpour 2018[2] : toute analyse quantitative est très sensible au choix d’assomptions qualitatives. Comme je la continue, ma petite balade, je tombe sur un article par Lago et al. 2018[3] qui me fait prendre conscience à quel point le marché de détail en énergie est différent du marché de gros. Le premier est toujours rigide, divisé en des marchés qui ont l’air des domaines féodaux plus que de marchés au sens moderne du terme. Le second est un marché réel, très près de la compétition parfaite.

Comme je m’arrête pour étudier le travail de Muller et al. 2018[4] je me rends compte que je eux placer mon concept EneFin dans un contexte social plus large, non seulement comme une alternative pour les habitants des grandes villes, mais aussi comme une solution primaire pour les communautés rurales dans les pays en voie de développement. Ce schéma quasi-coopératif – où les membres de la communauté locale sont en même temps actionnaires et clients du fournisseur local d’énergie renouvelable et où ils disposent d’une plateforme FinTech qui donne de la liquidité financière à ce schéma – ça pourrait être pas con du tout comme solution pratique.

Dans ce cas précis de figure, la fourchette des prix d’énergie serait construite d’une façon légèrement différente. Le sous-ensemble A(UF) est composé des ménages dont l’accès à quelle forme d’énergie que ce soit est tellement difficile qu’il se résume en des pertes économiques. Le montant de ces pertes sert à calculer le prix relativement élevé PA(t). Le sous-ensemble B(UF) est construit comme référence hypothétique : qu’est-ce qui va se passer si on offre aux ménages d’A(UF) les fournitures régulières d’énergie selon le schéma quasi-coopératif d’EneFin. Les gains économiques que ces ménages connaissent après une telle connexion sert à calculer le prix plus avantageux PB(t).

Je perçois une autre extension possible du concept EneFin, partiellement liée à celle que je viens de signaler, et cette extension, je la formule sous l’inspiration de la recherche par Chen et al. 2017[5]. Le concept initial d’EneFin c’est de l’énergie pour les ménages, puisque ce sont les ménages qui paient, d’habitude, le prix le plus élevé pour leur kilowatt heure. Néanmoins, si je greffe ce concept sur l’organisme d’une communauté rurale dans un pays en voie de développement, je peux aussi bien tester la robustesse de ce schéma à mesure que j’ajoute des petites entreprises familiales dans le panier d’utilisateurs finaux d’énergie.

Le travail de Du et al.[6] ainsi que celui de Lecca et al. 2017[7] me  réconforte un peu dans mon approche des hiérarchies sociales : ces chercheurs-là placent un accent fort sur le facteur de cohésion sociale, dans la transition vers des nouvelles sources d’énergie.

Mon concept est centré sur les disparités des prix d’énergie est c’est donc autour de cet axe de recherche que j’ai flâné un peu, en termes de littérature. Au niveau strictement empirique, j’ai une fois de plus passé en revue les données publiées par International Renewable Energy Agency (IRENA 2018[8]). Ces données disent un truc d’importance primordiale pour ma recherche : la transition vers les énergies renouvelables est en train d’apporter une baisse solide et soutenue des coûts de production d’énergie. En d’autres termes, les disparités des prix d’énergie, ainsi que leur changement dans le temps, sont de plus en plus des différences de marge bénéficiaire sur le coût de production strictement dit. Logiquement, ces différences des prix sont corrélées de plus en plus avec les stratégies d’investissement ainsi qu’avec les coûts de transaction liés à des schémas institutionnels particuliers.

Les auteurs que j’avais déjà cité sur mon blog, Jean Tirole et Paul Joskow, ont été une fois de plus une source d’inspiration à cet égard. Dans leur article de 2007 (Joskow, Tirole 2007[9])

ils construisent un modèle des prix d’énergie qui me fait repenser à ce bon vieux principe d’Adam Smith : le prix d’un bien a une double nature. D’une part il faut le voir comme le résultat de marchandage et donc de fonctionnement d’un marché ; d’autre part, il reflète une utilité économique objectivement mesurable. Dans un article plus récent, Paul Joskow reprend cet idée à lui seul (Joskow 2011[10]) et souligne fortement que les politiques de minimalisation des prix d’énergie, par exemple à travers un système agressif d’enchères inversées, ne sont pas forcément la meilleure idée. L’énergie est précieuse, même si le coût nominal de sa génération baisse.

Ce petit tour à travers la littérature m’a fait formuler quelques idées générales de plus, à exploiter plus en détail plus tard. Les disparités des prix d’énergie, comme celle très schématique PA(t) > PB(t) dans mon modèle de base, peuvent avoir leurs racines dans des structures différentes de marché. Si PA(t) > PB(t), cela peut vouloir dire que dans le marché A la demande croît plus vite que dans le marché B, par rapport à la capacité installée de génération d’énergie. Dans ce cas la migration d’A(UF) vers B(UF) est une migration de la pénurie relative d’énergie vers un marché plus équilibré ou bien vers un marché en surplus d’offre. En termes d’économie classique, la migration d’A(UF) vers B(UF) devrait donc conduire, avec le temps, à un rééquilibrage d’offre et de la demande dans les deux marchés, donc à PA(t) = PB(t) et à la disparition des raisons pour migrer. En revanche, si PA(t) > PB(t) vient de la présence d’une structure quasi-monopolistique dans le marché A, la migration en question est celle entre des structures institutionnelles différentes. Par conséquent, la structure A peut disparaître complétement si la migration atteint un niveau critique.

