Je continue ma balade le long de la crête entre la recherche et l’enseignement. Je me penche sur l’application de mon concept d’enseignement des sciences sociales comme une sorte de géographie appliquée (consultez « Très spéculatif mais cohérent » ou bien « My own zone of proximal development ») à deux cours spécifiques : celui de Microéconomie ainsi que celui consacré aux Systèmes Politiques.
Le premier, donc la Microéconomie, me fait reconsidérer mon business plan pour le projet EneFin. Vous pouvez en consulter le résumé le plus récent dans « Deux cerveaux, légèrement différents l’un de l’autre ». La recherche et la rédaction de ce business plan, ainsi que celui pour le projet BeFund – que j’ai déjà fini il y a quelques mois – sont dans une grande mesure précisément ce que je veux enseigner à mes étudiants en Microéconomie. En même temps, le projet EneFin reflète mon créneau courant de recherche « officielle » à la fac, pendant que le projet BeFund est une correspondance empirique de la réflexion générale sur la méthode scientifique dans les sciences sociales.
Une méthode, ça exige un développement méthodique. Je m’y applique. La science d’abord. Le projet EneFin m’a fait pondre trois idées à développer d’une façon scientifique, dans des articles de recherche, par exemple. Premièrement, c’est le modèle théorique d’une entreprise, où un réseau urbain des petites turbines éoliennes et/ou hydrauliques, de pair avec des nids localisés des panneaux solaires, est financé à travers une plateforme FinTech qui, à son tour, permet d’échanger des contrats complexes du type « énergie au prix gros clients plus participation dans le capital social de l’entreprise égale énergie au prix petits clients ».
Comme je veux discuter la chose scientifiquement, comme un modèle théorique, mon attention se concentre sur les conditions de robustesse. En d’autres mots, le discours scientifique ici c’est l’exploration des prix et des quantités, surtout à l’extérieur de l’entreprise, qui rendent son implémentation possible (ou bien impossible). Le deuxième truc science qui avait attiré mon attention c’est le phénomène de cette plus-value monopolistique dans le marché européen d’énergie ainsi que le fait que ladite plus-value tend à diminuer à mesure de la transition vers les énergies renouvelables.
Le troisième sentier de recherche que je veux explorer est cette étonnante cohérence entre le volume de l’invention scientifique dans le domaine d’énergies renouvelables et le marché de ces énergies en tant que tel. J’avais déjà fait des excursions dans ce domaine – vous pouvez consulter « Je corrèle » comme exemple – et ça se connecte d’une façon très prometteuse à l’une de mes obsessions intellectuelles, le phénomène de déterminisme technologique.
Bon, donc ça c’est de la recherche. Maintenant, l’enseignement. Le truc le plus évident est celui d’application pratique des outils microéconomiques de base : analyse des prix comme des équilibres locaux, analyse des modèles d’entreprise en termes de capital et des coûts etc. Le truc moins évident et cependant tout aussi intéressant est le compte rendu du travail de recherche consacré à ce business plan. Je peux interpréter ce travail comme le processus de cristallisation intellectuelle que j’achève le long de mon sentier de développement proximal. C’est une incidence locale d’absorption et utilisation des informations sur les marchés et les structures sociales qui s’y construisent, donc c’est un exemple de la façon dont un être humain trouve son chemin à travers l’environnement social. Hypothèse générale est que ce que moi j’avais fait est un point situé quelque part sur une courbe Gaussienne des modèles comportementaux. Définir cette courbe de façon aussi précise que possible serait intéressant, un truc d’économie béhavioriste, quoi.
Maintenant, je saute dans la case « Systèmes politiques ». Mon intuition générale, que j’avais déjà commencé à développer dans « Très spéculatif mais cohérent », est celle de couper brutalement son chemin, dès le début, à travers les broussailles de la connerie médiatique. Je pense que c’est l’enseignement le plus précieux que je peux transmettre à mes étudiants en ce temps relativement court d’un semestre académique. Un semestre, c’est court ? Eh ben, oui. Le développement des connaissances vraiment robustes, manifestes comme des compétences bien rodées, ça prend des années. Plus je fais de la science, plus j’épouse cette thèse que mon grand compatriote, Alfred Comte Korzybski, avait exprimée dans sa doctrine de sémantique générale : nous, les humains, on apprend des choses vraiment utiles et profondes au rythme des générations, pas celui des mois.
