Stratégies financières

Je continue un peu dans la foulée d’analyse des rapports courants des sociétés de ma liste « technologies nouvelles en énergie Â». Je fais de mon mieux pour développer sur les premières observations que j’ai déjà présentées dans « Mes lampes rouges Â» ainsi que dans « Different paths Â». Comme je résume partiellement ce que j’ai lu, ma première conclusion est une confirmation de mes intuitions initiales. Ce que nous appelons l’industrie de l’hydrogène est en fait une combinaison des technologies de pointe (piles à combustible à la base d’hydrogène, par exemple) avec des technologies bien établies – quoi que sujettes à l’innovation incrémentale – comme l’électrolyse ou le stockage des gaz volatiles. Il semble y avoir d’importants effets d’échelle, probablement en raison de la complexité technologique. Les sociétés relativement plus grandes, comme Plug Power ou Fuel Cell Energy, capables d’acquérir d’autres sociétés et leurs technologies, semblent être mieux placées dans la course technologique que des indépendants qui développent des technologies propriétaires de façon indépendante. C’est un truc que j’ai déjà remarqué dans le photovoltaïque et dans l’industrie de véhicules électriques : oui, il y a des petits indépendants prometteurs mais la bonne vieille intégration industrielle, surtout en verticale, semble revenir comme stratégie de choix après de décennies de bannissement. 

J’ai remarqué aussi que la catégorie générique « technologies d’hydrogène Â» semble attirer du capital de façon un peu inconsidérée. Je veux dire qu’il semble suffisant de dire « Eh, les gars, on invente dans l’hydrogène Â» pour que les investisseurs se précipitent, peu importe si le modèle d’entreprise est viable et transparent, ou pas-tout-à-fait-vous-comprenez-c’est-confidentiel. Je vois dans l’industrie d’hydrogène le même phénomène que j’observais, il y a encore 4 ou 5 ans, dans le photovoltaïque ou bien chez Tesla : lorsqu’une technologie nouvelle commence à prendre son envol en termes de ventes, les organisations qui s’y greffent et développent sont un peu démesurées ainsi qu’exagérément dépensières et il faut du temps pour qu’elles se fassent vraiment rationnelles.    

Pour gagner un peu de distance vis-à-vis le business d’hydrogène, je commence à piocher dans les rapports courants d’autres sociétés sur ma liste. Tesla vient en tête. Pas sorcier, ça. C’est la plus grosse position dans mon portefeuille boursier. Je lis donc le rapport courant du 4 août 2022 qui rend compte de 13 propositions soumises à l’assemblée générale d’actionnaires de Tesla le même 4 août, ainsi que de l’opération de fractionnement d’actions prévue pour la seconde moitié d’août. Ce dernier truc, ça m’intéresse peut-être le plus. La version officielle qui, bien entendu, sera mise à l’épreuve par le marché boursier, est que le Conseil D’Administration souhaite rendre les actions de Tesla plus accessibles aux investisseurs et employés et procédera donc, le 17 août 2022, à un fractionnement d’actions en proportion trois-pour-une en forme d’une dividende-actions. Chaque actionnaire enregistré ce 17 août 2022 verra le nombre de ses actions multiplié par trois. Les nouvelles actions fractionnées entreront en circulation boursière normale le 24 août 2022.

Il est vrai que les actions de Tesla sont plutôt chères en ce moment : presque $900 la pièce et ceci après la forte dépréciation dans la première moitié de l’année. Formellement, le fractionnement en proportion trois-pour-une devrait diviser cette cotation par trois, seulement le marché, ça suit les règles d’économie, pas d’arithmétique pure. Je pense que par la fin de 2022 on aura trois fois plus d’actions de Tesla flottantes et cotées à plus qu’un troisième du prix d’aujourd’hui encore qu’entre temps, il y aura des turbulences, je vous le dis. J’attache donc ma ceinture de sécurité – en l’occurrence c’est une position en Apple Inc., bien plus stable et respectable que Tesla – et j’attends de voir la valse boursière autour de ces actions fractionnées.

A part cette histoire de fractionnement, les autres 12 propositions couvrent 4 qui ont été acceptées – dont une relative au fractionnement déjà signalé – ainsi que 8 propositions non-acceptées. Les 4 acceptées sont relatives à, respectivement :

>> la nomination de deux personnes au Conseil D’Administration

>> l’accès par procuration, proposition sans engagement présentée par actionnaires en minorité

>> la ratification du choix de PricewaterhouseCoopers LLP comme auditeur financier de Tesla pour l’année comptable 2022

>> l’accroissement du nombre d’actions ordinaires de Tesla par 4 000 000

Les 8 propositions rejetées se groupent en deux catégories distinctes d’une façon intéressante. Il y en a donc deux qui viennent des cadres gestionnaires de Tesla et qui postulaient de modifier l’acte d’incorporation de Tesla de façon à éliminer la règle de majorité qualifiée de 66 et 2/3% dans les votes, ainsi qu’à réduire à 2 ans le mandat des directeurs du Conseil d’Administration. Ces deux propositions-là ont perdu car elles n’avaient pas… de majorité qualifiée de 66 et 2/3%. Les 6 propositions restantes parmi les non-acceptées étaient toutes des propositions sans engagement de la part d’actionnaires minoritaires et toutes les 6 demandaient des rapports additionnels ou bien des changements afférents à, respectivement : la qualité de l’eau, travail forcé d’enfants, le lobbying, la liberté d’association, arbitrage dans les affaires d’emploi, la diversité au sein du Conseil d’Administration, les politiques internes contre le harassement et la discrimination.