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[1] Wang, G., Zhang, Q., Li, H., Li, Y., & Chen, S. (2017). The impact of social network on the adoption of real-time electricity pricing mechanism. Energy Procedia, 142, 3154-3159.

[2] Moallemi, E. A., & Malekpour, S. (2018). A participatory exploratory modelling approach for long-term planning in energy transitions. Energy research & social science, 35, 205-216.

[3] Lago, J., De Ridder, F., & De Schutter, B. (2018). Forecasting spot electricity prices: Deep learning approaches and empirical comparison of traditional algorithms. Applied Energy, 221, 386-405.

[4] Müller, M. F., Thompson, S. E., & Gadgil, A. J. (2018). Estimating the price (in) elasticity of off-grid electricity demand. Development Engineering, 3, 12-22.

[5] Chen, W., Wang, H., Huang, W., Li, N., & Shi, J. (2017). Shared social-economic pathways (SSPs) modeling: application of global multi-region energy system model. Energy Procedia, 142, 2467-2472.

[6] Du, F., Zhang, J., Li, H., Yan, J., Galloway, S., & Lo, K. L. (2016). Modelling the impact of social network on energy savings. Applied Energy, 178, 56-65.

[7] Lecca, P., McGregor, P. G., Swales, K. J., & Tamba, M. (2017). The importance of learning for achieving the UK’s targets for offshore wind. Ecological Economics, 135, 259-268.

[8] IRENA (2018), Renewable Power Generation Costs in 2017, International Renewable Energy Agency, Abu Dhabi, ISBN 978-92-9260-040-2

[9] Joskow, P., & Tirole, J. (2007). Reliability and competitive electricity markets. The Rand Journal of Economics, 38(1), 60-84.

[10] Joskow, P. L. (2011). Comparing the costs of intermittent and dispatchable electricity generating technologies. American Economic Review, 101(3), 238-41.

Deux cerveaux, légèrement différents l’un de l’autre

Mon business plan pour le projet EneFin prend forme. Dans cette mise à jour je vais essayer de reconstruire ce concept depuis le début, juste pour voir ce que ça donne et pour être capable d’utiliser ce business plan, ainsi que le processus de mon travail là-dessus comme outil éducatif. Je sais que ceux parmi mes lecteurs qui ont suivi plus ou moins systématiquement mon travail sur ce concept peuvent trouver cette mise à jour un peu rébarbative. Néanmoins c’est l’une de ces occasions ou quelque chose à l’intérieur de mon cerveau dit simplement « Fais le. Juste la ferme et écris ». Bon, donc je la ferme et j’écris.

Ça commence avec l’étude de marché. La base empirique du concept vient de l’observation des prix d’énergie, plus exactement des différences observables entre les prix d’électricité pour les petits utilisateurs type ménager, d’une part, et les grands consommateurs institutionnels d’énergie d’autre part.

Tableau 1 – Prix moyens d’électricité dans certains pays européens

Pays Prix moyen d’électricité pour les petits consommateurs ménagers, € par 1 kilowatt heure Prix moyen d’électricité pour les grands consommateurs institutionnels, € par 1 kilowatt heure
Autriche € 0,20 € 0,09
Suisse € 0,19 € 0,10
République Tchèque € 0,14 € 0,07
Allemagne € 0,35 € 0,15
Espagne € 0,23 € 0,11
Estonie € 0,12 € 0,09
Finlande € 0,16 € 0,07
France € 0,17 € 0,10
Royaume Uni € 0,18 € 0,13
Pays-Bas € 0,16 € 0,08
Norvège € 0,17 € 0,07
Pologne € 0,15 € 0,09
Portugal € 0,23 € 0,12

Pourquoi donc ces fourchettes des prix m’eurent inspiré à bâtir un concept d’entreprise ? Eh bien, parce que je suis un économiste et pour un économiste, des prix différents pour le même bien – une kilowatt heure d’énergie électrique en l’occurrence – veulent dire qu’il y a une plus-value financière à exploiter. Les distributeurs d’énergie l’exploitent de façon typique. Le choix compétitif qu’un ménage typique peut faire entre des fournisseurs différents d’électricité est toujours sévèrement limité. La pratique commune des distributeurs de garantir une fourniture stable d’énergie seulement à condition d’avoir signé un contrat long-terme, typiquement pour 24 mois, est l’un des facteurs majeurs qui réduisent la compétition. Eh ben oui, faut appeler les choses telles qu’elles sont : les grands distributeurs d’énergie en Europe exploitent les petits consommateurs d’énergie.