Je peux distinguer quatre types des phénomènes politiques que nous rencontrons sur nos parcours sociaux individuels : les systèmes politiques en tant que tels, des élections, des troubles sociaux violents (guerres civiles etc.) et enfin des politiques particulières. Les compétences sociales qui marchent bien, pour un citoyen moyen, dans le contexte de ces phénomènes, consistent à prendre l’action bien ancrée dans la compréhension du jeu politique en place.
Lorsqu’on parle du jeu, je trouve primordial de déterminer ce qui se passe exactement, en termes de politique. Le discours médiatique à ce propos abonde en des informations du type « UnTel a eu un entretien avec UneTelle et UnTel a dit que [mettre ce que vous voulez entre ces parenthèses], en réponse à quoi UneTelle a fermement déclarée que [vous savez : ce que vous voulez] ». Comme société, nous avons une tendance – profondément ancrée dans les schémas comportementaux de notre espèce – de s’exciter au sujet de ce que les gens disent. En politique, ce que les gens disent est la manifestation d’une ingénierie comportementale bien pondérée, ou bien celle d’un bordel complet. Aussi étonnant que cela puisse sembler, les deux se combinent à merveille.
La compréhension scientifique de la politique exige cette petite gymnastique intellectuelle préalable : lorsqu’UnTel dit quelque chose à propos d’UneTelle, faut appréhender la situation en termes de la théorie de communication. Le fait le plus important est celui de communication en tant que telle, donc le fait que quelle information que ce soit est échangée. Pourquoi est-ce tellement important ? Parce que la communication implique l’existence des structures sociales pour le faire et ce que nous voulons comprendre en ce qui concerne la politique est précisément le fonctionnement de ces structures.
Je parle du fonctionnement des structures, donc il est peut-être temps d’aller jeter un coup d’œil de plus sur ces directions de recherche que je viens d’indiquer, il y a quelques paragraphes. Je connecte les points – comme disent les Anglo-Saxons – et je combine mon expérience intellectuelle de ces deux business plans, le projet BeFund et celui d’EneFin. Ces deux cheminements intellectuels m’ont rendu très conscient du phénomène d’incertitude comportementale.
Chaque fois que nous entreprenons quelque chose, le comportement d’autres humains est crucial. Lorsque je prépare un business plan, j’ai cette petite voix dans mon esprit qui dit « Je ne sais pas quoi faire puisque je ne sais pas ce que les autres vont faire ». Je pense ici à ce qu’eut écrit Frank Knight : ce qui démarque les hommes et femmes d’affaires du commun des mortels est la capacité d’appréhender cette incertitude à un méta-niveau. Ces personnes sont capables d’analyser leur propre méthode d’analyser l’incertitude et leurs propres moyens de gérer le risque correspondant.
Je pense que voilà une bonne indication pour mon enseignement des sciences sociales : apprendre à mes étudiants à identifier aussi précisément que possible ces incertitudes comportementales, conceptualiser les risques qui en découlent ainsi que les façons de gérer ces risques.
Voyons voir… Comment puis-je utiliser l’expérience accumulée dans la préparation des business plans pour ces deux projets, BeFund et EneFin, pour enseigner à mes étudiants tout ce bazar sur l’incertitude et le risque ? Quels ont été les types d’incertitude comportementale que j’eus à faire avec ?
L’incertitude de base est toujours le comportement des clients (utilisateurs) potentiels d’un produit ou d’une technologie. Tout d’abord, dans la population générale, qui (quel type d’entité) a des chances quelconques de devenir mon client ? Comment puis-je donc esquisser le marché potentiel ? Ensuite, quelle est la probabilité qu’à un moment donné « t » un client potentiel, choisi au hasard, devienne mon client réel, donc qu’il commence à développer le schéma comportemental propre audit client réel ?
En des termes mathématiques, vous pouvez trouver un exemple ce de raisonnement dans « Contagion étonnement cohérente ». En des termes pédagogiques, je m’efforce de décomposer les phénomènes correspondants en une séquence d’apprentissage. Phase no. 1 : définissons nos clients comme des schémas de comportement. Phase no. 2 : définissons les schémas comportementaux de départ, donc ceux pratiqués ici et maintenant. Phase no. 3 : définissons la transition vers le schéma comportemental présent vers celui propre au « client ». Phase no. 4 : étudions les conditions de cette transition.