Dans le vocabulaire politique de mon pays, la Pologne, nous avons l’expression « compter les sabres Â». Elle désigne des votes qui sont perdus d’avance mais qui servent à compter la taille de la coalition possible que le proposant donné pourrait rallier pour quelque chose de plus sérieux. Je bien l’impression que quelqu’un chez Tesla commence à compter les sabres.

Je passe au rapport courant de Tesla du 20 juillet 2022 qui, en fait, annonce leur rapport financier du 2ème trimestre 2022. Ça a l’air bien. Le bénéfice net pour la première moitié de 2022 a triplé par rapport à la même période de 2021, le flux de trésorerie se fait plus robuste. Rien à dire.                

Je tourne vers un modèle d’entreprise beaucoup plus fluide, donc celui de Nuscale Power ( https://ir.nuscalepower.com/overview/default.aspx ). Lorsqu’on lit la présentation générale de ce business (https://ir.nuscalepower.com/overview/default.aspx ), tout colle à merveille : NuScale Power fournit des petits réacteurs nucléaires innovatifs, où un module peut fournir 77 mégawatts de puissance. Seulement, lorsque je commence à lire leur rapport annuel 2021, ça se corse, parce que le rapport est publié par l’entité nommée Spring Valley Acquisition Corporation, qui se présente comme une société coquille incorporée dans les îles Cayman, sous la forme légale de société exonérée. Le management déclarait, dans le rapport annuel 2021, que le but de Spring Valley Acquisition Corporation est de conduire une fusion ou bien une acquisition, un échange d’actions ou bien leur achat, une acquisition d’actifs, une réorganisation ou bien une autre forme de regroupement d’entreprises. Au mois de mars 2021 ; Spring Valley Acquisition Corporation est entrée en un accord tripartite, accompagné d’un plan de fusion, avec sa filiale en propriété exclusive, Spring Valley Merger Sub, Inc., incorporée dans l’état de Delaware, ainsi qu’avec Dream Holdings Inc., une autre société incorporée dans le Delaware, celle-ci sous la forme de société d’utilité publique. C’est une nouveauté dans la loi des sociétés dans le Delaware, introduite en 2013. Un article intéressant à ce sujet est accessible sur « Harward Law School Forum on Corporate Governance Â».

Ainsi donc, en mars 2021, Spring Valley Acquisition Corporation, Spring Valley Merger Sub, Inc. et Dream Holdings Inc. avaient convenu de conduire un regroupement d’entreprises avec AeroFarms. Dream Holdings fusionne avec Spring Valley Merger Sub. En octobre 2021, l’accord en question a été résilié. En décembre 2021, Spring Valley Acquisition Corporation entre en un nouvel accord tripartite, encore une fois avec la participation de Spring Valley Merger Sub. Cette fois, Spring Valley Merger Sub est introduite comme une LLC (société à responsabilité limitée) incorporée dans l’état d’Oregon. La troisième partie de l’accord est NuScale Power LLC, aussi incorporée en Oregon. Poursuivant cet accord, Spring Valley Acquisition Corporation change de lieu d’incorporation des îles Cayman pour l’état de Delaware, pendant que Spring Valley Merger Sub LLC fusionne avec et en NuScale Power LLC. Après la fusion, Spring Valley change de nom et devient NuScale Power Corporation.

Comment a marché la combine ? Eh bien, voici une annonce courante de NuScale Power, datant d’hier (10 août), où NuScale donne un aperçu de leurs résultats pour le 2nd trimestre 2022. La perte d’exploitation pour cette première moitié de l’année 2022 était de 44,75 millions de dollars, un peu moins que dans la première moitié de 2021. Leurs actifs ont presque triplé en 12 mois, de $121,2 millions à $407,3 millions. Côté exploitation, une nouvelle entité opérationnelle est créé sous le nom de « VOYGRâ„¢ Services and Delivery (VSD) Â» avec la mission d’organiser les services, les fournitures et la gestion clients pour la technologie VOYGRâ„¢. Cette dernière est la technologie pour bâtir et exploiter des centrales nucléaires à puissance moyenne sur la base de « NuScale Power Moduleâ„¢ Â», soit avec 4 modules dedans et une puissance de 924 mégawatts de puissance électrique (VOYGR-4) soit avec 6 modules (VOYGR-6).

Cette comparaison rapide d’évènements relativement récents chez Tesla et NuScale Power me conduit à la conclusion que si je veux comprendre à fond un modèle d’entreprise, il faut que je m’intéresse plus (que je l’avais fait jusqu’à présent) à ce qui se passe dans les passifs du bilan. Je vois que des différentes phases d’avancement dans le développement d’une technologie s’accompagnent des stratégies financières très différentes et le succès technologique dépend largement du succès de ces mêmes stratégies.