Alors mon idée consiste à exploiter cette situation en sens inverse. Du point de vue comportemental, la situation présente veut dire que les petits consommateurs d’énergie sont habitués à payer des prix relativement élevés pour alimenter leurs frigos et leurs plafonniers. Ces prix, ainsi que l’habitude de les payer sont en quelque sorte incrustés dans notre mode de vie. Le comportement humain est une forme d’énergie, aussi bien au sens littéral que métaphorique. Maintenant, cette énergie est utilisée pour maintenir une structure de marché que nous, les économistes, on appellerait « oligopole basé sur le monopole naturel ». Mon idée consiste à rediriger cette énergie vers la création d’une structure de marché plus compétitive et plus diversifiée, avec plus de petits fournisseurs locaux d’énergie et un choix compétitif réel pour les petits consommateurs.

Le concept financier est le suivant : puisque de toute façon nous, les petits consommateurs d’énergie, nous sommes habitués à payer un prix relativement élevé, continuons donc de le payer, seulement investissons la plus-value monopolistique contenue dans ce prix dans le développement des nouveaux fournisseurs d’énergie. Cette plus-value monopolistique varie de pays en pays, néanmoins il est possible de calculer une moyenne conservative de €0,09 par kWh.

Maintenant, je définis un marché européen comme l’ensemble fait de l’Union Européenne plus la Suisse et la Norvège. Je sais que l’Union Européenne est en train de se disloquer un peu, avec mon propre pays, la Pologne, courant joyeusement dans cette direction, néanmoins, faute de mieux, je considère l’UE comme un marché commun qui peut facilement coopérer avec la Suisse et la Norvège. Dans le cadre de ce marché européen, la consommation moyenne d’énergie par tête d’habitant, selon les données de la Banque Mondiale, en 2015, était de 3250,30 kilogrammes d’équivalent pétrole, qui est égal à 3250,30 * 11,63 =  37 801,04 kilowatt heures.

Dans cette consommation moyenne, celle qui est strictement ménagère semble se ranger aux environs de 17 ÷ 20%. Pour calculer ce pourcentage, j’ai utilisé plusieurs sources. Selon les agrégats accessibles sur le site de l’Agence Internationale d’Énergie , dans le monde entier, la consommation ménagère fait environ 26% de la consommation finale totale. L’Europe est fortement industrialisée et urbanisée, donc la part non-ménagère de la consommation finale d’énergie, faite précisément de l’industrie et du transport, est susceptible d’être légèrement plus élevée que la moyenne mondiale. Un rapport publié sur www.energymarketprice.com , dans leur série « Energy Statistics Report », suggère que la consommation ménagère d’énergie, en Europe, ne fait que 17,3% du total.

Je calcule donc : 17,3% * 37 801,04 kilowatt heures par tête d’habitant * €0,09 * 523 174 318 habitants ≈ 307,92 milliards d’euros de plus-value monopolistique agrégée et générée en 2015, dans le marché européen d’énergie fournie aux petits consommateurs ménagers. Graphe 1 ci-dessous présente le développement de cette plus-value dans le temps. Elle varie d’année en année, avec une moyenne de 316,54 milliards d’euros par an. Chose intéressante que vous pourrez, par ailleurs, observer par vous-mêmes avec les données qui vont suivre : cette plus-value monopolistique agrégée avait connu son apogée en 2005 – 2007 et depuis, elle suit une tendance décroissante inversement corrélée avec la croissance du marché d’énergies renouvelables en Europe. En d’autres mots, depuis 2007, chaque gigawatt heure d’énergie renouvelable fournie en Europe enlève, en moyenne € 23 924,08 de cette plus-value monopolistique. Le développement des renouvelables en Europe objectivement améliore la position des petits utilisateurs ménagers dans le marché d’énergie.

Graphe 1

Plus value monopolistique

Nous avons donc une tendance intéressante, là, et je décide de la suivre d’une façon créative. J’imagine un contrat complexe – que j’appelle « contrat EneFin » – dans lequel le fournisseur d’énergie vend au consommateur final un paquet des kilowatt heures d’énergie – à un prix normalement réservé aux grands consommateurs institutionnels – plus un paquet des titres de participation dans le capital social du fournisseur, pour un montant égal, en moyenne, à K = €0,09 * la quantité d’énergie en kWh.

Construisons un exemple. Je reviens à l’idée formulée dans deux mises à jour antérieures :  « Something to exploit subsequently » et « The stubbornly recurrent LCOE ». L’endroit : Lisbonne, Portugal. La technologie : une turbine éolienne à l’axe vertical conforme à la demande de brevet no. EP 3 214 303 A1 déposée à l’Office Européen des Brevets. C’est l’une de ces turbines éoliennes qui sont suffisamment petites pour être installées dans la proximité immédiate d’habitations humaines. Le business : un réseau de telles turbines installées dans les endroits relativement venteux de Lisbonne, surtout dans la partie Ouest, le quartier de Belém. Avec la vitesse moyenne de vent, à Lisbonne, égale à v = 4,47 mètres par seconde, chaque turbine, selon cette technologie particulière, peut générer dans les 47,81 kW de capacité électrique. Sur les 365*24 = 8760 heures dans l’année, ça donne 418 815,60 kWh d’énergie.