Je sens ici comme une direction intéressante dans l’enseignement de la microéconomie et de la gestion : présenter chaque régularité observable dans le fonctionnement des marchés et des organisations comme un phénomène comportemental. De cette façon je peux concilier la microéconomie classique avec l’économie institutionnelle et la théorie des jeux. Dans l’optique microéconomique je m’intéresse plus aux phénomènes vraiment récurrents, qui surviennent près du centre de leurs courbes Gaussiennes respectives. En langage simple, la microéconomie c’est du typique vraiment typique. En revanche, lorsque j’étudie le même cas du point de vue de la gestion, je m’intéresse un peu plus aux idiosyncrasies locales et aux moyens de les cerner.
Quand j’y pense, si je veux que mes étudiants comprennent vraiment cette logique d’incertitude comportementale, il faut que j’inclue dans mon enseignement des fondements de la statistique, avec l’accent mis sur la probabilité vue précisément comme courbe Gaussienne, donc selon la logique de la distribution normale. Ceci exige que j’explique aussi la logique de la distribution binomiale et la distinction entre les incidences centrales (fréquentes) et les marginales. Faire un détour par la pensée originelle de Thomas Bayes pourrait être captivant, aussi. Sa démarche – centrée sur la compréhension progressive des phénomènes à travers des expériences successives qui cernent la solution pas à pas – semble être la somme de rationalité scientifique lorsqu’on étudie l’incertitude des schémas comportementaux.
Je prends donc le cas de base pour tout cours de microéconomie, celui du démarrage d’une petite entreprise et de la question tout aussi fondamentale : « Comment s’y prendre d’une façon rationnelle ? ». La réponse de base : commencez donc par cerner aussi précisément que possible ce que vous voulez faire. Définissez le produit ou le service que vous avez l’intention de vendre, ainsi que le processus central d’interaction avec le client. La contribution de la science, à ce point-ci, c’est avant tout la distinction aigue entre la création d’un nouveau marché d’une part et l’adhésion à un marché existant d’autre part. Si vous êtes littéralement une petite entreprise, la science vous dit qu’il vous sera virtuellement impossible de créer un nouveau marché.
Bien sûr, il y a toujours des exceptions qui viennent à l’esprit : Facebook, Google, Amazon etc. Remarquez toutefois que tous ces titans venus apparemment de nulle part venaient des marchés déjà en développement, où ils eurent tout simplement implanté des modèles d’entreprise particulièrement efficaces, surtout par recombinaison des schémas parfaitement connus par ailleurs. Facebook c’est un bureau des petites annonces façon époque digitale. Google c’est l’application digitale de l’idée bien connue : celle d’index dans une bibliothèque. Oui, c’était bien ça l’idée révolutionnaire de Google : appliquer à la recherche des pages web la logique d’indexation appliquée dans toutes les bibliothèques physiques (trouver un livre par titre, par auteur et par les mots clés). Amazon c’est l’application d’une régularité bien connue de tous les libraires : le vrai défi dans la profession c’est bien gérer l’arrière-boutique et acquérir des clients fidèles. La gestion de l’avant-boutique est le moindre des soucis.
Je reviens donc à l’assertion qu’une nouvelle entreprise a peu de chances de créer un nouveau marché et ferait mieux de s’insérer dans un marché déjà en place. Je vous vois venir, là. « Quel rapport avec l’incertitude comportementale ? » vous demanderez. Un marché bien en place est fait d’habitudes bien huilées et lancées. Un marché existe parce qu’il y a un nombre prévisible des gens qui font des choses prévisibles. La création d’un nouveau marché exige qu’un nouvel ensemble des schémas de comportement se forme, se teste et s’installe pour du bon. Tous ceux qui avaient jamais fait des efforts pour arrêter de fumer ont certainement deux mots à dire au sujet des nouveaux schémas de comportement. Si un tel schéma exige une modification neurologique importante (je veux dire le développement des nouveaux réflexes, comme regarder un écran de plus), le défi est même plus important.
Je continue à vous fournir de la bonne science, presque neuve, juste un peu cabossée dans le processus de conception. Je vous rappelle que vous pouvez télécharger le business plan du projet BeFund (aussi accessible en version anglaise). Vous pouvez aussi télécharger mon livre intitulé “Capitalism and Political Power”. Je veux utiliser le financement participatif pour me donner une assise financière dans cet effort. Vous pouvez soutenir financièrement ma recherche, selon votre meilleur jugement, à travers mon compte PayPal. Vous pouvez aussi vous enregistrer comme mon patron sur mon compte Patreon . Si vous en faites ainsi, je vous serai reconnaissant pour m’indiquer deux trucs importants : quel genre de récompense attendez-vous en échange du patronage et quelles étapes souhaitiez-vous voir dans mon travail ?
Vous pouvez donner votre support financier à ce blog
€10.00