Un ménage moyen à Lisbonne, c’est apparemment 2,6 personnes et ces 2,6 personnes prises ensemble consomment dans les 11 151,20 kWh d’énergie ménagère par an. Oui, je sais, prendre deux personnes entières ensemble avec 0,6 d’une autre personne pourrait conduire, dans la vie réelle, aux conséquences néfastes, mais on parle statistique, pas vie réelle. Enfin, vie réelle aussi, mais sous un angle spécifique, qui permet à ces 0,6 d’une personne de mener une vie économique paisible.

Le prix d’énergie au Portugal c’est €0,23 selon le tarif ménager et €0,12 selon le tarif grands clients institutionnels. La fourchette de plus-value monopolistique est donc particulièrement juteuse dans ce marché particulier : €0,23 – €0,12 = €0,11 donc deux euro cents de plus que cette moyenne €0,09 que je viens de calculer plut haut. Notre ménage moyen paie donc, dans ces factures d’énergie, environ €1 226,63 de plus-value monopolistique. Le truc important ici est que notre ménage moyen est habitué à la payer, cette plus-value. Ces gens ont déjà incorporé ce montant dans leur budget ménager typique. Ce comportement habituel est une forme d’énergie en soi-même.

Maintenant, on redirige cette énergie vers ce réseau de petites turbines éoliennes à l’axe vertical. Avec les prix donnés plus haut, l’énergie générée par une turbine représente 418 815,60 kWh * €0,11 = €46 069,72 de plus-value monopolistique. Une turbine peut alimenter en énergie 37,56 ménages moyens à Lisbonne et ces 37,56 ménages peuvent investir, dans le capital social de la société qui installe et maintient ces turbines, la plus-value monopolistique qu’ils paient déjà, dans leur facture d’électricité.

Voilà donc que notre contrat complexe entre en jeu. Pour quelques instants, j’endosse le rôle de cet opérateur local de petites turbines éoliennes selon la demande de brevet no. EP 3 214 303 A1. Je fais du porte à porte (métaphoriquement parlant) et je propose le deal suivant à ces ménages Lisbonnins : « Vous achetez de moi des paquets standard d’énergie, disons 1000 kWh = 1 MWh par paquet. Les 11 premiers paquets, vous les payez au tarif standard, €0,23 par kilowatt heure, donc €230 par paquet de 1000 kWh = 1 MWh. Dans chaque paquet de 1 MWh, les €230 que vous payez partiellement retourne à vous en forme d’actions dans mon capital social et la valeur nominale de ces actions est égale à la plus-value monopolistique, donc 1000*(€0,23 – €0,12) = 1000*€0,11 = €110 que vous aurez payé dans le prix d’énergie chez un grand fournisseur. Dans ces 11 premiers paquets, vous entrez donc dans mon capital social pour l’équivalent nominal de 11*€110 = €1 210,00.

Les 11 paquets suivants, donc paquet 12 jusqu’au paquet 22, vous les payez à €0,19 la kilowatt heure, soit €190 par paquet, et cette fois, chaque paquet acquis, en plus de l’énergie fournie, vous apporte 1000*(€0,19 – €0,12) = 1000*€0,07 = €70 d’actions dans mon capital social. Cette seconde tranche des paquets d’énergie vous apportera donc une participation nominale de €770 dans mon capital social et vous aurez déjà fait une bonne affaire sur le prix total payé, par rapport à votre facture d’électricité que vous payez maintenant.

Si vous achetez encore plus, donc si vous allez dans une troisième tranche de 11 paquets d’énergie (paquets 23 à 33) le prix total payé pour 1 kilowatt heure descend à €0,15, soit €150 par paquet de 1 MWh et chaque paquet vous donne 1000*(€0,15 – €0,12) = 1000*€0,03 = €30 en actions dans mon capital social.

De tout en tout, après avoir acheté 33 paquets d’énergie de 1 MWh chacun, ce qui correspond à la quasi-totalité de votre consommation ménagère d’énergie sur 3 ans, vous aurez : a) fait des économies absolues sur frais d’électricité égales à 33000*€0,23 – 11000*€0,19 – 11000*€0,15 =  €3 850,00 b) acquis les actions de mon capital social pour la valeur nominale de 11000*(€0,23 – €0,12) + 11000*(€0,19 – €0,12) + 11000*(€0,15 – €0,12) =  €2 310,00. En plus, après avoir acheté ces 33 paquets d’énergie, chaque paquet supplémentaire, vous le payez au même prix qu’une grande usine l’aurait payé, donc au tarif de €0,12 par kilowatt heure réservé aux gros acheteurs ».

V’là la combine. Qu’en diriez vous ? Ah bon ? Acquérir ces actions, signer ces contrats, tout ce bazar vous fait un peu peur ? Calmos, Herr Doktor Wasniewski a la solution rêvée pour vous : faire tout ça en forme de fonctionnalité FinTech. Vous entrez une page Web, comme PayPal. Seulement celle-là, elle s’appelle EneFin. Click. Vous ouvrez un compte client. Click. Vous versez du liquide dedans. Vous cliquez sur le lien hypertexte « Contrats complexes offerts couramment » et vous pouvez choisir dans une liste des contrats du type juste décrit plus haut. Click. Vous achetez les contrats de votre choix. Vous n’avez pas de liquide pour verser sur le compte client ? Pas de problème : EneFin sera ravie de vous en prêter, de ses propres fonds ou bien comme agent d’une banque. Click.

Ici, Herr Doktor Wasniewski a encore un tout petit problème à résoudre. Pour que les clicks marchent, en général, il faut convertir les deux contrats simples du contrat complexe, donc le contrat d’achat d’énergie et celui d’achat d’actions dans le capital social, en une sorte de token digital. L’acquisition d’actions dans le capital social d’une société requiert tout un tas de formalités, peut-être même l’intermédiation d’une maison de courtage boursier. Chaque pays européen a ses régulations spécifiques à ce propos. Il faudra donc étudier ces dispositions légales et faire des contrats spécifiquement taillés à chaque pays.

Bon, disons que Herr Doktor Wasniewski a résolu ce tout petit problème et nous avons ce token digital, échangeable en ligne. Voilà le noyau dur du projet EneFin : créer une plateforme transactionnelle du type FinTech qui offre ces contrats complexe en une forme digitale. J’assume que toute la combine décrite plus haut s’applique au marché d’énergies renouvelables en Europe comme définie encore plus haut, donc UE + Norvège + Suisse. Ce marché, je l’évalue prudemment à quelques 3 670,4 térawatt heures en 2018, avec un taux de croissance annuel de 3,8%, en moyenne entre 1990 et 2017. Le marché d’électricité des sources renouvelables pour l’usage ménager, je le calcule suivant la même proportion de 17,3% de la consommation totale, soit 634,99 TWh. Au prix moyen de détail de €0,19 par kilowatt heure pour les ménages, j’estime la valeur de ce marché à 120,65 milliards d’euros, dont quelques €57,15 milliards correspondent à cette plus-value monopolistique qui avait déclenché toute cette avalanche d’idées dans ma tête.

Plusieurs gouvernements européens donnent un support fiscal substantiel aux énergies renouvelables. Seulement certains projets dans le domaine sont susceptibles d’être financés façon EneFin : des projets relativement petits et fortement locaux, où il y a des chances de bâtir des liens quasi-coopératifs entre les consommateurs du coin et le fournisseur local. J’assume, d’une manière plutôt conservative, que seulement 2,5% de ce marché total des renouvelables sera susceptible à capter à travers des solutions financières du type EneFin. Ça fait dans les 3 milliards d’euros, dont environ €1,43 milliards sont faits de cette fameuse plus-value monopolistique, possible à rediriger vers le capital social des petites startups locales.

Un intermédiaire financier, ça gagne son pain à la commission, essentiellement. Je pense qu’EneFin ne fera pas exception à cette règle. Il est vrai que dans le FinTech, ça paie de passer de la marge de commission pure à une sorte de forfait (abonnement) périodique. Néanmoins, ce forfait, du point de vue économique, est tout simplement un montant espéré de commission lissé sur une période de temps.

La question reste ouverte en ce qui concerne la taille exacte de cette marge de commission. Moi, dans tous les calculs que j’ai fait jusqu’alors, pour le projet EneFin, j’assume une marge de base de 5% qui descend jusqu’à 4% lorsqu’elle se transforme en forfait mensuel. Seulement ça, c’est juste mon assomption. La fourchette entre les marges réellement pratiquées dans le secteur financier est vraiment large. Lorsque j’avais étudié le rapport annuel de Square Inc., la proportion entre le revenu et les coûts, dans ce qu’ils appellent eux-mêmes « revenu basé sur la commission », suggère une marge de 20% qu’ils prélèvent. En terme de marge financière, c’est gargantuesque, mais je n’ai rien de mieux dans leur cas. D’autre part, les maisons de courtage boursier prélèvent typiquement une marge transactionnelle de 0,3 ÷ 0,7%.

Bien que comprise dans une fourchette très large, la marge de commission a sa propre logique financière. J’assume que le payeur de la marge sera le fournisseur d’énergie qui vendra ses contrats complexes à travers la plateforme EneFin. La commission qu’il paie à EneFin est le prix du capital qu’il acquiert de cette façon. Je compare au prêt typique pour les PME. Selon le service meilleurtauxpro.com, un bon prêt oscille entre 1,1% et 1,6%. En revanche, chez accesscreditpro.com, ils suggèrent plutôt quelque chose entre 1,3% et 2,85%.

Ceci dit, à part la commission sur transactions, une société FinTech peut gagner un revenu supplémentaire sous deux autres formes : intérêt sur les prêts accordés au clients ainsi que le taux de retour sur les actifs financiers détenus. Le taux d’intérêt nominal, pour les clients, serait probablement la marge interbancaire LIBOR plus la provision pour risque plus la marge réelle d’EneFin et c’est cette dernière qui nous intéresse. Une estimation réaliste est, je pense, 3 – 4% de marge nette par-dessus LIBOR et provision pour risque. En ce qui concerne le taux de retour sur actifs financiers, je pense qu’il faut se préparer à un portefeuille des placements type obligations d’État, donc à un taux nominal dans les 2 ÷ 3%.

Avant que je passe plus loin, une petite digression. Dans tout ce bavardage que je viens de déverser, j’ai défini deux facteurs majeurs de risque dans le projet EneFin. Premièrement, c’est le risque légal qui découle de la structure complexe des contrats échangés à travers EneFin. Deuxièmement, c’est le risque financier attaché au prix réel du capital.

Digression formulée, je continue. Avec toutes ces assomptions en ce qui concerne les marges financières pratiquées, le lecteur pourra demander : « Bon, mais où, dans tout ça, se trouve le revenu gagné sur la technologie elle-même. Herr Doktor Wasniewski, dans plusieurs mises à jour antérieures, vous aviez présenté des cas comme Fintech Group AG ou bien Katipult, qui empochent des forfaits à titre d’accès à leur plateforme technologique. C’était dans « Les marchés possibles à développer à partir d’une facture d’électricité » ou bien dans « Crossbreeds, once they survive the crossbreeding process » . Qu’en faites-vous, Herr Doktor Wasniewski ? ».

Eh bien, c’est que j’en fais c’est que j’y pense. Je pense avant tout que pour vendre l’accès à une technologie, il faut que celle-ci soit vraiment unique et compétitive. Une telle technologie, j’en ai pas, tout simplement. Je développe le concept EneFin du point de vue économique et légal, suivant mes compétences personnelles. Pour le moment j’écris ce business plan comme si la base technologique de mon projet était une solution à source plus ou moins ouverte, comme Ethereum et le langage de programmation Pragma Solidity.

Oui, dans le secteur FinTech, il faut ne serait-ce qu’un bout de technologie propriétaire pour assurer la sécurité du système. Seulement, aujourd’hui, personne ne paiera une surcharge spéciale à titre de faire des transactions avec un niveau élevé de sécurité. La sécurité digitale, aujourd’hui, ça vient dans le paquet-client et ledit client la considère comme quelque chose de normal. D’autre part, comme j’ai étudié les comptes de quelques sociétés FinTech, la dépense sur compétitivité technologique est substantielle mais elle se capitalise très peu, presque pas, en fait, au niveau bilan. A ce sujet, vous pouvez regarder « Protège-cul, pardon, stratégie de réduction de risque » ou bien « The art of using all those small financial margins ».

Bon, je reviens à l’estimation de la valeur et la taille du marché. Ces 3 milliards d’euros que je viens de calculer quelques paragraphes plus haut, je les prends comme base pour simuler le chiffre d’affaires total d’un réseau d’intermédiation financière du type EneFin. En d’autres mots, j’utilise la valeur d’un sous-marché d’énergies renouvelables pour calculer la valeur du marché des services financiers type EneFin, offerts aux acteurs dudit sous-marché des renouvelables. Essai no. 1 c’est la commission 5% et ça donne dans les €151 millions. Essai no. 2 : commission calquée sur celle des maisons de courtage boursier, donc environ 0,4%. Résultat : 12 millions d’euros. Essai no. 3 : commission comparable au taux d’intérêt sur prêt bancaire pour les PME, soit 1,6%. Résultat : €48,3 millions.

Dans « The essential business concept seems to hold », que j’avais publié le 17 Juin, j’avais esquissé un modèle financier pour le compte d’exploitation d’EneFin. Ça donne dans les €11 millions de chiffre d’affaires comme niveau de stabilité temporaire pour ce business. J’assume que j’avais ne serait-ce qu’un peu de bon sens dans ces calculs-là et je compare aux calculs du paragraphe précèdent. Trois stratégies distinctes se dessinent. La première, c’est la stratégie de marge transactionnelle relativement élevée, dans les 5%, avec pour but de prendre une place parmi plusieurs autres offertes dans un marché ainsi délimité. Prix élevé, part de marché dans les 8%. La seconde, c’est la stratégie de prix super-agressif, où les fournisseurs d’énergies renouvelables peuvent acquérir du capital, à travers la plateforme transactionnelle EneFin, au prix comparable à la commission des maisons de courtage, soit ce 0,4%. Le marché défini de cette façon semble donner de la place à juste un joueur sérieux et stable. C’est la stratégie du type « ça passe ou ça casse ». Enfin, la troisième, celle du milieu : la commission d’EneFin se situe aux environs d’un prêt bancaire, donc quelques 1,6%. Là, le marché serait celui de 4 – 5 fonctionnalités similaires, une sorte de compétition monopolistique.

Je pense que je vais continuer en anglais, pour gagner un peu de perspective. Par ailleurs, c’est bien pour ça que sur ce blog, j’alterne les mises à jour en français et en anglais. C’est comme si j’écrivais avec deux cerveaux, légèrement différents l’un de l’autre.

Je continue à vous fournir de la bonne science, presque neuve, juste un peu cabossée dans le processus de conception. Je vous rappelle que vous pouvez télécharger le business plan du projet BeFund (aussi accessible en version anglaise). Vous pouvez aussi télécharger mon livre intitulé “Capitalism and Political Power”. Je veux utiliser le financement participatif pour me donner une assise financière dans cet effort. Vous pouvez soutenir financièrement ma recherche, selon votre meilleur jugement, à travers mon compte PayPal. Vous pouvez aussi vous enregistrer comme mon patron sur mon compte Patreon . Si vous en faites ainsi, je vous serai reconnaissant pour m’indiquer deux trucs importants : quel genre de récompense attendez-vous en échange du patronage et quelles étapes souhaitiez-vous voir dans mon travail ?

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Prudemment formuler deux conditions d’équilibre

Mon éditorial

Dans ma recherche, je me concentre provisoirement sur un sujet qui émerge un peu par lui-seul : le Fintech. C’est une sacrée bête, ce Fintech, un peu comme Marsupilami : il est même difficile de dire exactement qu’est-ce que c’est, tout ce bazar de Fintech. Lorsque mes étudiants me posent la question « Qu’est-ce que le Fintech ? » et ils attendent une réponse simple, eh bien, ils peuvent bien attendre. Si j’en avais une, de réponse simple, je la donnerais volontiers, seulement je n’en ai pas. Enfin, si, j’en ai une, mais elle est à peine intelligible : « le Fintech consiste à utiliser une plateforme de technologie numérique pour organiser des transactions financières, souvent avec l’utilisation de la technologie Blockchain ». Charmante dans sa brièveté, cette réponse, et lorsque je la donne à mes étudiants, leur réaction est celle de quelqu’un qui vient d’entendre quelque chose de complètement incompréhensible et néanmoins veut faire semblant de comprendre parfaitement. « Une plateforme de technologie numérique pour organiser des transactions financières ? Bien sûr ! Alors là, c’est clair. Donc une carte bancaire, c’est du Fintech ? ». Ouais, comment répondre à ça ? Oui et non, en principe. Oui, un système de cartes bancaires c’est une technologie numérique qui sert à organiser des transactions financières, seulement, comment le dire ? Un système des cartes bancaires est au Fintech ce qu’une hache est à un robot industriel dans une scierie et en plus, ce robot est doté d’intelligence artificielle.

C’est précisément cet aspect d’intelligence qui est le trait distinctif de Fintech par rapport aux technologies telles que les cartes bancaires. Je parle d’intelligence artificielle en tant que technologie mais ce qui est au moins aussi important dans le Fintech est le phénomène beaucoup plus diffus et néanmoins plus fondamental d’intelligence collective des réseaux d’utilisateurs. Ce le point essentiel de de cet article par Satoshi Nakamoto, le fondateur mystérieux de Bitcoin : le comportement des participants dans un réseau pair à pair de paiements électroniques forme une barrière tout aussi efficace contre des actions frauduleuses que celle offerte par les technologies d’encryptage. Je peux donc enrichir ma définition de Fintech :  c’est une méthode d’organiser l’activité économique, avec l’aide d’une plateforme de technologie numérique, souvent basée sur le principe de Blockchain, où un certain type des comportements dans un réseau de participants est garant de la stabilité d’un réseau des transactions financières, qui, à leur tour, rendent possible le transfert de capital dans le réseau des participants. Je vous avais dit : si vous attendez une réponse simple à propos de ce qu’est le Fintech, je n’en ai pas. J’en ai une qui est bien compliquée et abstraite, mais voilà toute l’importance de la pensée abstraite : lorsque j’ai affaire à des phénomènes à peine intelligibles pour mon propre cerveau – et ce cerveau à moi, je le partage avec mon singe curieux, mon bouledogue joyeux et mon moine discipliné, et ça fait du monde dans un seul cerveau – j’ai besoin de raccourcis intellectuels, de quelque étiquette générale que je peux provisoirement coller sur un fragment de réalité. Le premier fragment de réalité en question, le voilà : il y a des gens qui créent des technologies numériques, qui, à leur tour, rendent possible un réseau des paiements pair à pair, c’est-à-dire sans l’intermédiation d’une institution financière, ainsi que sans garantie de liquidité offerte par une telle institution. Ça, ce sont les velociraptors de Fintech : les crypto-monnaies. A première vue, il faudrait être fou pour s’engager dans un tel système et néanmoins il y en a pas mal de fous comme ça. Le 17 août 2010, lorsque la première crypto-monnaie, le fameux Bitcoin, a été cotée contre le dollar américain pour la première fois, il y avait déjà quelques 400 participants systématiques dans le jeu. En d’autres mots : il y a toujours une poignée de clients qui s’engagent volontiers dans un système des paiements nouveau même si le système en question repose sur un paradoxe : sa solidité dépend du nombre des gens qui le joignent et qui veulent bien jouer réglo. Une fois que ces pionniers s’y soient engagés, ils forment la base même du réseau et facilitent ainsi l’entrée des participants moins téméraires, certes, mais plus fidèles à long terme.

Le code génétique des crypto-monnaies peut se combiner avec celui de la finance traditionnelle. C’est ainsi qu’émergent des systèmes des paiements rapides en ligne, comme PayPal ou PayZen. Les technologies d’encryptage caractéristiques aux crypto-monnaies y sont combinées avec la présence des banques comme garants des paiements. Moi, je m’intéresse plus particulièrement à une autre espèce hybride : des crypto-monnaies attachées aux actifs financiers. Récemment, j’avais remarqué le démarrage d’un projet intéressant dans ce domaine, en Estonie, sous le nom de WePower . L’idée centrale est d’émettre une crypto-monnaie dont chaque unité (le soi-disant token) est attachée à un contrat à terme pour le futur achat d’une kilowatt heure d’électricité des sources renouvelables. Un token = 1 kWh dans l’avenir. L’intention de cette structure est de créer un flot de capital vers les créateurs des centrales électriques basées sur les énergies renouvelables. En vendant aujourd’hui leur puissance fournie dans l’avenir, WePower crée un mécanisme d’escompte sur les ventes futures pour fournir du capital dans le moment présent.

Il y a une composante casse-tête dans ce concept financier. En gros, quelle doit être la proportion entre la quantité totale d’énergie future que j’escompte aujourd’hui sous la forme des tokens WePower, d’une part, et la quantité d’énergie future vendue « normalement » dans l’avenir. J’ouvre mollo. J’assume que toute centrale électrique en voie de construction, à être mise en service dans l’avenir, une fois qu’elle se trouve dans ce schéma WePower, déploie sa production totale d’énergie QE dans le temps de façon à avoir de l’énergie future à vendre aujourd’hui, que je note comme QE(t-1). A part QE(t-1), ce serait une bonne idée d’avoir de l’énergie future à vendre dans l’avenir comme énergie présente dans cet avenir qui sera alors le présent. Je note cette fraction de production comme QE(t0). Un peu en cas où, j’ajoute une portion QE(t1), qui sera de l’énergie encore plus future par rapport au moment t0, qui est l’avenir de mon présent courant et qui se sentira mieux, à coup sûr, s’il aura un avenir t1 bien à lui. Je ne pas d’idée bien claire ce que je peux faire, en termes de modèle économique, avec ce QE(t1). Je pense simplement qu’il vaut toujours mieux d’avoir une vision articulée de l’avenir. Somme toute, j’obtiens cette première équation :

QE = QE(t-1) + QE(t0) + QE(t1)                (1)

C’est alors que je fais un salut dans la direction d’ingénieurs et j’assume que la production d’énergie, en général, est une fonction de trois facteurs : la puissance installée PW, son degré d’utilisation U, ainsi que le nombre d’heures H dans l’année durant lesquelles j’exploiterai cette puissance PW au niveau d’intensité U. Mon H total sur une année est égal à H = 8760 heures sur une année normale et HB = 8784 sur une année bissextile. De toute façon, lorsque j’assume  QE = PW*U*H, l’équation (2), ci-dessous, pratiquement saute aux yeux :

QE = PW(t-1)*U(t-1)*H(t-1) + PW(t0)*U(t0)*H(t0) + PW(t1)*U(t1)*H(t1)       (2)

A ce moment-là, je transforme une simple constatation des faits plus ou moins évidents en une stratégie (une combine ?) : j’inclus la composante prix dans le modèle. En général, je vends mon QE à un prix P, seulement là, je joue avec le temps et sur les variations des prix dans le temps. Aujourd’hui, donc dans le passé t-1 par rapport à l’avenir t0, je vends mon énergie future à P(t-1) une kilowatt heure. Dans l’avenir t0, qui sera son propre présent, je vendrai ma kilowatt heure à P(t0) la pièce et j’envisagerai de vendre mes kilowatt heures encore plus futures, soit PW(t1)*U(t1)*H(t1), à un prix de P(t1). En tout cas, j’ai (3) :

QE*P = PW(t-1)*U(t-1)*H(t-1)*P(t-1)

      + PW(t0)*U(t0)*H(t0)*P(t0)

                             + PW(t1)*U(t1)*H(t1)*P(t1)                    (3)

Maintenant, j’assume que l’énergie vendue en avance dans le présent (qui est le passé du futur immédiat) apporte une injection de capital KWP (ça vient du « capital dans le système WePower). Le financement total K d’investissement en la puissance future consiste en KWP plus un montant résiduel Krés collecté d’autres sources. J’ai donc K = KWP + Kres . Pour que toute la combine (le mot « stratégie me semble un peu grandiloquent pour l’instant) aie des bras et des jambes – comme nous disons en Pologne – le flux de revenu PW(t0)*U(t0)*H(t0)*P(t0) + PW(t1)*U(t1)*H(t1)*P(t1) moins le coût total de production TC(t0) et TC(t1) – doit être supérieur à cette portion résiduelle Krés de capital (il faut que toute l’opération donne un positif flux de trésorerie). Je peux donc prudemment formuler deux conditions d’équilibre financier dans un projet comme WePower :

KWP < PW(t-1)*U(t-1)*H(t-1)*P(t-1)

Kres < PW(t0)*U(t0)*H(t0)*P(t0) + PW(t1)*U(t1)*H(t1)*P(t1) – TC(t0) TC(t1)